Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 25 novembre 2020 par laquelle le préfet de l'Isère a rejeté sa demande de regroupement familial formée le 23 janvier 2020 au bénéfice de son mari M. C....
Par un jugement n° 2006565 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 25 novembre 2020 du préfet de l'Isère et lui a enjoint d'accorder à Mme B... épouse C... le regroupement familial au bénéfice de son mari.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de confirmer la décision du 25 novembre 2020.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le motif tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de refus de la demande de regroupement familial a été signée par une autorité compétente et est suffisamment motivée ;
- eu égard à ce qui a été dit plus haut, la décision ne souffre d'aucune inconventionnalité ni illégalité au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et il n'y a pas eu d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 9 avril 2024, Mme B... épouse C..., représentée par Me Cans, demande à la Cour :
1°) à titre principal de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire d'annuler la décision du 25 novembre 2020, et d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui accorder le regroupement familial au bénéfice de son mari dans un délai de quinze jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros qui sera versée à Me Cans sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- chacun des motifs retenus par le tribunal est justifié.
Mme B... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2024.
Par une ordonnance en date du 8 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Haïli, président-assesseur, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante de République démocratique du Congo, née en 1984, qui, selon ses déclarations, est entrée en France en 2012, est bénéficiaire depuis le 25 octobre 2019 d'une carte de résident valable dix ans. Mariée le 29 juin 2019, à Grenoble, avec M. C..., également originaire de République démocratique du Congo, elle a formé, le 21 janvier 2020, une demande de regroupement familial qui a été implicitement rejetée par le préfet de l'Isère, puis expressément rejetée par une décision du 25 novembre 2020. Par le jugement susvisé du 19 octobre 2023, dont le préfet de l'Isère relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 25 novembre 2020 du préfet de l'Isère.
Sur le bien-fondé du motif d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... épouse C... réside en France depuis 2012, et qu'après avoir bénéficié de plusieurs titres de séjours en qualité d'étranger malade, elle est titulaire, depuis le 23 octobre 2019, d'un titre de séjour valable dix ans. Par ailleurs, alors que l'intéressée s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé par une décision du 20 octobre 2020 de la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées de l'Isère, il ressort des pièces du dossier et n'est pas sérieusement contesté qu'elle souffre d'une myasthénie qui nécessite, en raison de cette pathologie, l'assistance de son mari dans sa vie quotidienne. Par suite, alors même que l'époux de l'intimée est présent irrégulièrement en France depuis plusieurs années, dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'en rejetant sa demande de regroupement familial au bénéfice de son mari, il avait porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. En second lieu, pour annuler la décision en litige du 25 novembre 2020, les premiers juges se sont également fondés, d'une part, sur le motif tiré de ce que l'absence de saisine par le préfet du maire de la commune de résidence pour avis sur le dossier de procédure du regroupement familial, en application de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avait privé Mme B... épouse C... d'une garantie de procédure, et d'autre part, sur le motif tiré de ce qu'en refusant de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au motif qu'elle ne disposait pas de revenus suffisants, le préfet de l'Isère a méconnu les dispositions précitées du 2° de l'article L.411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère, qui ne conteste pas les autres motifs d'annulation retenus par les premiers juges, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige du 25 novembre 2020.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme B... épouse C... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate, Me Cans, peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros qui seront versés à Me Cans.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 1 500 euros à Me Cans, avocate de Mme B... épouse C....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B... épouse C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03862