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17/10/2024 | FRANCE | N°23LY00827

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 17 octobre 2024, 23LY00827


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre à cette autorité, sous astreinte, de réexaminer sa situation.



Par un jugement n° 2208387 du 3 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a annulé c

et arrêté (article 2), enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre à cette autorité, sous astreinte, de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2208387 du 3 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a annulé cet arrêté (article 2), enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans des délais respectifs de trois mois et huit jours suivant la notification de ce jugement (article 3), et rejeté le surplus de la demande (article 4).

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 mars 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement en ce qu'il a annulé son arrêté du 1er décembre 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans des délais respectifs de trois mois et huit jours suivant la notification de ce jugement.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné a estimé que le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, de Mme B... avait été méconnu et que l'arrêté contesté était ainsi entaché d'un vice de procédure, alors que, en toute hypothèse, la procédure ne pouvait aboutir à un résultat différent ;

- les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2024, Mme B..., représentée par Me Marcel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet de l'Isère n'est pas fondé.

Par une ordonnance du 5 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 septembre 2024.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Chassagne, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 5 juin 1981 à Kinshasa, déclare être entrée en France le 28 décembre 2019. Elle a demandé le bénéfice du statut de réfugié le 24 janvier 2020 qui lui a été définitivement refusé par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 13 juillet 2022. Le préfet de l'Isère, par un arrêté du 1er décembre 2022, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble qui a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans des délais respectifs de trois mois et huit jours suivant la notification de ce jugement.

Sur le motif de censure retenu par le premier juge :

2. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

4. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a saisi le 24 janvier 2020 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d'une demande d'asile, enregistrée le 18 février 2020, qui a été rejetée par une décision du 23 juillet 2021, dans le cadre de la procédure accélérée sur le fondement de l'article alors codifié L. 723-2 (II 1°) et désormais L. 531-27 (2°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressée ayant présenté lors de son entrée en France un passeport canadien correspondant à une autre identité que la sienne, qu'elle avait usurpée. La CNDA a rejeté le recours de Mme B... formé contre cette décision le 13 juillet 2022. Le préfet de l'Isère s'est fondé sur ces décisions des 23 juillet 2021 et 13 juillet 2022 pour prendre l'arrêté contesté du 1er décembre 2022 sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du même code, l'intéressée n'ayant plus le droit de se maintenir sur le territoire français compte tenu des dispositions de l'article L. 542-1 de ce code. Il n'apparaît pas que Mme B..., préalablement à cet arrêté, aurait été, à un moment de la procédure, informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mise à même de présenter des observations, la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité, ni que le préfet l'aurait mise à même de présenter des observations écrites voire à faire valoir des observations orales. Toutefois, s'il apparaît qu'après le dépôt de sa demande d'asile au mois de janvier 2020, l'intéressée a obtenu un certificat professionnel d' " assistante de vie " et donné naissance à un enfant le 10 juin 2022, alors d'ailleurs que Mme B... n'a pas porté à la connaissance du préfet de l'Isère de tels éléments spontanément et ne justifie pas avoir effectivement déposé une demande de titre de séjour en se bornant à produire des captures d'écran, il n'apparaît cependant pas, ainsi que le fait valoir le préfet, que de telles d'informations, si elles avaient été portées à la connaissance de l'administration avant que ne soit pris l'arrêté en litige, auraient pu faire obstacle à son intervention. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en l'espèce, en l'absence de la privation de Mme B... de son droit d'être entendue, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent. C'est, par suite, à tort, que le premier juge s'est fondé sur le motif tiré d'une méconnaissance du droit d'être entendu pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige et, par voie de conséquence, celle portant fixation du pays de renvoi.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif et la cour.

Sur la légalité de l'arrêté du 1er décembre 2022 :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, par un arrêté du 26 juillet 2022, visé dans l'arrêté en litige, publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour et publiquement accessible, le préfet de l'Isère a donné délégation de signature à M. C... A..., directeur de la citoyenneté de l'immigration et de l'intégration de la préfecture, à l'effet de signer toutes les correspondances et décisions relevant des attributions de sa direction, et notamment y compris les arrêtés d'obligation de quitter le territoire français assortis ou non d'une interdiction de retour sur le territoire français et fixant le pays de destination d'un ressortissant étranger, à l'exception d'actes parmi lesquels ne figure pas le type de décision correspondant à celle qui est contestée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'obligation de quitter le territoire en litige, faute de délégation, doit être écarté.

8. En deuxième lieu, l'obligation de quitter le territoire français contestée, de manière suffisante, analyse la situation personnelle de l'intéressée et mentionne les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment l'article L. 611-1 (4°) de ce code, sur lesquelles le préfet a entendu se fonder. Ainsi, elle est motivée au regard des exigences de l'article L. 613-1 du même code. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision ne peut être admis.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, Mme B... ne se trouvait sur le territoire français que depuis un peu moins de trois années et s'y maintenait en situation précaire en qualité de demandeur d'asile. L'intéressée y demeurait célibataire, et si un enfant né en France le 10 juin 2022 se trouvait avec elle, rien ne permet de penser que ce dernier n'aurait pu l'accompagner hors du territoire national ou retourner avec elle dans son pays d'origine, dont il a la nationalité, notamment en l'absence d'éléments justifiant que le père de cet enfant, compatriote de l'intéressée résidant en Suisse, aurait entretenu des liens avec celui-ci. Il apparaît également qu'elle a vécu auparavant toute son existence en République Démocratique du Congo, où elle bénéficie encore d'attaches, compte tenu de la présence d'enfants dans ce pays. Bien que Mme B... se prévale du suivi, avec succès, d'une formation en qualité d'" assistant de vie aux familles ", elle ne justifie pour autant pas d'une insertion, sur le plan professionnel, d'une particulière intensité, ni par ailleurs, sur le plan personnel. Dès lors, l'obligation de quitter le territoire français en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Aucune méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être retenue. Le moyen ne peut donc être admis.

11. En quatrième lieu, alors que Mme B... ne saurait utilement se prévaloir de son retour en République Démocratique du Congo, à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige, qui n'a pas pour objet ni pour effet, en tant que telle, d'entraîner son retour dans son pays d'origine, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être évoqués au point précédent, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle. Le moyen ne peut être retenu.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la décision fixant le pays de renvoi n'est pas illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Le moyen doit donc être écarté.

13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prendre la décision fixant le pays de renvoi, le préfet de l'Isère se serait crû lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA. Le moyen ne peut être retenu.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

15. Si Mme B... soutient qu'elle encourt des risques de traitements prohibés par les stipulations précitées en cas de retour en République Démocratique du Congo, elle ne produit cependant aucun élément circonstancié permettant de considérer qu'elle serait effectivement exposée, de façon personnelle et directe, à de tels traitements. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ne peut qu'être écarté.

16. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point précédent, le moyen, à le supposer même soulevé par Mme B... tiré de ce que la décision fixant le pays de destination serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation ne peut être admis.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 1er décembre 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans des délais respectifs de trois mois et huit jours suivant la notification du jugement. La demande correspondante de Mme B... présentée devant ce tribunal et ses conclusions devant la cour doivent donc être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2208387 du 3 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a annulé l'arrêté du 1er décembre 2022 et enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de Mme B... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Article 2 : La demande correspondante de Mme B... et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

Le rapporteur,

J. ChassagneLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 23LY00827

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00827
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : MARCEL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;23ly00827 ?
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