Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'association Pour la rivière Joyeuse, M. J... G..., M. C... H..., le groupement foncier agricole de la Commanderie, M. E... D..., M. B... A... et M. I... F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté des préfets de la Drôme et de l'Isère des 18 et 21 octobre 2019 portant autorisation au titre des rubriques 3.1.2.0, 3.1.5.0, 3.2.1.0, 3.2.2.0, 3.1.2.0, 3.2.3.0, 3.2.5.0, 3.2.6.0, et 3.3.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, du projet d'aménagement contre les crues et de restauration physique de la rivière La Joyeuse sur le territoire des communes de Montmiral, Parnans, Chatillon-Saint-Jean, Saint-Paul-lès-Romans et Saint-Lattier au bénéfice de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo (CAVRA).
Par jugement avant-dire-droit n° 1908222 du 14 juin 2022, le tribunal a sursis à statuer sur la demande dans l'attente de la délivrance d'une autorisation modificative portant dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées figurant au I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, et a imparti aux préfets de la Drôme et de l'Isère un délai de douze mois à compter de la notification du jugement pour produire ladite régularisation.
Procédure devant la cour
Par requête et un mémoire, enregistrés le 29 juillet 2022 et le 3 septembre 2024, l'association Pour la rivière Joyeuse, MM. G... et H..., le groupement foncier agricole de la Commanderie, MM. A... et F..., représentés par Me Blanc, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a écarté les moyens relatifs à l'insuffisance de l'étude d'impact et à l'incompatibilité de l'arrêté inter-préfectoral contesté au SDAGE Rhône-Méditerranée et en ce qu'il a admis le caractère régularisable de l'absence de dérogation aux interdictions de porter atteinte aux espèces protégées ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête n'est pas dépourvue d'objet en l'absence de jugement définitif du tribunal à la suite du jugement avant dire-droit ;
- leur requête est recevable ;
- l'étude d'impact est insuffisante quant à l'analyse de l'état initial du site et quant aux mesures d'évitement, de réduction et de compensation des effets négatifs sur l'environnement ;
- l'arrêté en litige est incompatible avec l'orientation 6B-04 du SDAGE Rhône-Méditerranée 2016-2021, dès lors que les mesures d'évitement, de réduction ou de compensation des atteintes portées aux zones humides sont insuffisantes ;
- la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement n'était pas régularisable ;
- la dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées ne peut pas être accordée à la CAVRA en l'absence de la démonstration d'une raison impérative d'intérêt public majeur.
Par mémoire enregistré le 18 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête a vocation à perdre son objet lorsque le tribunal aura statué sur la régularisation ayant fait l'objet du sursis à statuer ;
- l'étude d'impact n'est pas insuffisante ;
- l'arrêté en litige est compatible avec l'orientation 6B-04 du SDAGE Rhône-Méditerranée 2016-2021 ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement est inopérant.
Par mémoire enregistré le 18 juillet 2024, la CAVRA, représentée par Me Saban, demande à la cour :
1°) de prononcer un non-lieu à statuer sur la requête, subsidiairement, de la rejeter ;
3°) de mettre solidairement à la charge de l'association Pour la rivière Joyeuse, de MM. G... et H..., du groupement foncier agricole de la Commanderie, de MM. A... et F... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête, dépourvue d'objet, est irrecevable en l'absence de jugement définitif du tribunal à la suite du jugement avant dire-droit ;
- l'étude d'impact n'est pas insuffisante ;
- l'arrêté en litige est compatible avec l'orientation 6B-04 du SDAGE Rhône-Méditerranée 2016-2021 ;
- le défaut de dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées était régularisable et a été régularisé par l'arrêté des 14 et 19 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard,
- les conclusions de Mme Psilakis, rapporteure publique,
- les observations de Me Roche pour l'association Pour la rivière Joyeuse, MM. G... et H..., le groupement foncier agricole de la Commanderie, MM. A... et F..., et celles de Me Cohendy pour la CAVRA.
Et avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour la CAVRA, enregistrée le 8 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. L'association Pour la rivière Joyeuse, MM. G... et H..., le groupement foncier agricole de la Commanderie et MM. D..., A... et M. F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté des préfets de la Drôme et de l'Isère des 18 et 21 octobre 2019 portant autorisation délivrée à la CAVRA, au titre des rubriques 3.1.2.0, 3.1.5.0, 3.2.1.0, 3.2.2.0, 3.1.2.0, 3.2.3.0, 3.2.5.0, 3.2.6.0, et 3.3.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, de réaliser le projet d'aménagement de lutte contre les crues et de restauration physique de la rivière La Joyeuse sur le territoire des communes de Montmiral, Parnans, Chatillon-Saint-Jean, Saint-Paul-lès-Romans et Saint-Lattier. Par jugement avant-dire-droit du 14 juin 2022, le tribunal a sursis à statuer sur la demande jusqu'à la délivrance d'une autorisation modificative portant dérogation aux interdictions de porter atteinte aux espèces protégées figurant au I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, à produire dans le délai de douze mois. Les requérants, à l'exception de M. D..., relèvent appel de ce jugement en ce qu'il a écarté les moyens relatifs à l'insuffisance de l'étude d'impact et à l'incompatibilité de l'arrêté inter-préfectoral en litige au SDAGE Rhône-Méditerranée et en ce qu'il a fait application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour admettre le caractère régularisable du défaut de dérogation aux interdictions de porter atteinte aux espèces protégées.
Sur le jugement en tant qu'il a fait application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement soulevée par la CAVRA :
2. Lorsqu'un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés les autres moyens de la requête, a retenu l'existence d'un ou plusieurs vices entachant la légalité de l'autorisation environnementale dont l'annulation lui était demandée et, après avoir estimé que ce ou ces vices étaient régularisables par une autorisation modificative, a décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 181 -18 du code de l'environnement pour inviter l'administration à régulariser ce vice, l'auteur du recours formé contre l'autorisation est recevable à faire appel de ce jugement avant dire droit en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation environnementale initiale et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Toutefois, à compter de l'intervention de la mesure de régularisation prise dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 de ce code sont privées d'objet.
3. Il résulte de ce qui précède qu'à compter de la délivrance, les 14 et 19 février 2024, par les préfets de la Drôme et de l'Isère, de l'autorisation modificative visant à régulariser le vice relevé par le tribunal administratif de Grenoble dans son jugement avant dire-droit du 14 juin 2022, les conclusions dirigées par l'association Pour la rivière Joyeuse et autres contre ce jugement en tant qu'il a mis en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ont été privées d'objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
Sur la recevabilité du surplus des conclusions de la requête :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la CAVRA :
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'association Pour la rivière Joyeuse et autres, qui ont demandé l'annulation de l'arrêté des préfets de la Drôme et de l'Isère des 18 et 21 octobre 2019, sont recevables à relever appel du jugement du 14 juin 2022 en tant qu'il a écarté comme non fondés les autres moyens dirigés contre l'autorisation initiale, et a rejeté leur demande d'annulation. La fin de non-recevoir opposée par la CAVRA doit, par suite, être écartée.
En ce qui concerne le fond du litige :
5. En vertu de l'article R. 123-8 du code de l'environnement, le dossier soumis à enquête publique comprend, lorsqu'ils sont requis, l'étude d'impact et son résumé non technique. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa version applicable : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux (...) ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement (...) II. - (...) l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : 1° Un résumé non technique des informations prévues ci-dessous (...) 2° Une description du projet (...) 3° Une description des aspects pertinents de l'état actuel de l'environnement, dénommée "scénario de référence", et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport au scénario de référence peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; 4° Une description des facteurs mentionnés au III de l'article L. 122-1 susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet (...) " . Cette dernière disposition prévoit que l'évaluation environnementale porte, notamment sur la biodiversité du milieu affecté par le projet.
6. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
7. Si l'étude d'impact réalisée préalablement à l'adoption de l'arrêté en litige fait état, dans sa partie consacrée à l'état initial de l'environnement, de la présence, révélée lors d'inventaires effectués en 2013 et 2014, de plusieurs espèces floristiques, faunistiques et avi-faunistiques protégées dans les trois zones humides recensées de la source K..., de Groubat et des Guilhomonts, elle omet, en revanche, de mentionner la présence de cinq espèces protégées, à savoir trois espèces d'amphibiens, la rainette méridionale, le crapaud calamite et le triton alpestre, une espèce de reptile, la couleuvre d'Esculape, et une espèce de mammifère, la loutre d'Europe, dont la présence a été attestée au printemps 2018, soit antérieurement à l'adoption de l'arrêté, dans la ripisylve K... aval, zone non traitée dans l'étude d'impact à l'exception d'un addendum de 2018 mentionnant uniquement l'existence d'une zone humide sans inventaire complémentaire des espèces présentes. Or, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'étude intitulée " Diagnostic de trois zones humides K... : Bois de Groubat, les Guilhomonts, Joyeuse aval " réalisée en 2020 par le GERECO à la demande de la CAVRA à partir d'éléments relevés en 2017 et 2018, que, parmi ces espèces non répertoriées dans l'étude d'impact, deux espèces, le triton alpestre et la loutre d'Europe, présentent un intérêt patrimonial fort.
8. Compte tenu de l'intérêt de ces espèces protégées, de leur vulnérabilité et de la nature du projet envisagé, qui, même s'il a pour objet, à terme, la restauration du lit mineur K..., conduit à intervenir sur les milieux naturel hébergeant ces espèces et à réaliser des travaux susceptibles de détruire, pour partie, leur habitat, l'absence de recensement de ces espèces, dans la description de l'état initial du site, a nécessairement eu pour effet de nuire à l'information complète de la population, en méconnaissance des exigences de l'article R. 122-5 précité du code de l'environnement. Par ailleurs, ces espèces n'ayant pas été recensées dans l'étude d'impact et son addendum, aucune mesure d'évitement, de réduction et compensation des effets négatifs du projet n'a été envisagée. Par suite, l'insuffisance de l'étude d'impact a également été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative par l'absence de toute prescription afférente à ces espèces.
9. Enfin, si les préfets de la Drôme et de l'Isère ont accordé à la CAVRA, par arrêté des 14 et 19 février 2024, une dérogation à l'interdiction figurant au I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement à l'issue d'une procédure de participation du public par voie électronique, une telle consultation, plus réduite que l'enquête publique initiale et effectuée après adoption du projet, ne permet pas de régulariser le vice entachant l'étude d'impact et ses effets tant sur le manque d'information du public que sur le contenu même des prescriptions susceptibles d'assortir l'autorisation. Eu égard à la nature et à l'ampleur de la lacune relevée et aux mesures d'évitement, de réduction ou de compensation que la prise en compte des espèces omises nécessite, imposant, non la réalisation d'un simple complément au dossier d'enquête publique, mais la révision de l'étude d'impact et l'organisation d'une nouvelle consultation du public, dont aucun élément ne permet de préjuger l'issue, une mesure de régularisation du vice relevé ne saurait être envisagée. Il s'ensuit que les requérants sont fondés à soutenir que les insuffisances de l'étude d'impact relatives à l'état initial de l'environnement et à la méconnaissance du principe de prévention entachent d'illégalité l'arrêté en litige et sont de nature à justifier son annulation.
10. Il résulte de ce qui précède que l'association Pour la rivière Joyeuse, MM. G... et H..., le groupement foncier agricole de la Commanderie, MM. A... et F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Grenoble, écartant comme non fondé le moyen tiré de l'insuffisance d'impact, a sursis à statuer sur leur demande. Le surplus du jugement doit, en conséquence être annulé, ainsi que l'arrêté des préfets de la Drôme et de l'Isère des 18 et 21 octobre 2019 portant autorisation délivrée à la CAVRA de réaliser l'opération de requalification du cours K... au titre des rubriques 3.1.2.0, 3.1.5.0, 3.2.1.0, 3.2.2.0, 3.1.2.0, 3.2.3.0, 3.2.5.0, 3.2.6.0, et 3.3.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la CAVRA, partie perdante, doivent être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association Pour la rivière Joyeuse, MM. G... et H..., au groupement foncier agricole de la Commanderie, et à MM. A... et F..., ensemble, la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre le jugement avant-dire droit n° 1908222 du tribunal administratif de Grenoble du 14 juin 2022 en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
Article 2 : Le surplus du jugement n° 1908222 du tribunal administratif de Grenoble du 14 juin 2022 et l'arrêté des préfets de la Drôme et de l'Isère des 18 et 21 octobre 2019 portant autorisation délivrée à la CAVRA de réaliser le projet de requalification du cours K... au titre des rubriques 3.1.2.0, 3.1.5.0, 3.2.1.0, 3.2.2.0, 3.1.2.0, 3.2.3.0, 3.2.5.0, 3.2.6.0, et 3.3.1.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, sont annulés.
Article 3 : L'Etat versera à l'association Pour la rivière Joyeuse, M. G..., M. H..., au groupement foncier agricole de la Commanderie et à M. A... et M. F..., ensemble, la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Pour la rivière Joyeuse, représentant unique, au titre des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo.
Délibéré après l'audience du 31 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY02388