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07/11/2024 | FRANCE | N°24LY00150

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 07 novembre 2024, 24LY00150


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2309207 du 2 novembre 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.



Procédure devant la

cour



Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Vray, demande à la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2309207 du 2 novembre 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Vray, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans le délai de 8 jours, de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour et dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir de réexaminer sa situation administrative en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal a entaché son jugement d'un défaut de motivation et d'une erreur d'appréciation sur les moyens tirés de l'insuffisante motivation et de la méconnaissance du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen nouveau tiré de l'erreur de fait ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- l'obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- elle méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant au sens de l'article 3 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'un détournement de procédure ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sa durée présente un caractère disproportionné au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du droit de sa fille à grandir auprès de ses deux parents.

Par un mémoire, enregistré le 27 juin 2024, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2023.

Par ordonnance du 11 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juillet 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,

- et les observations de Me Vray, représentant M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 18 septembre 1996, est entré en France en 2021 selon ses déclarations. A la suite d'un flagrant délit pour des faits de violences conjugales, l'intéressé a fait l'objet d'une interpellation le 28 octobre 2023 à 11 heures 30 puis d'une audition par les services de police et par un arrêté du même jour, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement susvisé du 2 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des points 3 et 6 du jugement attaqué que le premier juge, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments présentés devant lui, a répondu, et de manière suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui était soumise, au moyen tiré de l'insuffisante motivation et au moyen tiré de la méconnaissance du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

3. Faute de préciser la teneur du " moyen nouveau tiré de l'erreur de fait " qui a été par lui formulé au cours de l'audience devant le premier juge, l'appelant ne met pas à même la cour d'apprécier la pertinence de sa critique selon laquelle le jugement serait entaché d'un défaut de réponse à un moyen. En tout état de cause, si le premier juge a relevé que la circonstance que le préfet a, à tort, considéré que M. A... ne justifiait pas de l'autorité parentale sur sa fille était en l'espèce sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, cette circonstance, qui est seulement susceptible de vicier l'appréciation des faits de l'espèce, est sans effet sur la régularité du jugement.

4. Enfin, si l'appelant fait valoir que les premiers juges ont commis des erreurs d'appréciation et des contradictions en écartant ses moyens de légalité externe et interne, de telles erreurs, à les supposer établies, relèvent de l'appréciation du bien-fondé de leur jugement et non de sa régularité.

Sur la légalité de l'arrêté :

5. L'arrêté attaqué vise les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles pertinents du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment les articles L. 611-1, 1° et L. 612-2 et suivants sur lesquels se fonde l'arrêté en litige. Il ressort également des termes de la décision en litige qu'elle comporte de nombreux développements relatifs notamment à la situation administrative, personnelle et familiale de M. A..., et aux conditions et à la durée de séjour de l'intéressé. Par suite, le préfet de l'Isère, qui n'était pas tenu de mentionner l'ensemble des éléments se rapportant à la situation personnelle de l'intéressé, n'a pas entaché son arrêté d'une insuffisance de motivation.

6. Il ne ressort ni de la motivation de l'arrêté attaqué, ni des autres pièces du dossier, que le préfet de l'Isère n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressé avant de prononcer la décision contestée au regard notamment des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. M. A..., qui ne justifie pas être entré régulièrement sur le territoire français et qui s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, ne conteste pas entrer dans le champ d'application du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est le père d'une enfant de nationalité française, Nour, née le 18 août 2023 à Echirolles, pour laquelle il a fait une déclaration de reconnaissance prénatale le 3 février 2023 et qu'il dispose, ce faisant, de l'autorité parentale sur sa fille par application des articles 316 et 372 du code civil. Toutefois, ainsi que l'a relevé le premier juge dans le jugement attaqué, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté par l'appelant que, le 28 octobre 2023, sa compagne a appelé les services de police à leur domicile en raison de violences physiques commises par M. A... sur elle en présence de leur bébé âgé de deux mois, qu'elle a indiqué que M. A... l'aurait giflée, poussée sur le lit et attrapée par le cou, que les policiers venus au domicile ont constaté que son visage présentait des traces rouges au niveau de l'œil gauche. Il ressort également des pièces du dossier et n'est pas contesté que, lors de l'audition par les services de police, sa compagne a expliqué que les violences du 28 octobre 2023 ont eu lieu alors qu'elle demandait à M. A... de l'aider à s'occuper de l'enfant et elle a précisé que M. A... a commencé à se montrer violent à partir d'août 2023, mois de sa naissance, et déclaré que, le 10 octobre 2023, M. A... lui avait également porté des coups, avait tiré ses cheveux, l'avait giflée et qu'il avait jeté sa trottinette sur la poussette de l'enfant. Lors de cette même audition, sa compagne a indiqué aux autorités de police qu'elle avait porté plainte pour ces violences commises le 10 octobre 2023 et avait ensuite retiré sa plainte par peur des représailles du requérant. A l'appui de sa requête, M. A..., qui ne conteste pas ces faits de violence, se borne à produire des attestations de proches de sa compagne et des factures d'achat d'articles de puériculture, et un document justifiant de la prise d'un rendez-vous en mairie de Grenoble au service des mariages. Dans ces circonstances particulières, compte tenu de la gravité des violences commises et de leur occurrence en présence de son enfant âgé de deux mois, et alors qu'il n'a pas justifié d'autre adresse domiciliaire que celle de son hébergement chez un tiers, M. A... ne peut être regardé comme établissant, par les seules pièces versées au débat, une participation effective à l'entretien et à l'éducation de celui-ci. Par suite et dans ces conditions, en prenant la décision attaquée, le préfet de l'Isère n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 5° de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

11. M. A... reprend en appel les moyens soulevés en première instance, tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant. Cependant, en se bornant à réitérer son argumentation déjà exposée en première instance, il ne développe au soutien de ces moyens aucun argument de droit ou de fait pertinent de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le magistrat désigné. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge au point 7 du jugement attaqué.

12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'obligation de quitter le territoire français, qui est fondée eu égard à la circonstance non contestée, qu'il est entré en France irrégulièrement et s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour, aurait eu pour motif déterminant d'éloigner l'intéressé du territoire français avant qu'il ne soit statué sur sa demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français le 30 octobre 2023. Par suite, le moyen tiré du détournement de procédure doit être écarté.

13. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction prévue à l'article L. 612-11 ".

14. Il ressort de la décision en litige que, pour lui faire interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, le préfet de l'Isère a retenu l'entrée et le maintien irréguliers de M. A... sur le territoire français, sans avoir cherché à régulariser sa situation, le fait que son comportement constituait un trouble à l'ordre public, qu'il ne respectait pas les lois de la République, ne démontrait pas l'intensité de ses liens en France et qu'il n'était pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Si le requérant soutient qu'il réside en France depuis trois ans, qu'il est en couple avec une ressortissante française depuis décembre 2021 et père d'un enfant français, ne jamais avoir fait l'objet d'une condamnation pénale en France, compte tenu de son comportement et de sa situation familiale, ces seules circonstances ne permettent pas de considérer, en l'espèce, que le préfet de l'Isère aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en interdisant à M. A... de retourner sur le territoire français pour la durée de deux ans ni que le préfet aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Compte tenu des circonstances de l'espèce, le préfet de l'Isère n'a pas non plus commis une erreur d'appréciation en fixant la durée de cette interdiction à deux ans.

15. Il résulte de ce qui précède que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

M. Haïli, président-assesseur,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.

Le rapporteur,

X. Haïli

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 24LY00150


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00150
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Xavier HAILI
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : VRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;24ly00150 ?
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