Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2306052 du 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 7 septembre 2023, enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023 et un mémoire enregistré le 4 janvier 2024, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 novembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Il soutient que :
- Mme E... ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants de nationalité française ; c'est dès lors à tort que le tribunal a annulé l'arrêté attaqué ;
- aucun des moyens soulevés à l'appui de la demande présentée devant le tribunal n'est fondé.
Par des mémoires enregistrés le 19 septembre 2024 et le 23 octobre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme E..., représentée par Me Aboudahab, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement contesté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Tallec, président.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante marocaine née le 21 mars 1987 à Bouabut (Maroc), s'est mariée le 17 décembre 2012 au Maroc avec un ressortissant français, M. B... D..., avec lequel elle a eu deux enfants, A..., né à Agadir (Maroc) le 2 janvier 2014, et Salah, né à Vienne (Isère) le 18 février 2018. Elle a bénéficié jusqu'au 14 février 2022 d'un titre de séjour temporaire en sa qualité de mère d'enfants français, dont elle a sollicité le renouvellement. Par un arrêté du 7 septembre 2023, le préfet de l'Isère a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 7 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a prononcé l'annulation de cet arrêté et lui a enjoint de munir Mme E... d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, et de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours d'un séjour effectué au Maroc au début de l'année 2021, Mme E... a été arrêtée et détenue pendant un mois, son mari s'étant plaint de ce qu'elle était coupable d'adultère et d'incitation à la débauche. A sa sortie de détention, alors que son mari était retourné en France avec les deux enfants en ayant emporté avec lui sa carte de séjour, et qu'il avait engagé une procédure de divorce, la requérante a dû solliciter la délivrance d'un visa de retour pour pouvoir revenir sur le territoire français. Elle a pu effectivement entrer en France le 21 juillet 2021, soit quelques jours après le jugement du tribunal de première instance d'Agadir prononçant le divorce des intéressés, qui confie au père la garde des enfants, mais accorde à la mère un droit de visite chaque dimanche, la première moitié de chaque jour férié, le lendemain de chaque fête religieuse et la moitié des vacances scolaires. Le 26 juillet 2021, Mme E... a déposé plainte contre son ex-mari au commissariat de police de Vienne, l'accusant d'avoir tenté de l'empoisonner lorsqu'ils séjournaient au Maroc, et faisant état de ce qu'il était parti avec leurs enfants, qu'elle n'avait pas vus depuis le mois de février précédent, et résiderait près de Mulhouse avec une nouvelle compagne. Le 16 décembre 2022, elle a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Mulhouse en vue de la fixation des modalités d'exercice de l'autorité parentale sur les deux enfants. Dans ces circonstances, il est établi que les liens entre la requérante et ses enfants français ont été interrompus contre sa volonté, en dépit des droits que le juge marocain lui avait reconnus, alors qu'elle a entrepris les démarches en vue de les rétablir, et assumer sa part de la charge de leur entretien et de leur éducation. Alors même qu'à la date de l'arrêté attaqué, ces démarches n'avaient pas encore abouti, le préfet de l'Isère ne pouvait, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses liens avec ses enfants, lui refuser, sur le fondement des dispositions citées au point précédent, le renouvellement de sa carte de séjour.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé l'annulation de son arrêté du 7 septembre 2023.
Sur les frais liés au litige :
5. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme E... à l'occasion de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2024 .
Le président rapporteur,
Jean-Yves Tallec
La présidente assesseure,
Emilie Felmy
La greffière,
Florence Bossoutrot
Le président,
Jean-Yves TallecLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03772