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13/11/2024 | FRANCE | N°23LY03113

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 13 novembre 2024, 23LY03113


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 22 avril 2020 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer une autorisation de travail, et d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2004176 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Vigneron, demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 22 avril 2020 par laquelle le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer une autorisation de travail, et d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2004176 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Vigneron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 avril 2023 ;

2°) d'annuler la décision du préfet de l'Isère du 22 avril 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer une autorisation de travail, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil sous réserve de renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Il soutient que :

- il a lui-même sollicité la délivrance d'une autorisation de travail et a dans le même temps déposé une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ;

- son expérience professionnelle n'a pas été prise en compte dans la mesure où il lui est opposé l'inadéquation entre ses diplômes et l'emploi visé, alors qu'il justifiait d'une expérience longue de quatorze ans sur des postes similaires ;

- la situation de l'emploi ne lui est pas opposable dès lors notamment que le poste d'opérateur régleur pour lequel il a sollicité une autorisation de travail figure à l'annexe I de l'arrêté du 1er avril 2021 ;

- la condition de respect de la législation relative au travail et à la protection sociale est remplie dès lors que l'employeur n'a fait l'objet d'aucune condamnation sur ce point ;

- le préfet n'a pas épuisé son pouvoir de régularisation ;

- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration.

Par une décision du 16 août 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- l'arrêté interministériel du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;

- l'arrêté du 28 octobre 2016 fixant la liste des pièces à fournir pour l'exercice, par un ressortissant étranger, d'une activité professionnelle salariée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant marocain, est entré en France en 2019, sous couvert d'un titre de séjour " Permesso di Soggiorno " délivré par les autorités italiennes. Il a travaillé en qualité d'intérimaire, puis il a été embauché, le 1er juillet 2019, par la société AMV 38, en qualité d'opérateur régleur sur machines à commandes numériques, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Le 20 février 2020, une autorisation de travail a été demandée à son bénéfice. Le service de la main d'œuvre étrangère de l'unité départementale de l'Isère de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a demandé à la société AMV 38, le 3 mars 2020, de lui fournir les pièces manquantes nécessaires à l'instruction de cette demande d'autorisation de travail. Par un courriel du 18 mars 2020, l'employeur n'a transmis qu'une partie des documents demandés. Le préfet de l'Isère a rejeté la demande d'autorisation de travail, par une décision du 22 avril 2020. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France pour une durée d'un an au minimum (...) reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an, renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / Après trois ans de séjour régulier en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent peuvent obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. (...)". Aux termes de l'article 9 du même accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord ". Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : 1° A l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du code du travail (...). Aux termes de l'article L. 313-14 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. /Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. /Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

3. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, traitant ainsi de ce point au sens de l'article 9 de cet accord, il fait obstacle à l'application des dispositions des articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers lors de l'examen d'une demande d'admission au séjour présentée par un ressortissant marocain au titre d'une telle activité. Cet examen ne peut être conduit qu'au regard des stipulations de l'accord, sans préjudice de la mise en œuvre par le préfet du pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité de délivrer à titre de régularisation un titre de séjour à un étranger ne remplissant pas les conditions auxquelles cette délivrance est normalement subordonnée, pouvoir dont les stipulations de l'accord ne lui interdisent pas de faire usage à l'égard d'un ressortissant marocain.

4. L'accord franco-marocain renvoie ainsi, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Il en va notamment ainsi, pour le titre de séjour " salarié " mentionné à l'article 3 cité ci-dessus délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ", des dispositions des articles R. 5221-17 et suivants du code du travail, qui précisent les modalités selon lesquelles et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce, au vu notamment du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de travail.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 5221-1 du code du travail : " Pour exercer une activité professionnelle salariée en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail (...) : 1° Etranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ; (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-3 du même code : " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : (...) 8° La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", délivrée en application du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...). ". Aux termes de l'article R. 5221-11 du même code : " La demande d'autorisation de travail relevant des (...) 8° (...) de l'article R. 5221-3 est faite par l'employeur. / (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-17 du même code : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est prise par le préfet. (...). ". Aux termes de l'article R. 5221-20 du même code, dans sa version applicable au litige : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ; (...) / 3° le respect par l'employeur (...) de la législation relative au travail et à la protection sociale ; (...) ".

6. Pour rejeter la demande d'autorisation de travail de M. B..., le préfet de l'Isère a relevé d'une part, que certaines des pièces nécessaires à l'instruction du dossier de demande n'avaient pas été transmises au service compétent en dépit d'un courrier adressé à l'employeur de celui-ci et qu'aucun élément ne justifiait du dépôt d'une offre d'emploi, d'autre part, que les diplômes détenus par le requérant, soit un CAP en comptabilité et un diplôme de technicien " analyste programmeur ", n'étaient pas en adéquation avec l'emploi d'opérateur régleur, enfin que l'intéressé travaillait depuis le 28 janvier 2019 sans autorisation de travail ni titre de séjour.

7. En premier lieu, M. B... ne peut utilement faire valoir le moyen tiré de l'erreur de droit que le préfet aurait commise en lui opposant la situation de l'emploi, en application des dispositions rappelées au point 5, dès lors que la profession de régleur n'est pas visée à l'arrêté interministériel du 18 janvier 2008 susvisé, seul applicable à sa situation à la date de la décision attaquée. L'arrêté du 1er avril 2021 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, postérieur à la décision attaquée, ne peut en constituer la base légale, de sorte que M. B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ce texte.

8. En deuxième lieu, il résulte du 3°) de l'article R. 5221-20 du code du travail que le respect par l'employeur de la législation relative au travail et à la protection sociale constitue l'une des conditions d'octroi d'une autorisation de travail. Par suite, le préfet de l'Isère pouvait à bon droit opposer à M. B... la circonstance qu'il travaillait depuis le 28 janvier 2019 sans autorisation de travail ni titre de séjour, sans préjudice de la modification ultérieure de ces dispositions qui prévoient que le non-respect de cette condition n'est opposable que si l'employeur a fait l'objet d'une condamnation sur ce fondement.

9. En troisième lieu, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, il ressort des pièces du dossier que l'administration a adressé le 3 mars 2020 à la société AMV 38 un courrier par lequel elle a sollicité la production de pièces manquantes pour procéder à l'instruction de la demande d'autorisation de travail présentée au bénéfice de M. B..., mais que l'entreprise n'a pas fourni les éléments justifiant de ses recherches de candidats effectuées au début de l'année 2019 en vue du recrutement pour le poste d'opérateur régleur ni de l'absence de profils correspondants aux attentes relatives à ce poste, en méconnaissance de l'arrêté du 28 octobre 2016 fixant la liste des pièces à fournir à l'appui d'une demande d'autorisation de travail. Dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article R. 5221-11 du code du travail rappelées au point 5, la demande d'autorisation de travail est faite par l'employeur, le préfet de l'Isère n'était pas tenu de solliciter la production de ces pièces auprès de M. B.... Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration.

10. En quatrième lieu, si M. B... se prévaut d'une expérience professionnelle, établie devant le tribunal administratif de Grenoble, qui faisait obstacle à ce que l'administration lui oppose l'inadéquation entre ses diplômes et l'emploi visé, il ressort de la décision attaquée que celle-ci est également fondée sur les autres motifs rappelés au point 6, dont le bien-fondé a été reconnu aux points 7 à 9 et qui sont à eux seuls suffisants pour la justifier.

11. En cinquième et dernier lieu, M. B..., qui conteste seulement la décision portant refus d'autorisation de travail du 22 avril 2020 et se borne par ailleurs à produire une copie illisible d'un récépissé de demande de carte de séjour, n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait engagé des démarches à fin de régularisation de sa situation au regard de son droit au séjour en France. Par suite, le moyen tiré de l'erreur du préfet à n'avoir pas fait usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation tel que rappelé au point 3 doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

13. Le présent arrêt rejetant les conclusions en annulation présentées par M. B..., et n'appelant, dès lors, aucune mesure d'exécution, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B....

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Florence Bossoutrot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03113


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03113
Date de la décision : 13/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-01 Étrangers. - Emploi des étrangers. - Mesures individuelles. - Titre de travail.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : VIGNERON

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-13;23ly03113 ?
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