Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur de l'Hôpital du Gier a prononcé sa suspension de fonctions, et d'enjoindre à cette autorité de régulariser sa situation administrative et financière à compter de sa suspension et de l'affecter sur un poste non soumis à l'obligation vaccinale.
Par un jugement n° 2200363 du 9 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2023, et deux mémoires en réplique non communiqués, enregistrés les 3 juin et 6 août 2024, Mme A..., représentée par Me Lestienne, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 9 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision précitée de suspension du 2 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à l'Hôpital du Gier de lui verser les traitements dont elle a été privée durant la période de suspension jusqu'à sa mise en disponibilité, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Hôpital du Gier une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des droits de la défense ;
- elle n'a pas été informée des conséquences du non-respect de l'obligation vaccinale à laquelle elle était soumise ;
- aucune alternative ne lui a été proposée telle qu'un reclassement ou l'exercice de ses fonctions en téléconsultation ;
- la notion de " schéma vaccinal complet " crée une insécurité juridique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2024, l'Hôpital du Gier, représenté par Me Bonnet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Le président de la Cour a désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Galifi, représentant le centre hospitalier du pays de Gier.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., infirmière au foyer d'accueil médicalisé du Pilat, a fait l'objet d'une décision du 22 septembre 2021 par laquelle la directrice de ce foyer l'a suspendue de ses fonctions au motif qu'elle ne justifiait pas de la régularité de sa situation au regard de son obligation de vaccination contre la covid-19. Par la suite affectée à l'Hôpital du Gier à compter du 1er novembre 2021, elle a fait l'objet d'une décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur de cet établissement a prononcé sa suspension de fonctions pour le même motif. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette dernière décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes du V de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire dans sa version applicable au litige : " Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité (...) ". Il en résulte qu'il appartient à l'employeur des personnes soumises à l'obligation vaccinale de contrôler le respect de cette obligation, en produisant les documents prévus par ce même article, notamment le certificat de statut vaccinal ou un certificat de contre-indication, ou un certificat de rétablissement. En application du II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, le décret du 1er juin 2021 a prévu les modalités d'établissement et de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. En outre, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art. (...) ".
3. En l'espèce, la décision en litige a été prise par le directeur des ressources humaines, sur délégation de la directrice de l'Hôpital du Gier, nouvel employeur de Mme A..., bénéficiant à ce titre de l'habilitation législative précitée dans le respect des contraintes relatives à l'accès aux données de santé, alors au surplus que la requérante n'a produit aucun document de la nature de ceux visés au point précédent. Le signataire de la décision disposait d'une délégation de la part de la directrice aux fins notamment de signer les documents ayant trait à la gestion et à l'administration du personnel non médical en vertu d'une décision du 4 janvier 2021 régulièrement publiée. La décision en litige, qui n'a pas vocation à sanctionner un manquement ou un agissement fautif mais écarte momentanément du service un agent qui ne satisfait pas à l'obligation de vaccination contre la covid-19, relève d'une mesure de gestion du personnel non médical et donc du champ d'application de la délégation précitée. Par suite, le moyen tiré de l'absence d'habilitation de l'employeur ou de la personne placée sous sa responsabilité, et celui tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doivent être écartés.
4. En deuxième lieu, l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui soumet notamment les agents qu'elle vise à son article 12 à l'obligation de vaccination contre la covid-19, détermine les conséquences de la méconnaissance de cette obligation, en prévoyant leur suspension. Lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application de ces dispositions et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité sans prononcer de sanction dès lors qu'elle n'a pas vocation, comme dit au point précédent, à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif qu'il aurait commis. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait, dès lors, être regardée comme une sanction. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense, entachant d'irrégularité la décision de suspension en litige, doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 susvisée : " I. - (...) B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. (...) III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (...). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".
6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du courrier du 21 octobre 2021, que la décision de suspension attaquée aurait été prise après que Mme A... a été personnellement informée, conformément aux dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, par son nouvel employeur, des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation et de la possibilité d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. Toutefois, cette décision a été prise au vu de la décision de même nature et de même portée adoptée le 22 septembre 2021 par son précédent employeur, lequel a procédé, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des termes des actes des 17 et 22 septembre 2021, à l'information prévue par les dispositions précitées auprès de Mme A.... Par ailleurs, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose que l'information préalable prévue par le III de l'article 14 de cette loi prenne la forme d'un entretien avec l'agent concerné. Par suite, Mme A... n'est fondée à soutenir ni qu'elle aurait été privée d'une garantie, ni que cette absence d'information à son égard, par son nouvel employeur, aurait exercé une influence sur le sens de la décision attaquée.
8. En quatrième lieu, si Mme A... soutient qu'aucune alternative, telle qu'un reclassement ou l'exercice de ses fonctions en téléconsultation, ne lui a été proposée, aucune disposition de la loi du 5 août 2021 n'oblige l'employeur d'un agent suspendu à rechercher une solution de reclassement ou d'exercice en téléconsultation, ni même à proposer à l'agent de prendre des congés. Ce moyen, qui n'est au demeurant assorti d'aucune autre précision, est inopérant et doit dès lors être écarté.
9. En dernier lieu, les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, telle qu'encadrée par le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil. En vertu de ce règlement, l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même s'accompagne-t-elle d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection très élevée contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus, même si des incertitudes s'étaient fait jour sur ce second point, tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices. La préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Il ressort de ces mêmes avis que les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d'une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées.
10. En se bornant à soutenir qu'aucun vaccin n'avait reçu d'autorisation de mise sur le marché, que le schéma vaccinal a évolué dans le temps, et que les imprécisions du décret du 1er juin 2021 portant sur les modalités de justification de l'obligation vaccinale et les produits utilisés à cette fin créent une insécurité juridique majeure, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir, à supposer ce moyen invoqué, de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait la décision attaquée. De même, la circonstance que la définition du " schéma vaccinal complet " dont doit attester le justificatif de statut vaccinal mentionné au 2° de l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021 ait évolué à plusieurs reprises, en fonction notamment des avancées des connaissances scientifiques, est sans incidence sur la légalité de la décision contestée et ne saurait être regardée comme constitutive d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
12. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A... et n'appelant dès lors aucune mesure d'exécution, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requérante présentées sur leur fondement et dirigées contre l'Hôpital du Gier, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce et en application de ces mêmes dispositions, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la requérante le versement à l'Hôpital du Gier d'une somme au titre des frais qu'il a exposés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Hôpital du Gier tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'Hôpital du Gier et au ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 octobre 2024.
La présidente-rapporteure,
Emilie FelmyL'assesseure la plus ancienne,
Sophie Corvellec
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03771