Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de déclarer recevable l'intervention du syndicat CFDT Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest, d'annuler la décision du 16 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale Loire Sud-Est a autorisé la société Sarpi La Talaudière à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire, la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé la décision de l'inspectrice du travail et rejeté son recours hiérarchique et la décision du 11 octobre 2021 par laquelle la ministre a rejeté ce recours hiérarchique et confirmé cette décision.
Par un jugement n° 2108256 du 16 juin 2022, le tribunal n'a pas admis l'intervention du syndicat CFDT Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest (article 1er), a annulé les décisions des 16 mars et 11 octobre 2021 (article 2) et rejeté le surplus de la demande (article 4).
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 août et 19 décembre 2022, la société Sarpi La Talaudière, représentée par Me Sapène, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a annulé les décisions des 16 mars et 11 octobre 2021 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. B... en ce qu'elle tendait à l'annulation de ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la procédure de licenciement interne à l'entreprise était viciée, au regard des dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail, la convocation de M. B... à l'entretien préalable ayant respecté le délai légal et aucune intention de lui nuire n'étant démontrée ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Peyrard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'État ou de la société Sarpi La Talaudière en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen critiquant le motif de censure retenu par les premiers juges n'est pas fondé ;
- la décision de la ministre du 11 octobre 2021 est illégale, étant intervenue après la naissance d'une décision implicite de rejet du recours hiérarchique et n'ayant pas été précédée d'un retrait de cette dernière décision ;
- les décisions contestées sont fondées sur des faits matériellement inexacts, les faits fautifs lui étant reprochés n'étant pas suffisamment établis ;
- elles sont entachées d'erreur d'appréciation, les faits lui étant reprochés ne pouvant être qualifiés de fautifs voire d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de le licencier ;
- elles sont entachées d'illégalité, dès lors qu'il existe un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice de ses mandats.
Par un mémoire en intervention enregistré le 10 octobre 2022, le syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT, représenté par Me Peyrard, demande que la cour rejette la requête et qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'État ou de la société Sarpi La Talaudière en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son intervention est recevable au regard de l'article L. 2132-3 du code du travail, dès lors qu'il a intérêt à agir en l'espèce ;
- les moyens soulevés par M. B... sont fondés.
Par un mémoire enregistré le 24 février 2023, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion déclare s'associer aux conclusions présentées par la société Sarpi La Talaudière tendant à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a annulé les décisions des 16 mars et 11 octobre 2021 et au rejet de la demande de première instance de M. B... correspondante.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la procédure de licenciement interne à l'entreprise était viciée au regard des dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail, la convocation de M. B... à l'entretien préalable ayant respecté le délai légal ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 27 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Giraud, substituant Me Peyrard, pour M. B... et le syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., membre titulaire au comité social et économique et délégué syndical, avait été recruté en 2005 en qualité d'opérateur déchets dangereux ménagers et industriels par la société Sarpi La Talaudière, qui fait partie du groupe " Sarp Industries " lui-même sous le contrôle du groupe " Veolia ", dont l'activité principale est la collecte, le traitement et la valorisation de déchets industriels. Sur demande de la société Sarpi La Talaudière du 26 janvier 2021, l'inspection du travail, par une décision du 16 mars 2021, a accordé l'autorisation de licencier M. B... pour motif disciplinaire. Par des décisions implicite puis expresse du 11 octobre 2021, la ministre en charge du travail a rejeté le recours hiérarchique de M. B... formé par un courrier du 7 mai 2021 reçu le 10 suivant. La société Sarpi La Talaudière, à laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion déclare s'associer, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 16 juin 2022 en ce qu'il a, sur demande de M. B..., annulé ces décisions des 16 mars et 11 octobre 2021.
Sur l'intervention du syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT :
2. Le syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT justifie d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué. Ainsi son intervention en défense est recevable.
Sur le motif de censure retenu par les premiers juges :
3. Aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. ". Le délai minimal de cinq jours entre la convocation à l'entretien préalable de licenciement et la tenue de cet entretien constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance vicie la procédure de licenciement.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 26 novembre 2020, adressé le lendemain, la société Sarpi La Talaudière a convoqué M. B... à un entretien préalable à une sanction disciplinaire prévu le 17 décembre 2020. Le pli contenant ce courrier a été retourné à cette société par les services postaux avec la mention " pli avisé et non réclamé ", dont il n'est pas contesté qu'elle l'a reçu le 14 décembre 2020. Il apparaît, au vu d'un constat d'huissier produit en appel par la société Sarpi La Talaudière, que le courrier a été présenté au domicile de l'intéressé le 28 novembre 2020. Si M. B... se trouvait en congés du 24 novembre au 15 décembre 2020 inclus, cette circonstance ne suffisait toutefois pas, même si son employeur, qui l'avait autorisé à prendre ses congés, connaissait cette situation depuis le 26 août 2020, à faire obstacle à ce que cette convocation lui soit régulièrement adressée pendant cette période. Il lui appartenait en particulier de faire les démarches nécessaires pour que ce courrier soit, le cas échéant, acheminé sur son lieu de congés ou relevé en son absence. Ainsi, et quand bien même M. B... s'est rendu à l'étranger pour ses congés et n'est rentré en France que le 15 décembre 2020, n'ayant été informé de la tenue de l'entretien préalable que le lendemain, le délai de cinq jours prescrit par les dispositions ci-dessus, qui sépare la date constituée par le premier jour ouvrable suivant la présentation de la lettre recommandée de la convocation à l'entretien préalable et celle de l'entretien lui-même, a été respecté. Rien, à cet égard, ne permet de dire que son employeur aurait été informé de son lieu exact de congés ou cherché délibérément à le tromper. Par suite, la société Sarpi La Talaudière est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la procédure de licenciement interne à l'entreprise aurait été engagée en violation des dispositions précitées de l'article L. 1232-2 du code du travail.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et la cour.
Sur la légalité des décisions des 16 mars et 11 octobre 2021 :
6. En premier lieu, ni les dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail, ni celles de l'article R. 2421-11 du même code qui précisent notamment que " L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet. ", n'imposent à l'administration de se prononcer dans un délai de quinze jours. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision du 16 mars 2021, prise au-delà d'un délai de quinze jours suivant la réception de la demande d'autorisation de licenciement, serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière et qu'ainsi, celle du 11 octobre 2021 serait elle-même illégale faute pour la ministre d'avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail pour ce motif, ne peuvent qu'être écartés.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet. ".
8. D'une part, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. D'autre part, si le silence gardé par l'administration sur un recours hiérarchique fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement, se substitue à la première décision.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a formé son recours hiérarchique par un courrier reçu le 10 mai 2021, si bien que, en vertu des dispositions citées au point 7 ci-dessus, une décision implicite de rejet est née quatre mois plus tard, soit le 10 septembre 2021. Et puis, par une décision expresse du 11 octobre 2021, qui s'est substituée à la précédente décision implicite, la ministre en charge du travail a rejeté ce recours. M. B..., en admettant même qu'il a entendu soulever un tel moyen, n'est pas fondé à soutenir que la décision expresse, intervenue après la naissance d'une décision implicite, et faute de retrait de cette dernière décision, serait illégale. Le moyen ne saurait donc, en toute hypothèse, être admis.
10. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la demande formée par la société Sarpi La Talaudière auprès de l'inspection du travail, que pour solliciter l'autorisation de licencier M. B... pour faute, elle a reproché à l'intéressé de ne pas avoir, les 19 et 20 novembre 2020, respecté les règles de sécurité relatives à son poste de travail.
12. Il apparaît que, le 19 novembre 2020, M. B... ne portait pas ou n'avait pas correctement revêtu les équipements de protection individuelle lui permettant d'occuper son poste de travail en toute sécurité. Il n'était ainsi pas équipé d'un masque respiratoire de protection lors d'une opération de déconditionnement et ne portait pas correctement les gants de protection chimique qui ne lui couvraient pas l'avant-bras. De même, le 20 novembre 2020, lors d'opérations de tri de déchets, M. B... ne portait pas davantage de manière adéquate, et afin d'éviter le risque de survenance d'un accident, les gants de protection. Trois salariés ont pu témoigner, de manière précise et circonstanciée, de la réalité de ces manquements bien que leurs attestations, qui portent une date erronée, n'ont, pour ce motif, pas été retenues. Il ressort de toutes les façons de deux rapports de l'inspection du travail des 17 juin et 2 septembre 2021 que M. B... a admis ces faits même si, par la suite, et sans sérieusement en justifier, il en a contesté la réalité. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées seraient fondées sur des faits matériellement inexacts ne peut être retenu.
13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche de poste de l'intéressé et des éléments produits par la société Sarpi La Talaudière concernant les règles de fonctionnement et de sécurité de l'atelier au sein duquel il était affecté que, en qualité d'opérateur d'unité dite " déchets dangereux ménagers et industriels ", M. B... devait respecter, qu'il avait notamment pour consigne de revêtir des équipements de protection individuelle détaillés dans cette fiche, que la société lui avait remis. Ces équipements, comme l'a demandé la médecine du travail, sont adaptés à son état de santé. M. B..., qui avait déjà été sanctionné disciplinairement pour des faits similaires en 2018 et en 2020, ne pouvait, du fait de son ancienneté et de son expérience au sein de l'entreprise, ignorer l'importance de ces règles de sécurité, qui lui avait été rappelée à plusieurs reprises par le passé. Dans ces circonstances, les faits en cause doivent être regardés comme fautifs et d'une gravité suffisante pour justifier l'octroi de l'autorisation en litige. Le moyen tiré de ce que ces décisions seraient entachées d'erreur d'appréciation ne saurait être retenu.
14. En cinquième lieu, si M. B... soutient que l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice de ses mandats entacherait les décisions contestées d'illégalité, aucun élément du dossier, et en particulier pas les rapports des 17 et 21 septembre 2021 précédemment évoqués, ne permet de le penser. Le moyen ne peut donc être admis.
15. En dernier lieu, et en toute hypothèse, il résulte de ce qui précède que la décision de la ministre du 11 octobre 2021 n'est pas illégale par voie de conséquence de l'illégalité de celle du 16 mars 2021. Le moyen ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de ce qui précède que la société Sarpi La Talaudière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions des 16 mars et 11 octobre 2021. La demande de première instance de M. B... et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant la cour doivent être rejetées.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme que la société Sarpi La Talaudière réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
18. Ces dispositions s'opposent également à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT fondée sur ces dispositions, dès lors qu'il n'a pas la qualité de partie, mais d'intervenant.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention du syndicat Chimie Énergie Rhône-Alpes Ouest CFDT est admise.
Article 2 : Le jugement du 16 juin 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé en ce qu'il a annulé les décisions des 16 mars et 11 octobre 2021.
Article 3 : La demande de première instance correspondante de M. B... et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Sarpi La Talaudière et le Syndicat Chimie Énergie Rhône Alpes Ouest CFDT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sarpi La Talaudière, à M. B..., au Syndicat Chimie Énergie Rhône Alpes Ouest CFDT et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
J. ChassagneLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02517
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