Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'EURL Société nouvelle d'embouteillage et de filtration (SONEF) a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler le titre de recettes n° 2020-1212 du 12 novembre 2020, par lequel la directrice générale de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer FranceAgriMer a mis à sa charge le remboursement de la somme de 481 600 euros, correspondant à une aide indûment perçue aux investissements vitivinicoles, d'annuler la décision du 16 février 2021 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux dirigé contre ce titre et de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 481 600 euros.
Par un jugement n° 2101024 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2022 et un mémoire enregistré le 10 avril 2024, la SONEF, représentée par la SELARL Itinéraires Avocats, agissant par Me Lacroix, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 6 octobre 2022 ;
2°) d'annuler le titre de recettes n° 2020-1212 du 12 novembre 2020 et la décision du 16 février 2021 par laquelle la directrice générale de FranceAgriMer a rejeté son recours gracieux ;
3°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 481 600 euros ;
4°) de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le signataire du titre de recettes était incompétent ;
- ce titre procède au retrait d'un acte créateur de droit devenu définitif ;
- le délai de prescription de quatre années prévues par le règlement CE Euratom n° 2988/95 du 18 décembre 1995 était expiré depuis le 23 juillet 2018, compte tenu de la décision d'octroi définitif de la subvention, intervenue le 23 juillet 2014 et de l'absence de notification d'un acte interruptif de prescription dans ce délai ;
- les investissements réalisés étaient éligibles au programme d'aide national au secteur vitivinicole prévu par le règlement UE n° 1308/2013 et le décret n° 2013-172 du 25 février 2013 ;
- le versement de l'aide est la conséquence d'une erreur de l'établissement public, qu'elle n'était pas raisonnablement en mesure de déceler, et par voie de conséquence, l'obligation de remboursement ne s'applique pas, en vertu de l'article 80 du règlement (CE) n° 1122/2009.
Par des mémoires en défense enregistrés les 29 février et 2 mai 2024, l'établissement FranceAgriMer, représenté par la SELAS d'avocats Seban et Associés, agissant par Me Vendepoorter, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) au titre de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que la SONEF était éligible à une aide à l'investissement, et de rejeter la demande adressée au tribunal administratif de Dijon ;
3°) de mettre à la charge de la SONEF une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la SONEF n'était pas éligible à l'aide sollicitée ;
- le moyen tiré par la SONEF de l'incompétence du signataire du titre de recettes attaqué, tiré d'une cause juridique nouvelle, n'est pas recevable, et n'est en outre pas fondé ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 23 mai 2024.
Par lettres du 5 septembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident de FranceAgriMer, dirigées contre les seuls motifs du jugement attaqué dont l'établissement public ne conteste pas le dispositif.
En réponse à cette communication, FranceAgriMer a indiqué, par un courrier enregistré le 20 septembre 2024, se désister de ses conclusions incidentes.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 809/2014 de la Commission du 17 juillet 2014 ;
- le règlement délégué (UE) 2016/1149 de la Commission du 15 avril 2016 ;
- le code civil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2013-172 du 25 février 2013 ;
- la décision FILITL/SEM/D 2013-76 du 4 décembre 2013 du directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer FranceAgriMer ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Yves Tallec, président,
- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ollier, représentant la Société nouvelle d'embouteillage et de filtration (SONEF), et celles de Me Goachet, représentant l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Société nouvelle d'embouteillage et de filtration (SONEF), qui réalise des prestations de services en matière de filtration, d'embouteillage et d'étiquetage des vins, a déposé le 8 janvier 2014 un dossier de demande d'aide communautaire aux investissements vitivinicoles auprès de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer FranceAgriMer, dont l'objet était l'acquisition d'une palette de filtration et de deux lignes d'embouteillages polyvalentes. Par une décision du 23 juillet 2014, le directeur général de FranceAgriMer a accordé à la SONEF une aide d'un montant de 481 600 euros. Dans ce cadre, la société a bénéficié le 22 septembre 2014 du versement d'une avance d'un montant de 240 800 euros et le solde de l'aide lui a été versé le 9 février 2017. Toutefois, après un contrôle effectué entre le 6 décembre 2018 et le 9 avril 2019 par la mission " Contrôle des opérations dans le secteur agricole " du ministère de l'économie et des finances, et l'engagement d'une procédure contradictoire en vue de la récupération de ladite aide, la directrice générale de FranceAgriMer a émis le 15 octobre 2020 un titre de recettes tendant au reversement de l'intégralité de l'aide, aux motifs que la SONEF n'était pas une entreprise éligible à celle-ci et que l'investissement relatif aux équipements mobiles ne portait pas sur des dépenses éligibles. Par une décision du 16 février 2021, la directrice générale de FranceAgriMer a rejeté le recours formé par la SONEF contre ce titre de recettes. La SONEF relève appel du jugement du 6 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de recettes et de la décision du 16 février 2021, et à la décharge de l'obligation de payer la somme de 481 600 euros.
Sur l'appel incident :
2. Par ses dernières écritures, FranceAgriMer a indiqué se désister de ses conclusions, présentées au titre de l'appel incident, tendant à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a jugé que la SONEF était éligible à une aide à l'investissement. Ce désistement étant pur et simple, il y a lieu de lui en donner acte.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, le titre de recettes litigieux est signé par M. ..., chef du service juridique et de coordination communautaire, lequel bénéficiait depuis le 6 mars 2020 d'une délégation régulière à cette fin de la part de la directrice générale de FranceAgriMer. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit donc être écarté.
4. En deuxième lieu, la SONEF soutient que le titre de recettes contesté serait intervenu après l'expiration du délai de quatre mois au-delà duquel une décision individuelle créatrice de droits illégale peut être retirée.
5. Il appartient au juge administratif, lorsqu'est en cause la légalité d'une décision de récupération d'une aide indûment versée sur le fondement d'un texte du droit de l'Union européenne, de vérifier si une disposition de ce droit définit les modalités de récupération de cette aide et, dans l'affirmative, d'en faire application, en écartant le cas échéant les règles nationales relatives aux modalités de retrait des décisions créatrices de droits, pour assurer la pleine effectivité des règles du droit de l'Union.
6. Aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité (...) ". L'article 4 de ce règlement précise : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. / (...) ". Il résulte des termes même de ce règlement qu'il a pour objet de constituer une réglementation générale devant servir de cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques de l'Union européenne.
7. Le titre de recettes en litige a été pris pour deux motifs, tirés d'une part de ce que la SONEF n'était pas une entreprise éligible aux aides aux investissements vitivinicoles, dès lors que ni le gérant de la société, ni la structure la détenant n'exerçaient d'activité viticole, et d'autre part de ce que les lignes d'embouteillage n'étaient pas éligibles au dispositif d'aide prévue, en raison de leur caractère mobile et de l'absence de dérogation demandée conformément à la réglementation applicable. Ainsi que le soutient FranceAgriMer, dès lors que l'indu en cause résultait de la méconnaissance par le bénéficiaire des règles définissant les conditions d'octroi de l'aide, les dispositions précitées du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 trouvaient à s'appliquer, à l'exclusion des règles nationales relatives au retrait des décisions créatrices de droits. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité du retrait des décisions de versement précitées au regard des règles de droit interne régissant le retrait des actes administratifs créateurs de droits doit être écarté comme inopérant.
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'aide dont la SONEF a bénéficié a été définitivement accordée par le versement du solde, soit le 9 février 2017. Par suite, en application des dispositions du premier alinéa du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95 cité au point 6, le point de départ du délai de la prescription quadriennale se situe à cette date et non, contrairement à ce que soutient la requérante, à la date de la décision d'attribution de l'aide. Dès lors que le titre litigieux a été émis le 15 octobre 2020, soit moins de quatre ans après le versement du solde, le moyen tiré de la prescription de l'action en répétition de l'indu ne peut qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil a prévu la mise en place de programmes d'aide nationaux pour les exercices financiers 2014-2018. Les dispositions de l'article 50 prévoient que : " 1. Une aide peut être accordée pour des investissements matériels ou immatériels dans les installations de transformation, l'infrastructure de vinification ainsi que les structures et instruments de commercialisation. Ces investissements visent à améliorer les performances globales de l'entreprise et son adaptation aux demandes du marché, ainsi qu'à accroître sa compétitivité, et concernent la production ou la commercialisation des produits de la vigne visée à l'annexe VII, partie II, y compris en vue d'améliorer les économies d'énergie, l'efficacité énergétique globale et les procédés durables. (...) ". Aux termes de l'article 32 du règlement délégué (UE) 2016/1149 de la Commission du 15 avril 2016 complétant le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les programmes nationaux de soutien au secteur vitivinicole et modifiant le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission : " Les bénéficiaires de l'aide visée à l'article 50 du règlement (UE) no 1308/2013 sont les entreprises vitivinicoles produisant ou commercialisant les produits visés à l'annexe VII, partie II, dudit règlement, des organisations de producteurs de vin, des associations de deux ou de plusieurs producteurs ou des organisations interprofessionnelles. ".
10. Aux termes de l'article premier du décret du 25 février 2013 relatif au programme d'aide national au secteur vitivinicole pour les exercices financiers 2014 à 2018 : " Le programme d'aide national au secteur vitivinicole mentionné à l'article 103 decies du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 susvisé et rendu applicable dans les conditions prévues à l'article 103 duodecies de ce règlement et à l'article 2 du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 susvisé pour les exercices financiers 2014 à 2018 est mis en œuvre par l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). / A ce titre, sous réserve de l'article 2, le directeur général de l'établissement détermine notamment, après avis du conseil spécialisé intéressé : / 1° Les modalités de demande des aides, les conditions d'éligibilité aux aides, la procédure et les critères de sélection des demandes, le montant des aides attribuables et leurs modalités de paiement ; / 2° Le cas échéant, le taux de réduction applicable aux aides, en fonction du taux de dépassement des crédits communautaires disponibles ; / 3° Les réductions du montant des aides applicables en cas de non-respect du régime d'aide concerné. ". Le paragraphe 2.2.2, intitulé " Investissements inéligibles ", de l'article 2 de la décision FILITL/SEM/D 2013-76 du 4 décembre 2013 précise : " Les investissements n'entrant pas dans les catégories précédentes sont inéligibles et notamment à titre d'exemple (liste non exhaustive) : / (...) Le matériel mobile sortant du chai, sauf CUMA [coopérative d'utilisation de matériel agricole] et autre cas dûment motivé par une demande de dérogation (...) ".
11. Les deux lignes d'embouteillage polyvalentes, l'une destinée à être intégrée dans une semi-remorque, réalisant dix opérations successives, et l'autre intégrée dans une remorque attelée à un fourgon, permettant une fermeture par capsules à vis et bouchons, objets de l'investissement de la société au titre duquel l'aide était demandée, constituent un " matériel mobile sortant du chai " au sens des dispositions citées au point précédent, lesquelles ne méconnaissent ni le principe de sécurité juridique, ni celui d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme. Ces investissements auraient dû ainsi faire l'objet d'une demande de dérogation de la part de la SONEF. Par suite, en l'absence d'une telle demande, FranceAgriMer était fondée à considérer qu'ils n'étaient pas éligibles à l'aide prévue par les dispositions citées aux points 9 et 10. Il résulte de l'instruction que l'établissement national aurait pris les mêmes décisions s'il ne s'était fondé que sur ce seul motif.
12. En cinquième et dernier lieu, si la SONEF soutient que l'aide lui a été versée à la suite d'une erreur de FranceAgriMer qu'elle n'était pas raisonnablement en mesure de déceler, le moyen ainsi soulevé ne peut qu'être écarté pour les motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 15 du jugement attaqué, qu'il y a lieu d'adopter.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SONEF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande la SONEF au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de FranceAgriMer présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est donné acte à FranceAgriMer du désistement de ses conclusions présentées par la voie de l'appel incident.
Article 2 : La requête de la SONEF est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de FranceAgriMer tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Société nouvelle d'embouteillage et de filtration, à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 octobre 2024.
Le président rapporteur,
Jean-Yves TallecLa présidente assesseure,
Emilie Felmy
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY03527