Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 28 octobre 2023 par lesquelles le préfet de la Loire l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de son éloignement, lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'a assigné à résidence.
Par jugement n° 2309165 du 7 novembre 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 9 février 2024, M. B..., représenté par Me Vray, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions susvisées ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir dans un délai de huit jours, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, d'une autorisation provisoire de séjour ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Loire de procéder sans délai à l'effacement de son signalement dans le système d'informations Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen ;
- il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, dès lors qu'en vertu de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien, il dispose de plein droit d'un droit au séjour en France, où il réside depuis plus de dix ans ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen ;
- il justifie de circonstances exceptionnelles faisant obstacle à l'édiction de cette décision ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les modalités de présentation prescrites dans la décision d'assignation à résidence sont disproportionnées et entachées d'erreur d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de la Loire qui n'a pas produit d'observations.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 10 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 27 décembre 1968 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né à Fès au Maroc le 19 juillet 1992, a déclaré être entré en France en 2010. Par un arrêté du 28 octobre 2023, le préfet de la Loire l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de son éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que le préfet de la Loire a notamment visé l'article L. 611-1 5°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement de la décision qu'il a édictée, ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il a fait état, de façon circonstanciée, des motifs de fait justifiant l'édiction de cette décision. Celle-ci comporte ainsi les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 613-1 du code précité.
3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision en litige ni des autres éléments du dossier que le préfet de la Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... au regard des éléments d'information dont il disposait à la date de sa décision. Si le requérant soutient à ce titre qu'il appartenait au préfet de la Loire de vérifier sa nationalité et qu'il se revendique ressortissant algérien comme ses parents, son frère et sa sœur, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé s'est déclaré de nationalité marocaine au cours de son audition par les services de police le 27 octobre 2023 pour des faits de violences avec arme. Il a confirmé cette nationalité dans la fiche d'évaluation de sa vulnérabilité et la fiche d'observations écrites sur la perspective d'un éloignement qu'il a signées le même jour. Il est constant qu'il ne détient aucun document d'identité ou de voyage et qu'il n'a pas donné suite aux sollicitations des services de police afin de vérifier son identité. Par suite, le préfet de la Loire s'étant fondé sur les informations qu'il détenait à la date de sa décision et alors qu'il a, contrairement à ce que soutient l'intéressé, tenté de vérifier la nationalité déclarée par M. B..., le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation doit être écarté.
4. En troisième lieu, M. B..., qui ne justifie pas être de nationalité algérienne, n'est pas fondé à se prévaloir des stipulations de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien susvisé qui ne régissent pas sa situation. Au surplus, les pièces versées au dossier ne démontrent pas une résidence habituelle et continue en France sur une période de dix ans. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations ne peut ainsi qu'être écarté.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". (...) ".
6. Si le requérant, présent sur le territoire français de façon discontinue depuis plusieurs années, déclare que ses parents, son frère et sa sœur y résident en situation régulière, il est constant qu'il est âgé de 31 ans, célibataire et sans charge de famille. Il ne justifie d'aucune intégration sociale ou professionnelle alors même qu'il a obtenu à l'âge de 23 ans un certificat d'aptitude professionnelle en qualité d'employé de vente. Il a nécessairement conservé des attaches familiales et privées dans son pays d'origine. S'il soutient que sa présence est nécessaire auprès de sa mère, cette seule circonstance ne saurait démontrer qu'en prenant la décision en litige portant obligation de quitter le territoire français le préfet de la Loire aurait porté, compte tenu des buts en vue desquels elle a été prise, une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
9. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
10. En l'espèce, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an prononcée à l'encontre de M. B... ne comporte pas, ainsi que le soutient le requérant, la référence aux quatre critères visés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Après avoir visé l'article L. 612-6 du code précité, le préfet de la Loire s'est borné à indiquer que " compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée de l'interdiction de retour d'une durée d'un an ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au regard de sa vie privée et familiale ". Ce faisant, il n'a pas mis en mesure M. B... de comprendre les motifs justifiant l'interdiction de retour d'une durée d'un an prononcée à son encontre. Une telle motivation n'atteste pas notamment de la prise en compte par le préfet de la Loire du critère tiré de l'existence ou de l'absence d'une précédente mesure d'éloignement ni de celui de la menace pour l'ordre public ou non que constitue la présence de l'intéressé sur le territoire français. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre de cette décision, M. B... est fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée. Pour ce motif, cette décision doit être annulée.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
11. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".
12. Il ressort de la décision portant assignation à résidence en litige que M. B... a l'obligation de se présenter du lundi au vendredi, y compris les jours fériés, à 10 heures au commissariat de police de Saint-Etienne. En se bornant à faire état de ce que les obligations de pointage ainsi rappelées sont disproportionnées sans faire état des contraintes ou obstacles l'empêchant d'y satisfaire, le requérant ne conteste pas utilement les modalités de présentation fixées dans l'assignation à résidence contestée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet de la Loire à ce titre doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Loire du 28 octobre 2023 lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Aux termes des dispositions de l'article R. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, aux cas d'extinction du motif d'inscription dans ce traitement ". Aux termes de l'article 7 du décret du 28 mai 2010 : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription (...) ".
15. Il résulte de ces dispositions que l'annulation de l'interdiction de retour prise à l'encontre de M. B... implique seulement, mais nécessairement, l'effacement sans délai du signalement aux fins de non admission dans le système d'informations Schengen résultant de cette décision. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Loire de mettre en œuvre sans délai la procédure d'effacement de ce signalement à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
16. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif, l'Etat n'étant pas partie perdante pour l'essentiel.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 28 octobre 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an prise par le préfet de la Loire à l'encontre de M. B... est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2309165 du 7 novembre 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Loire de mettre en œuvre sans délai la procédure d'effacement du signalement de M. B... aux fins de non admission dans le système d'informations Schengen à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2024.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-NérisLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Florence Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière
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N° 24LY00340