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09/10/2024 | FRANCE | N°23LY03262

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 09 octobre 2024, 23LY03262


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

Par deux requêtes distinctes, Mme C... D... épouse F... et M. G... F... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 27 mars 2023 par lesquels la préfète du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés d'office.



Par un jugement n° 2303368 - 2303369 du 19 septembre 2023, le tribunal admin

istratif de Lyon a annulé les arrêtés du 27 mars 2023 de la préfète du Rhône et enjoint à cette autor...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux requêtes distinctes, Mme C... D... épouse F... et M. G... F... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 27 mars 2023 par lesquels la préfète du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés d'office.

Par un jugement n° 2303368 - 2303369 du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Lyon a annulé les arrêtés du 27 mars 2023 de la préfète du Rhône et enjoint à cette autorité de délivrer, sans délai, une autorisation provisoire de séjour à M. et Mme F....

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 octobre, 13 novembre 2023 et 19 juillet 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la préfète du Rhône demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 septembre 2023 ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant ce tribunal.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges, sans se prononcer sur l'existence effective d'un traitement approprié en Tunisie, ont annulé les refus de titre de séjour en litige ;

- ces décisions ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : les hospitalisations ne permettent pas, en tant que telles, de caractériser une aggravation de l'état de santé de l'enfant ; tant l'alimentation entérale sur sonde nasogastrique que le traitement de l'épilepsie, ainsi que le suivi médical pluridisciplinaire dont l'enfant a besoin sont disponibles en Tunisie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2023, M. et Mme F..., représentés par la SELARL BS2A Bescou et Sabatier Avocats Associés, agissant par Me Sabatier, concluent au rejet de la requête et demandent qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- leur enfant présente un trouble malformatif sévère avec hydrocéphalie majeure, dans les suites d'une méningite périnatale ; il n'a pas été pris correctement en charge en Tunisie ; au regard de la complexité de sa prise en charge médicale, le suivi pluridisciplinaire dont il a besoin n'est pas possible en Tunisie ; l'impossibilité de voyager sans risque est établie ;

- les refus de titre de séjour sont entachés d'un défaut d'examen de leur situation ;

- ces décisions méconnaissent les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur leur situation ;

- les obligations de quitter le territoire français qui leur ont été opposées sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour ;

- ces décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces décisions méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- les décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;

- les décisions fixant le pays de destination sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Une ordonnance du 12 juillet 2024 a fixé la clôture de l'instruction au 12 septembre 2024.

Par une décision du 20 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. et Mme F....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,

- et les observations de Me Guillaume, représentant M. et Mme F... ainsi que celles de Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D... épouse F..., ressortissante tunisienne née le 4 mars 1973 est entrée en France le 10 avril 2016 selon ses déclarations, accompagnée de son fils H..., né le 21 mars 2015. Elle a été munie, à compter du 5 juillet 2019, d'une autorisation provisoire de séjour en tant que parent d'un enfant malade, renouvelée jusqu'au 29 décembre 2022. Elle a été rejointe sur le territoire français par son époux, M. G... F..., de même nationalité, né le 18 avril 1972. Par des arrêtés du 27 mars 2023, la préfète du Rhône a refusé de faire droit à la demande d'admission au séjour présentée par les époux F..., les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés d'office. La préfète du Rhône relève appel du jugement du 19 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et lui a enjoint de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9 (...) se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9 ". L'article L. 425-9 de ce code dispose que : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an ".

3. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour, ainsi que l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays d'origine. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays d'origine.

4. En l'espèce, le collège de médecins de l'OFII, dans un avis du 8 mars 2023, a estimé que l'état de santé du fils A... et Mme F... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que le traitement approprié est disponible en Tunisie, pays vers lequel il peut voyager sans risque.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des nombreux certificats médicaux émanant de praticiens spécialisés, que le fils A... et Mme F... est atteint d'un polyhandicap avec hydrocéphalie majeure, dans les suites d'une méningite périnatale, qui a été négligée dans son pays d'origine. L'enfant, qui porte une valve ventriculo-péritonéale, souffre d'une encéphalopathie épileptique, responsable d'un retard de développement psychomoteur qui le rend totalement dépendant, de déformations orthopédiques des hanches, d'une bronchopneumopathie chronique et de pyélonéphrites fréquentes, et devait subir une nouvelle intervention chirurgicale qui a été retardée en raison d'un rapport bénéfice/risque jugé défavorable à l'été 2022. Il ressort de ces mêmes pièces que son état de santé nécessite un suivi pneumologique, gastroentérologique et orthopédique rapproché ainsi que la réalisation de séances de kinésithérapie respiratoire, le traitement de son épilepsie par une bithérapie et une proximité avec des équipes spécialisées pluridisciplinaires et un accès rapide à des examens complémentaires en cas d'aggravation de son état de santé. Il bénéficie en outre depuis 2022 d'un accompagnement éducatif adapté au service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) de Vénissieux. Il ressort également des pièces du dossier que l'enfant a été hospitalisé le 23 mars 2023, soit quelques jours avant l'édiction des décisions en litige, pour des troubles hydroélectrolytiques, avec une suspicion de tubulopathie sous-jacente. Si la préfète du Rhône soutient que cette hospitalisation, intervenue postérieurement à l'avis du collège de médecins de l'OFII, ne permettrait pas de caractériser une aggravation de l'état de santé de l'enfant, alors en particulier que d'autres hospitalisations ultérieures sont intervenues en mai et juin 2023, ces soins confirment, à la date des décisions attaquées, la fragilité du tableau clinique de l'enfant et la complexité de sa prise en charge médicale pluridisciplinaire. Quand bien même tant l'alimentation entérale sur sonde nasogastrique que le traitement de l'épilepsie seraient disponibles en Tunisie, comme l'ont relevé les premiers juges, les certificats médicaux nombreux et circonstanciés produits par M. et Mme F... qui émanent de plusieurs des médecins spécialistes qui suivent leur enfant sont de nature à remettre en cause l'avis que l'OFII a porté sur la disponibilité des soins dans le pays d'origine, en raison du suivi pluridisciplinaire complexe dont l'enfant fait l'objet. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé les décisions en litige pour le motif tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Pour les mêmes motifs, et compte tenu des circonstances de l'espèce, M. et Mme F... sont également fondés à soutenir que les décisions de refus de séjour qui leur ont été opposées sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation de leur enfant.

7. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a fait droit aux demandes A... et Mme F....

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Sabatier, avocat A... et Mme F... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Sabatier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la préfète du Rhône est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Sabatier au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Sabatier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète du Rhône, au ministre de l'intérieur, à M. et Mme E... B... et C... F... et à Me Sabatier.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative

Mme Sophie Corvellec, première conseillère

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 octobre 2024.

La rapporteure,

Vanessa Rémy-NérisLa présidente,

Emilie Felmy

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03262


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03262
Date de la décision : 09/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : SELARL BS2A - BESCOU & SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-09;23ly03262 ?
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