Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2301520 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2023, et un mémoire enregistré le 27 mars 2024, M. A..., représenté par Me Robine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Yonne du 12 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le même délai, et de le munir dans l'attente d'un récépissé de demande de titre de séjour et d'une autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence, faute pour le préfet de justifier d'une délégation à son signataire ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il a été pris en méconnaissance du droit d'être entendu reconnu par le droit de l'Union européenne et notamment par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il justifiait de sa présence en France depuis plus de dix ans, et la décision contestée ne pouvait dès lors être prise sans consulter la commission du titre de séjour ;
- sa situation personnelle n'a pas été examinée et le refus de lui délivrer un titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 9 mars 2024, le préfet de l'Yonne, représenté par la SELARL Centaure Avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. A... une somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 29 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
_ le code des relations entre le public et l'administration ;
_ le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Tallec, président,
- et les observations de Me Morel, représentant le préfet de l'Yonne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né le 5 avril 1985 à Souassi (Tunisie), est entré irrégulièrement en France selon ses déclarations au cours de l'année 2008. Il a déposé le 7 février 2022 auprès de la préfecture de l'Yonne une demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre du travail. Par un jugement n° 2202913 du 23 février 2023, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur cette demande, et a enjoint au préfet de l'Yonne de réexaminer celle-ci dans un délai de deux mois. Par un arrêté du 12 mai 2023, ledit préfet a rejeté la demande d'admission exceptionnelle au séjour de M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 21 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué est signé par Mme Pauline Girardot, secrétaire générale de la préfecture de l'Yonne, qui avait reçu délégation pour signer un tel acte par un arrêté du préfet de ce département du 22 août 2022 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 26 août 2022, librement accessible tant au juge qu'aux parties sur le site internet de la préfecture, et sur lequel les premiers juges pouvaient se fonder alors même que l'administration ne l'avait pas produit devant le tribunal. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'incompétence doit dès lors être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle est édictée après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués ".
4. L'arrêté du 12 mai 2023 attaqué vise l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, ainsi notamment que le 3° de l'article L. 611-1 et l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il expose que M. A..., de nationalité tunisienne, déclare être entré en France irrégulièrement, qu'il produit à l'appui de sa demande une promesse d'embauche, qu'il ne justifie pas de la continuité de sa présence en France depuis 2008 et que célibataire et sans enfant, l'intéressé ne démontre pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. Il mentionne en outre que M. A... est très défavorablement connu de l'administration pour avoir fait l'objet de plusieurs interpellations entre 2013 et 2018 pour des faits de conduite sans permis, sans assurance et sous l'empire d'un état alcoolique, usage de faux document administratif, violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte de solidarité et vol aggravé. Il précise encore que l'intéressé a été condamné à plusieurs reprises à des amendes et aux peines de six mois d'emprisonnement avec sursis le 9 août 2017, un an d'emprisonnement dont quatre mois avec sursis le 20 novembre 2018 et huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve de deux ans le 19 mars 2019. Il en conclut que l'intéressé constitue une menace sérieuse pour l'ordre public, circonstance justifiant qu'un délai de départ volontaire lui soit refusé, et, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, qu'une interdiction de retour sur le territoire français d'un an soit prononcée à son encontre. L'arrêté attaqué énonce ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles sont fondées les mesures contestées. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il serait insuffisamment motivé doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".
6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union et ainsi le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Néanmoins, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, le préfet doit être regardé comme mettant en œuvre le droit de l'Union européenne. Il lui appartient, dès lors, d'en appliquer les principes généraux, dont celui du droit à une bonne administration. Il résulte notamment de ce principe le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.
7. En l'espèce, si M. A... soutient, au demeurant sans l'établir, qu'il aurait vainement sollicité un entretien en préfecture, il ne ressort pas des pièces versées au dossier qu'il n'aurait pas été en mesure de formuler des observations écrites et orales avant que l'arrêté attaqué ne soit pris, et en particulier de faire valoir auprès de l'administration tous les éléments utiles à l'examen de sa situation. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été pris en méconnaissance du droit d'être entendu doit dès lors être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 ".
9. Si M. A... fait valoir qu'il résiderait en France depuis son entrée au cours de l'année 2008, il ne produit pour cette année que deux bulletins de paie faisant état d'un emploi en qualité de manœuvre par une exploitation agricole durant soixante-dix-neuf jours. Le requérant ne produit par ailleurs aucune pièce justifiant de sa présence en France entre 2009 et 2011. Pour l'année 2012, l'intéressé produit uniquement une déclaration de cession de véhicule aux termes de laquelle il aurait acheté une voiture, document qui n'est toutefois pas visé par l'administration. Pour l'année 2013, le requérant produit des factures portant sur l'équilibrage des pneus d'une voiture en septembre et une vidange d'huile en octobre, et un avis d'imposition émis en 2014, faisant apparaître un revenu fiscal de référence nul. S'il produit par ailleurs des pièces justifiant d'une affiliation auprès de l'assurance maladie et d'une inscription à Pôle Emploi à la fin de l'année 2014, ainsi que de la déclaration pour cette année de revenus imposables de quelques centaines d'euros, le requérant ne produit aucune pièce relative à l'année 2015, et pour l'année 2016, produit uniquement un avis d'imposition mentionnant de très faibles revenus. Ainsi, les pièces produites ne permettent pas d'établir que M. A... résidait habituellement en France entre 2008 et 2016. Le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait prendre l'arrêté attaqué sans consulter la commission du titre de séjour doit par suite être écarté.
10. En cinquième et dernier lieu, pour refuser l'admission exceptionnelle au séjour sollicitée, le préfet de l'Yonne s'est fondé sur les considérations que M. A..., entré irrégulièrement sur le territoire français, ne justifiait pas de l'ancienneté de son séjour en France, y avait travaillé irrégulièrement, ne justifiait pas être dépourvu d'attache dans son pays d'origine, ni de motifs exceptionnels pour être admis au séjour au titre du travail, et que son comportement constituait une menace sérieuse pour l'ordre public.
11. D'une part, M. A... fait valoir qu'il a obtenu en 2007 en Tunisie un brevet de technicien professionnel de technicien en télécommunication, et qu'il a travaillé depuis 2019 en qualité de poseur d'équipements de télécommunication pour la même entreprise, qui lui a consenti en octobre 2022 une promesse d'embauche sous condition de régularisation .Toutefois, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir que les compétences et l'expérience du requérant seraient indispensables à l'entreprise qui l'a employé irrégulièrement. Par suite, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet de l'Yonne n'a pas fait usage de son pouvoir de régularisation au regard de l'activité professionnelle de M. A....
12. D'autre part, ainsi qu'il a été précisé au point 4, l'arrêté litigieux est également motivé par les atteintes à l'ordre public commises par M. A.... Si celui-ci fait valoir que l'autorité préfectorale n'établit pas qu'il aurait été poursuivi à raison de tous les faits énumérés dans l'arrêté litigieux, le requérant n'en conteste pas la matérialité et ne conteste pas davantage avoir été condamné à trois reprises en 2017, 2018 et 2019, à des peines d'emprisonnement, qui compte tenu de leur nature, n'avaient pas nécessairement à être mentionnées en vertu de l'article 777 du code de procédure pénale, au bulletin n° 3 du casier judiciaire qu'il produit. Dans ces circonstances, le préfet de l'Yonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que son comportement représentait une menace pour l'ordre public.
13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
14. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du préfet de l'Yonne présentées sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de l'Yonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 octobre 2024.
Le président rapporteur,
Jean-Yves TallecLa présidente assesseure,
Emilie Felmy
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03916