Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Frigair France a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015 ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2004946 du 14 novembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2023, et un mémoire enregistré le 16 novembre 2023, la société Frigair France, représentée par Me Tournoud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'établissement des rappels comporte un changement de base légale et de motif des rectifications entre la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable, de sorte que la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité substantielle ;
- les rappels notifiés ne sont pas fondés dès lors que, par le recours exclusif à une telle méthode aux résultats imprécis pour fonder les rappels de taxe en litige, le service n'apporte par la preuve, qui lui incombe, que les écarts ainsi relevés correspondent à des omissions de taxe sur la valeur ajoutée déclarée ;
- eu égard au 1° du 2 de l'article 294 du code général des impôts et aux articles 258 A et article 258 B du même code, en s'abstenant de vérifier si l'intégralité du chiffre d'affaires comptabilisé correspondait à des opérations au titre desquels la taxe sur la valeur ajoutée était exigible en France, l'administration fiscale ne peut être regardée comme établissant l'insuffisance de déclaration ;
- la doctrine administrative (Rép. Gouze : AN 17-1-1983 p. 295 n°21294, BO 3 B-2-8 ; D. adm. 3 B-1121 n° 34, 18-9-2000 ; BOI-TVA-BASE-10-20-10 n° 280,12-9-2012) selon laquelle si la vente est conclue aux conditions " départ ", les biens étant transportés aux risques et périls de l'acheteur, les frais de transport sont exclus des bases d'imposition à la taxe du vendeur à condition que celui-ci les facture à son client pour leur montant exact, est opposable ;
- ainsi, faute d'établir que les frais de port refacturés distinctement et hors taxe par un graveur industriel à ses acheteurs " départ " auraient fait l'objet d'une évaluation forfaitaire, l'administration ne peut les inclure dans le chiffre d'affaires imposable.
Par un mémoire, enregistré le 8 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la société n'est pas recevable à demander la décharge totale des rappels de TVA notifiés au vu du quantum du litige résultant de sa réclamation préalable par laquelle elle a seulement demandé la décharge partielle des impositions supplémentaires mises à sa charge précisément délimitées au rappel de taxe sur la valeur ajoutée collectée pour un montant de 27 956 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et de 18 317 euros au titre de l'exercice clos en 2015 soit un montant total de 46 273 euros ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 novembre 2023, la clôture d'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu au 8 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Frigair France, qui exerce une activité de vente de pièces automobiles àdestination de garagistes, grossistes ou constructeurs, a fait l'objet, en 2017, d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment rappelé, selon la procédure contradictoire, la taxe sur la valeur ajoutée collectée non reversée révélée par le rapprochement entre les chiffres d'affaires portés sur les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée souscrites par la société au titre de la période couverte par les exercices clos en 2014 et 2015 et les données enregistrées en comptabilité. La société Frigair France relève appel du jugement susvisé du 14 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés du chef de ce redressement et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". L'article R. 57-1 du même livre dispose : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'à la suite d'une première proposition de rectification et avant mise en recouvrement, l'administration modifie la base légale des rectifications qu'elle envisage, elle doit, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, en informer le contribuable par la notification d'une nouvelle proposition de rectification ou, si cette modification intervient dans la réponse à ses observations, en accordant au contribuable un nouveau délai de trente jours pour lui permettre de formuler ses observations.
3. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur, dans la proposition de rectification du 23 juin 2017, a fondé la rectification du montant de taxe sur la valeur ajoutée déclaré sur les dispositions des articles 256 et 269 du code général des impôts. Dans sa réponse aux observations du contribuable du 14 septembre 2017, le service s'est borné à détailler le montant du chiffre d'affaires soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, en réponse à la critique formulée par la société sur les bases des calculs retenus par ledit service, sans adopter, même implicitement, une nouvelle base légale ou un nouveau motif de droit à la rectification en cause relativement à la base d'imposition au regard de l'article 267 du même code. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée sont intervenus au terme d'une procédure irrégulière l'ayant privée de la garantie énoncée au point précédent.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
En ce qui concerne la nature des opérations effectuées par la société vérifiée :
4. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code : " 1 Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué ; (...) / 2. La taxe est exigible a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 (...) lors de la réalisation du fait générateur ; (...) / c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits. (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que la fourniture d'un bien corporel et le transfert du droit d'en disposer comme un propriétaire caractérisent une livraison de biens. Toutefois, l'opération peut être qualifiée de prestations de services si, compte tenu de l'importance que les services complémentaires revêtent pour la clientèle, de leur ampleur, du temps nécessaire à leur exécution et de la part de leur coût dans le coût total, ceux-ci ne sont ni mineurs ni accessoires mais présentent un caractère prédominant par rapport à la livraison de sorte qu'ils constituent une fin en soi pour le client.
6. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier la nature d'une opération au regard des règles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
7. Il résulte de l'instruction que la société Frigair France exerce une activité de vente de pièces automobiles (chauffage et climatisation) à des garagistes, des grossistes ou à des constructeurs, via le site internet de la société ou via la plate-forme d'achat " OSCARO.com " et assure l'envoi de pièces automobiles en France métropolitaine et ultra-marine, et dans divers pays de l'Union européenne. Si la société requérante fait valoir que les prestations de services, notamment de réparation au titre du service après-vente, ne présentent pas un caractère accessoire, ce qui justifie le régime d'exigibilité des encaissements auquel elle a soumis la taxe collectée grevant ces prestations, elle n'apporte aucun élément précis et probant au soutien de cette allégation permettant d'apprécier concrètement l'importance de ces services complémentaires, alors que de telles prestations annexes, indissociables d'un point de vue économique, constituent une prestation unique de vente et de livraison de biens corporels. Il s'ensuit que c'est par une exacte application des articles 256 et 269 du code général des impôts que l'administration fiscale a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux opérations réalisées par la société contribuable était exigible lors de la livraison des biens.
En ce qui concerne la méthode d'évaluation de la taxe sur la valeur ajoutée collectée due :
8. En l'absence de remise en cause du caractère régulier, sincère et probant de la comptabilité, l'administration fiscale ne peut, pour apporter la preuve qui lui incombe de ce que la société n'aurait pas déclaré la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'ensemble des recettes encaissées, recourir à une méthode d'évaluation moins précise que les écritures comptabilisées. Il lui est en revanche loisible de procéder à des tests de cohérence des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée en les rapprochant d'autres éléments tirés de la comptabilité de la société, tels les soldes des comptes de produits et ceux des comptes des clients, corrigés de leurs variations entre l'ouverture et la clôture de la période considérée.
9. Il résulte de l'instruction que, lors de la vérification, le service a constaté que de la taxe sur la valeur ajoutée collectée figurait au compte de tiers client n° 4457 de la société à la clôture de chacun des deux exercices comptables selon le régime des encaissements et qu'afin de vérifier les montants de taxe déclarés par la société, il a déterminé, à partir des données comptables, le chiffre d'affaires qui devait être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée lors de la livraison des biens corporels. Il résulte également de l'instruction que l'administration fiscale n'a pas écarté la comptabilité de la société requérante ni procédé à une reconstitution de son chiffre d'affaires. Pour établir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration s'est appuyée sur un contrôle de cohérence effectué à partir d'un rapprochement entre le chiffre d'affaires inscrit en comptabilité et celui mentionné en compte sur les déclarations mensuelles n° 3310CA3. Afin de déterminer le montant de taxe collectée non déclarée, le service a retenu le montant de chiffre d'affaires figurant au compte de produits n° 7071000 " vente de marchandises ", et a également pris en compte le montant de chiffre d'affaires figurant aux comptes de " produits des activités annexes " n° 708, c'est-à-dire les comptes n° 7085100 " port et frais annexe express", n° 7085300 " port et frais annexe messagerie " et aux comptes de produits n° 7085500 " port et frais annexe TAT", ceux-ci étant accessoires à la vente, et constituant un élément du prix total des marchandises. Le service vérificateur a ensuite corrigé ces chiffres d'affaires des escomptes, des produits à recevoir et des pertes sur créances irrécouvrables. A l'issue de cette méthode de vérification, l'administration fiscale a relevé que les encaissements du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 étaient supérieurs aux chiffres d'affaires hors taxe, taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, mentionnés sur les déclarations mensuelles 3310CA3 déposées au titre de cette même période par la société requérante, emportant une discordance en base d'un montant total de 46 273 euros (27 956 euros pour l'exercice 2014 et 18 317 euros pour l'exercice 2015).
10. Alors que ce contrôle de cohérence, appuyé sur les propres écritures comptables de la société à partir d'un pointage des comptes de produit au titre des exercices clos en 2014 et 2015, traduit une comptabilisation correspondant au régime applicable d'exigibilité de la livraison de biens meubles, la société appelante n'explique pas de façon précise et étayée en quoi cette méthode aboutirait à des résultats sommaires ou imprécis. Ainsi, en se limitant à soutenir, sans autre explication et sans produire d'éléments permettant de justifier ces écarts au regard des données comptables et de son chiffre d'affaires déclaré, que l'administration n'établit pas, d'une part, " avoir vérifié si l'intégralité du chiffre d'affaires comptabilisé correspondait à des opérations au titre desquels la taxe sur la valeur ajoutée était exigible en France ", et d'autre part que " les frais de port refacturés distinctement et hors taxe à ses acheteurs départ auraient fait l'objet d'une évaluation forfaitaire ", la société requérante ne met pas à même la Cour d'apprécier la portée de son argumentation sur ce point. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale, qui établit comme elle en a la charge, et ainsi qu'il vient d'être exposé, la validité de ses tests de cohérence, aurait recouru à une méthode moins précise que les écritures comptabilisées. Par conséquent, le moyen tiré de l'erreur commise quant à la méthode employée par l'administration pour évaluer le montant de la taxe sur la valeur ajoutée non collectée de la période en litige doit être écarté.
11. Enfin, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale aurait méconnu la doctrine administrative contenue dans la réponse ministérielle du 17 janvier 1983n°21294, BO 3 B-2-83, et dans les instructions référencées 3 B-1121 n° 34, 18-9-2000 et BOI-TVA-BASE-10-20-10 n° 280, dès lors que ces instructions ne comportent aucune interprétation différente de celle dont il a été fait application.
12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre intimé, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la partie appelante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Frigair France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Frigair France et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00169