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30/10/2024 | FRANCE | N°23LY03940

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 30 octobre 2024, 23LY03940


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 23 février 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2302373 du 25 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la co

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Par une requête enregistrée le 22 décembre 2023, Mme D..., représentée par Me Dachary, demande à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 23 février 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2302373 du 25 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 décembre 2023, Mme D..., représentée par Me Dachary, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Ain du 23 février 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocat d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement contesté :

- alors que la préfète avait seulement demandé une substitution de motif, le tribunal a procédé d'office à une substitution de base légale sans lui donner l'occasion de formuler des observations ;

- une telle substitution n'était en outre pas autorisée, l'article R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne subordonnant pas la délivrance du titre de séjour sollicité au dépôt d'une demande dans un délai de trois mois ;

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- la signataire de l'arrêté attaqué était incompétente ;

- le refus de délivrance d'un titre de séjour n'a pas été précédé d'un examen de sa situation personnelle ;

- ce refus méconnaît les articles L. 233-1 et L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou est à tout le moins entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- cette mesure est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée, en ce qu'elle se borne à mentionner un refus de délivrance d'un titre de séjour qui ne suffit pas à prononcer une mesure d'éloignement sur le fondement de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, dès lors que l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas applicable aux membres de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2024, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- elle aurait pris les mêmes décisions si elle s'était fondée sur le motif tiré de ce que la requérante n'est pas à charge de son fils de nationalité italienne ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 27 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2024.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Tallec, président,

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante tunisienne née le 26 juillet 1945 à Bouhajla (Tunisie), est entrée en France en dernier lieu le 11 septembre 2021, sous couvert d'un titre de séjour italien valable jusqu'au 11 avril 2022, pour y rejoindre son fils de nationalité italienne et ses quatre petits-enfants. Par un arrêté du 23 février 2023, la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme D... relève appel du jugement du 25 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, si la préfète de l'Ain, dans ses écritures en défense en première instance, n'a pas expressément demandé au tribunal de procéder à une substitution de base légale, elle a clairement soutenu que sa décision était légalement fondée sur les dispositions des articles L. 233-2 et R. 233-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces écritures ayant été communiquées à Mme D..., qui a été ainsi mise en mesure de formuler ses observations sur ce point, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait entaché son jugement d'irrégularité sur ce point, ne peut être accueilli.

3. En deuxième lieu, à la supposer avérée, la circonstance que l'arrêté attaqué ne pourrait être légalement pris sur le fondement de la base légale substituée par le tribunal à celle sur laquelle l'arrêté était originellement fondé, qui relève d'une critique de fond du jugement attaqué, est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, ainsi que les premiers juges l'ont retenu par des motifs non critiqués en appel, l'arrêté attaqué a été signé par Mme C... B..., directrice de la citoyenneté et de l'intégration de la préfecture de l'Ain, qui disposait d'une délégation régulière de signature à cette fin accordée par un arrêté de la préfète de l'Ain du 31 janvier 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 1er février 2022

5. En deuxième lieu, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que celui-ci a été pris après un examen complet de la situation personnelle de Mme D....

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 200-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent livre détermine les règles applicables à l'entrée, au séjour et à l'éloignement : (...) 3° Des membres de famille des citoyens de l'Union européenne et des étrangers qui leur sont assimilés, tels que définis à l'article L. 200-4 (...) ". Aux termes de l'article L. 200-4 du même code : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : (...) / 4° Ascendant direct à charge du citoyen de l'Union européenne ou de son conjoint. ". Aux termes de l'article L. 233-2 dudit code : " Les ressortissants de pays tiers, membres de famille d'un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées aux 1° ou 2° de l'article L. 233-1, ont le droit de séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois. Il en va de même pour les ressortissants de pays tiers, conjoints ou descendants directs à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées au 3° de l'article L. 233-1 ". L'article R. 233-15 de ce code précise : " Les membres de famille ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 233-2 présentent dans les trois mois de leur entrée en France leur demande de titre de séjour avec leur passeport en cours de validité ainsi que les justificatifs établissant leur lien familial et garantissant le droit au séjour du citoyen de l'Union européenne accompagné ou rejoint ".

7. Il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière de la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, qu'elles transposent en droit français, que pour qu'un ascendant direct d'un citoyen de l'Union européenne puisse être considéré comme étant " à charge " de celui-ci, l'existence d'une situation de dépendance réelle doit être établie. Cette dépendance résulte d'une situation de fait, caractérisée par la circonstance que le soutien matériel du membre de la famille est assuré par le ressortissant communautaire ayant fait usage de la liberté de circulation ou par son conjoint. Afin de déterminer l'existence d'une telle dépendance, l'Etat membre d'accueil doit apprécier si, eu égard à ses conditions économiques et sociales, l'ascendant direct d'un citoyen de l'Union européenne ne subvient pas à ses besoins essentiels. La nécessité du soutien matériel doit exister dans l'Etat d'origine ou de provenance d'un tel ascendant au moment où il demande à rejoindre ledit citoyen, c'est-à-dire avant son entrée dans l'Union européenne. La preuve de la nécessité d'un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l'existence d'une situation de dépendance réelle de celui-ci. Le fait en revanche, qu'un citoyen de l'Union européenne procède régulièrement, pendant une période considérable, au versement d'une somme d'argent à cet ascendant, nécessaire à ce dernier pour subvenir à ses besoins essentiels dans l'Etat d'origine, est de nature à démontrer qu'une situation de dépendance réelle de cet ascendant par rapport audit citoyen existe.

8. En l'espèce, Mme D... fait valoir qu'elle a été hébergée par son fils lorsqu'il vivait en Italie de 2017 jusqu'à avril 2019, qu'elle a été ensuite isolée en Tunisie, du fait de la pandémie de Covid-19, puis qu'elle a rejoint son fils en France en septembre 2021, lequel la prend désormais en charge. Toutefois, la requérante a quitté l'Italie, où un titre de séjour lui avait été délivré, dès avril 2019, soit plusieurs mois avant le début de la pandémie. Elle ne produit aucun élément justifiant de ses ressources dans son pays d'origine ou du soutien financier de la part de son fils antérieurement à son départ de Tunisie. Enfin, elle ne peut utilement faire valoir que depuis février 2023, elle aurait besoin d'une aide de sa famille en raison de son état de santé, dont la dégradation est postérieure à son retour dans l'Union européenne. Dans ces conditions, la requérante ne justifie pas être à la charge de son fils de nationalité italienne et la décision portant refus de délivrer un titre de séjour portant la mention " membre de famille d'un citoyen européen " pouvait être légalement fondée sur la circonstance que la requérante n'avait ainsi pas la qualité de membre de la famille d'un citoyen européen au sens du 4° de l'article L. 200-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le tribunal a pu à bon droit accueillir la substitution de motif et de base légale demandée par la préfète de l'Ain.

9. Mme D... n'entrant pas, ainsi qu'il vient d'être dit, dans le champ d'application des dispositions du livre II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les moyens tirés de ce que la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour méconnaîtrait les articles L. 233-1 et L. 233-2 de ce code et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions, de l'erreur de droit commise par la préfète de l'Ain en faisant application de l'article L. 611-1 du même code, et de l'insuffisance de motivation de la mesure d'éloignement au regard de l'article L. 251-1 dudit code doivent être écartés comme inopérants.

10. En quatrième lieu, Mme D... reprend en appel les moyens, qu'elle avait invoqués en première instance et tirés de ce que le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait illégale en raison de l'illégalité de ce refus, de ce que cette mesure aurait été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et de ce que la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement serait illégale en raison de l'illégalité entachant la mesure d'éloignement. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Lyon aux points 9, 10, 17, 19 et 20 de son jugement.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

12. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles de son conseil tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 octobre 2024.

Le président rapporteur,

Jean-Yves TallecLa présidente assesseure,

Emilie Felmy

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03940


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03940
Date de la décision : 30/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Jean-Yves TALLEC
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : DACHARY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-30;23ly03940 ?
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