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30/10/2024 | FRANCE | N°23LY00613

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 30 octobre 2024, 23LY00613


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision orale du 4 juin 2020 par laquelle l'autorité représentant le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie lui a imposé de prendre quatre jours de congés et de réduction du temps de travail (RTT), ensemble la décision implicite née le 29 septembre 2020 portant rejet de son recours hiérarchique, et d'enjoindre à l'administration de procéder à la restitution de ses deux jour

s de RTT et de ses deux jours de congés.



Par un jugement n° 2006984 du 30 déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision orale du 4 juin 2020 par laquelle l'autorité représentant le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie lui a imposé de prendre quatre jours de congés et de réduction du temps de travail (RTT), ensemble la décision implicite née le 29 septembre 2020 portant rejet de son recours hiérarchique, et d'enjoindre à l'administration de procéder à la restitution de ses deux jours de RTT et de ses deux jours de congés.

Par un jugement n° 2006984 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, M. B..., représenté par Me Maumont, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision orale du 4 juin 2020 par laquelle le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie lui a imposé de prendre des jours de congés et RTT, ainsi que la décision implicite née du rejet de son recours hiérarchique ;

3°) d'enjoindre à l'administration de procéder à la restitution de ses deux jours de RTT et de ses deux jours de congés ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision orale du 4 juin 2020, par laquelle il s'est vu imposer rétroactivement deux jours de RTT les 11 et 12 mai 2020 et deux jours de congés les 18 et 19 mai 2020, est entachée d'illégalité dès lors qu'elle est rétroactive et porte atteinte à la sécurité juridique ;

- elle est en outre entachée d'une erreur de droit dès lors que l'ordonnance du 15 avril 2020 ne permet pas au chef de service d'imposer de manière rétroactive la prise de jours de congés ou de RTT à un agent pour la période du 17 avril au 31 mai 2020 ;

- le délai de prévenance prévu par l'article 2 de l'ordonnance du 15 avril 2020 n'a pas été respecté ;

- les décisions sont entachées d'une erreur de fait dès lors que durant les quatre jours imposés par le chef de service, il était effectivement présent sur son lieu de travail.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie, représenté par Me Prouvez, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-74 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n°2020-546 du 11 mai 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,

- et les observations de Me Litzler, représentant le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjoint technique territorial principal de 2ème classe employé par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie au sein du pôle " logistique et moyens ", a été placé, dans le contexte de l'épidémie de covid-19, en position d'autorisation spéciale d'absence pour la période du 16 mars 2020 au 1er juin 2020, en application d'une note de service du président du conseil d'administration du SDIS du 29 mai 2020. Il soutient avoir fait l'objet d'une décision orale du 4 juin 2020 par laquelle l'administration lui a imposé de prendre deux jours de réduction du temps de travail (RTT) les 11 et 12 mai 2020 et deux jours de congés les 18 et 19 mai 2020. Par un courrier du 29 juillet 2020, il a contesté la décision du 4 juin 2020 et a demandé la restitution de ces jours de RTT et de congés. L'absence de réponse à cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de ces deux décisions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire : " Les fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l'Etat, (...) en autorisation spéciale d'absence entre le 16 mars 2020 et le 31 mai 2020 inclus prennent dix jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels au cours de cette période, dans les conditions suivantes :/ 1° Cinq jours de réduction du temps de travail entre le 16 mars 2020 et le 16 avril 2020 ; / 2° Cinq autres jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels entre le 17 avril 2020 et le terme de la période définie au premier alinéa. Les personnes mentionnées au premier alinéa qui ne disposent pas de cinq jours de réduction du temps de travail prennent au titre du 1°, selon leur nombre de jours de réduction du temps de travail disponibles, un ou plusieurs jours de congés annuels entre le 17 avril 2020 et le terme de la période définie au premier alinéa, dans la limite totale de six jours de congés annuels au titre du 1° et du 2°. / Le chef de service précise les dates des jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels à prendre après le 17 avril en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc. ". Aux termes de l'article 2 de la même ordonnance : " Afin de tenir compte des nécessités de service, le chef de service peut imposer aux fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l'Etat, (...) entre le 17 avril 2020 et le 31 mai 2020 inclus de prendre cinq jours de réduction du temps de travail ou, à défaut, de congés annuels au cours de cette période. Le chef de service précise les dates des jours de réduction du temps de travail ou de congés annuels pris au titre de l'alinéa précédent en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc. ". Aux termes de l'article 7 de la même ordonnance : " Les dispositions de la présente ordonnance peuvent être appliquées aux agents publics relevant de la loi du 26 janvier 1984 susvisée par décision de l'autorité territoriale, dans les conditions définies par celle-ci. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'ordonnance du 15 avril 2020 que, pour les agents bénéficiant d'une autorisation spéciale d'absence du 16 mars au 16 avril 2020, cinq jours de réduction de temps de travail leur sont retirés d'office sans que cette réfaction, nécessairement rétroactive, nécessite de respecter un délai de prévenance, et que, pour les agents en autorisation spéciale d'absence du 17 avril au 31 mai 2020, cinq jours de réduction de temps de travail ou de congés annuels leur sont retirés après un délai de prévenance d'une journée permettant à l'autorité hiérarchique de leur en préciser les dates. Si ces mêmes dispositions obligent ainsi les agents à prendre, à compter du 17 avril, des jours de réduction du temps de travail ou de congés en lieu et place des autorisations spéciales d'absence pendant la période courant jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire au plus tard, le délai de prévenance d'au moins un jour franc avant la date des congés ainsi imposés a pour objet et pour effet d'interdire aux chefs de service d'imposer aux agents en autorisation spéciale d'absence placés sous leur autorité la prise rétroactive de jours de congés au cours de cette période.

4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du tableau relatif à " l'état annuel " de M. B... produit par le SDIS en première instance et daté du 17 janvier 2022, que deux jours de RTT les 11 et 12 mai 2020 et deux jours de congés les 18 et 19 mai 2020 lui ont été décomptés au cours de la période durant laquelle il a été placé en autorisation spéciale d'absence, en conséquence d'une décision qui aurait été oralement prise le 4 juin 2020 par son administration et dont il ressort des écritures du SDIS qu'elle est fondée sur les dispositions précitées de l'ordonnance du 15 avril 2020. Il ne ressort pas en revanche de ces mêmes pièces que le requérant aurait fait l'objet d'une décision, postérieure au 16 avril 2020 et antérieure au 4 juin 2020, respectant le délai de prévenance d'un jour imposé par les dispositions précitées, au titre de l'obligation qui lui a été faite de prendre ces quatre jours de RTT et congés annuels intervenant pour la période postérieure au 16 avril 2020, l'administration reconnaissant d'ailleurs que l'agent ne s'est vu notifier aucune décision relative à la prise de jours de RTT ou de congés les 11, 12 et 18 et 19 mai 2020. Si le SDIS précise encore que la prise de congés et RTT dénoncée résulte d'un commun accord avec M. B... au vu des nécessités de service liées à la crise sanitaire, il n'apporte aucun élément de nature à établir cette circonstance. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que la décision attaquée, en tout état de cause révélée par le tableau de situation le concernant, qui a été prise à titre rétroactif et sans que la condition de prévenance nécessaire à l'application de cette mesure prévue par les dispositions précitées ait été remplie, est entachée d'illégalité pour ce motif. La circonstance que M. B... avait sollicité, par une demande du 30 janvier 2020, le bénéfice de cinq jours de RTT pour la période du 22 au 26 juin, soit en-dehors de la période de crise sanitaire visée par les dispositions précitées et venant à terme le 31 mai 2020, est sans incidence sur cette illégalité. Les moyens tirés du vice de procédure et de la méconnaissance du principe de non-rétroactivité des actes individuels doivent ainsi être accueillis.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ce jugement ainsi que la décision par laquelle le SDIS de la Haute-Savoie a décidé de lui décompter deux jours de RTT et deux jours de congés en cause pour le mois de mai 2020, et la décision implicite de rejet née de l'absence de réponse au recours qu'il a exercé le 29 juillet 2020 doivent être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le président du conseil d'administration du SDIS de la Haute-Savoie restitue à M. B... les quatre jours illégalement décomptés de ses droits à congés et RTT. Il y a ainsi lieu d'enjoindre à cette administration de corriger le décompte des droits de l'intéressé à congés annuels et RTT en créditant celui-ci de deux jours supplémentaires sur ces deux postes, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que le SDIS de la Haute-Savoie demande au titre des frais qu'il a exposés. Les conclusions de M. B... présentées au titre de ces mêmes dispositions, dirigées contre l'Etat, qui n'est pas partie au présent litige, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2022, la décision révélée au cours du mois de juin 2020 par laquelle le service départemental d'incendie et de secours de la Haute-Savoie a décompté à M. B... deux jours de congés annuels et deux jours de RTT au titre du mois de mai 2020, ainsi que la décision implicite née du rejet de son recours hiérarchique exercé le 29 juillet 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au président du conseil d'administration du SDIS de la Haute-Savoie de procéder à la correction du décompte des droits à congés annuels et à RTT de M. B... en le créditant de deux jours supplémentaires à ces deux titres, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... et les conclusions du SDIS de la Haute-Savoie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 octobre 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00613


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00613
Date de la décision : 30/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Application dans le temps - Rétroactivité - Rétroactivité légale.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : CABINET MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-30;23ly00613 ?
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