La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2024 | FRANCE | N°23LY00208

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 09 octobre 2024, 23LY00208


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'une part, d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2020 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie a constaté la déchéance quadriennale de la réclamation indemnitaire qu'il a formée le 5 mars 2020, d'autre part, de condamner le SDIS de la Savoie à lui verser la somme de 1 419 861,76 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation du préjudic

e résultant de l'accident de service qu'il a subi, et à défaut, de condamner le SDIS à l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'une part, d'annuler l'arrêté du 20 juillet 2020 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie a constaté la déchéance quadriennale de la réclamation indemnitaire qu'il a formée le 5 mars 2020, d'autre part, de condamner le SDIS de la Savoie à lui verser la somme de 1 419 861,76 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation du préjudice résultant de l'accident de service qu'il a subi, et à défaut, de condamner le SDIS à l'indemniser sous forme de rente.

Par un jugement n° 2005595 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 janvier 2023 et 20 février 2024, M. D..., représenté par Me Di Cintio, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 8 novembre 2022 ;

2°) de condamner le SDIS de la Savoie à lui verser la somme de 1 765 751,37 euros, assortie des intérêts à compter du 13 février 2008, du 1er juillet 2010 ou du 25 juin 2020, et de leur capitalisation, en réparation du préjudice résultant de l'accident de service qu'il a subi et à défaut, de condamner le SDIS de la Savoie à l'indemniser sous forme de rente ;

3°) de mettre à la charge du SDIS de la Savoie une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande n'est pas forclose ;

- la prescription quadriennale n'est pas opposable à sa créance indemnitaire ;

- son accident de service du 13 février 2008 est dû à un défaut de protection lors d'un exercice, qui présente un caractère fautif ;

- la responsabilité sans faute du SDIS de la Savoie doit également être engagée ;

- son préjudice s'élève à 1 765 751,37 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2023, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, représenté par la SCP Zribi et Texier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande indemnitaire est forclose ;

- la créance est prescrite ;

- les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,

- et les observations de Me Eyango, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., sapeur-pompier volontaire auprès du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, a été victime le 13 février 2008 d'un accident de service. Par un courrier du 13 septembre 2016, il a demandé au SDIS de l'indemniser des préjudices subis en conséquence de cet accident. Cette demande a été rejetée par une décision du 10 novembre 2016. Le 7 juillet 2017, le SDIS de la Savoie a résilié l'engagement de M. D... en raison de son inaptitude à exercer les fonctions de sapeur-pompier volontaire. Par une ordonnance n° 2003382 du 28 septembre 2020, le docteur A... a été désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble pour réaliser une expertise médicale relative à l'état de santé de M. D.... Celui-ci relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du SDIS de la Savoie à l'indemniser de l'ensemble des préjudices qu'il estime avoir subis en conséquence de son accident de service du 13 février 2008.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 10 du décret du 2 novembre 2016 portant modification de ce code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Aux termes de l'article R. 421-2 de ce code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) ". A cette règle, l'article R. 421-3 du code de justice administrative prévoyait une exception en disposant que le délai de recours de deux mois ne courait qu'à compter d'une décision expresse " en matière de plein contentieux ". Cette exception a cependant été supprimée par l'article 10 du décret du 2 novembre 2016. Quant à l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui fixe les conditions de son entrée en vigueur, il dispose que : " I. - Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2017. / II. - Les dispositions des articles 9 et 10 (...) sont applicables aux requêtes enregistrées à compter de cette date ".

3. S'agissant des décisions nées avant le 1er janvier 2017, les dispositions précitées de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 n'ont pas dérogé au principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir. Il s'ensuit que, s'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 qui prévoient l'application de l'article 10 de ce décret à " toute requête enregistrée à compter " du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Par suite, un délai de recours de deux mois court à compter du 1err janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date.

4. D'autre part, l'article R. 421-5 du même code prévoit que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". L'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que ne sont applicables aux relations entre l'administration et ses agents ni les dispositions de l'article L. 112-3 de ce code, aux termes desquelles, dans son premier alinéa : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. ", ni celles de son article L. 112-6 qui dispose que, dans son premier alinéa : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis (...) ". Enfin, le 5° de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'en cas de naissance d'une décision implicite de rejet du fait du silence gardé par l'administration pendant la période de deux mois suivant la réception d'une demande, le délai de deux mois pour se pourvoir contre une telle décision implicite court dès sa naissance à l'encontre d'un agent public, alors même que l'administration n'a pas accusé réception de la demande de cet agent.

6. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 13 septembre 2016 reçu le lendemain par le SDIS de la Savoie, M. D... a demandé à ce service l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait des suites dommageables de son accident intervenu en 2008, issus de l'incapacité permanente partielle dont il était atteint, du pretium doloris éprouvé, de son préjudice d'agrément ainsi que de la perte de revenus occasionnée et la prise en charge de son traitement ophtalmologique. Si le SDIS produit un courrier du 10 novembre 2016 par lequel il a explicitement rejeté cette demande, il n'établit pas l'avoir notifié à M. D.... Néanmoins, la demande de ce dernier doit être regardée comme ayant donné naissance à une décision implicite de rejet, au plus tard le 14 novembre 2016. En application des règles rappelées ci-dessus, il appartenait à M. D... de saisir le juge administratif avant l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois à compter du 1er janvier 2017, soit le 1er mars 2017.

7. En deuxième lieu, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à cette règle que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus. En-dehors de ces circonstances, la victime ne peut présenter des prétentions excédant la limite du montant total figurant dans les conclusions de sa demande contentieuse.

8. Il résulte de l'instruction que par courrier du 5 mars 2020, M. D... a présenté une nouvelle réclamation préalable à l'administration, en portant le montant de l'indemnisation demandée à la somme de 128 348 euros au titre des déficits temporaires et permanent subis, des souffrances endurées, du préjudice d'agrément et des préjudices esthétiques temporaire et permanent. Ces préjudices ne sont pas nés postérieurement à la précédente décision du SDIS du 14 novembre 2016 ni se sont aggravés depuis cette décision. Ainsi, lorsque M. D... a saisi le 25 septembre 2020 le tribunal administratif de Grenoble de sa demande indemnitaire, le délai dans lequel il pouvait saisir le tribunal à la suite de sa première réclamation était expiré, comme rappelé au point 6.

9. Si M. D... soutient également qu'il a subi une perte de revenus et que ce préjudice n'a été révélé dans toute son ampleur que par l'arrêté du 7 octobre 2016 portant suspension de son engagement, il est constant que cette inaptitude définitive a été déclarée par le certificat du 5 octobre 2016, antérieur à la décision précitée. Ainsi, alors même que la cour a reconnu que le caractère définitif de cette inaptitude, qui a ensuite conduit à la résiliation de son engagement de sapeur-pompier volontaire, était liée à la photophobie dont il souffre, elle-même due à l'accident dont il a été victime, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'avait pas connaissance de cette inaptitude à exercer les fonctions de pompier avant le 7 juillet 2017, date de l'arrêté portant résiliation définitive de son engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire.

10. En tout état de cause, aux termes de l'article 1-5 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers : " Une protection sociale particulière est garantie au sapeur-pompier volontaire par la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service : " Le sapeur-pompier volontaire victime d'un accident survenu ou atteint d'une maladie contractée en service ou à l'occasion du service a droit, dans les conditions prévues par la présente loi : / 1° Sa vie durant, à la gratuité des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires ainsi que des frais de transport, d'hospitalisation et d'appareillage et, d'une façon générale, des frais de traitement, de réadaptation fonctionnelle et de rééducation professionnelle directement entraînés par cet accident ou cette maladie ; / 2° A une indemnité journalière compensant la perte de revenus qu'il subit pendant la période d'incapacité temporaire de travail ; / 3° A une allocation ou une rente en cas d'invalidité permanente. / En outre, il ouvre droit pour ses ayants cause aux prestations prévues par la présente loi ; / (...) ". L'article 20 de la même loi dispose que " Aucun avantage supplémentaire ne peut être accordé par les collectivités locales et leurs établissements publics pour l'indemnisation des risques couverts par la présente loi. / La présente loi s'applique à tous les sapeurs-pompiers volontaires, quel que soit le service dont ils dépendent ". Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie. Les dispositions de l'article 20 de la loi du 31 décembre 1991, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 31 juillet 1962 de finances rectificative pour 1962, desquelles elles sont issues, se bornent à exclure l'attribution d'avantages supplémentaires par les collectivités locales et leurs établissements publics au titre de cette réparation forfaitaire. Elles ne font, en revanche, pas obstacle à ce que le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels obtienne de la personne publique auprès de laquelle il est engagé, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a perçu une allocation temporaire d'invalidité sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 % à compter du 31 mars 2010, date correspondant à la consolidation de son état de santé. Il résulte des dispositions précitées que l'allocation d'invalidité permanente prévue par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 est calculée sur la base des revenus que le sapeur-pompier volontaire tient de l'activité professionnelle qu'il exerçait avant son accident de service. Par conséquent, l'allocation indemnise le préjudice professionnel lié à l'activité principale du sapeur-pompier volontaire que ce dernier a été contraint de cesser en raison de cet accident. Par suite, M. D... n'est pas fondé à demander une indemnisation complémentaire à l'allocation d'invalidité permanente qu'il perçoit déjà au titre des pertes de revenus résultant de son accident de service. Il ne peut davantage prétendre à des avantages supplémentaires à l'indemnisation forfaitaire à laquelle il a droit au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident. La perte des indemnités dues au titre de son activité de sapeur-pompier volontaire étant déjà compensée par l'allocation d'invalidité permanente, ce chef de préjudice n'est pas né, ni n'a été aggravé ou révélé postérieurement au rejet de la demande indemnitaire du 13 septembre 2016.

12. Par ailleurs, la mention du préjudice tiré de la perte de chance d'exercer l'activité de sapeur-pompier à titre professionnel figurait dans la demande présentée le 13 septembre 2016. Il s'ensuit que la demande de réparation de ce chef de préjudice à nouveau présentée le 5 mars 2020 puis actualisée au cours de l'instance engagée devant le tribunal était également tardive.

13. Enfin, les frais d'assistance par une tierce personne, à titre temporaire et définitif, à laquelle M. D... n'a d'ailleurs pas recours, ainsi que le préjudice sexuel revendiqué ne sont pas nés ni n'ont été révélés postérieurement à l'année 2016, l'expert judiciaire écartant d'ailleurs de tels préjudices. De même, si M. D... se prévaut de dépenses de santé actuelles et futures liées au renouvellement d'une paire de lunettes teintées tous les deux ans, la nécessité d'un tel dispositif a été identifiée dès 2009, notamment par le compte-rendu de consultation du 21 juillet 2009. Ainsi, l'invocation des nouveaux chefs de préjudice au cours de l'année 2020 puis en cours d'instance, tels qu'ils viennent d'être rappelés, ne permettait pas de rouvrir le délai de recours dans la mesure où ces préjudices ne sont pas nés et n'ont été ni aggravés ni révélés dans toute leur ampleur postérieurement au rejet de la première réclamation de M. D....

14. En dernier lieu, s'agissant des chefs de préjudice invoqués par M. D... au cours de l'instance engagée devant le tribunal administratif de Grenoble et à la suite de l'expertise ordonnée par ce même tribunal, relevant des frais de déplacement et d'assistance à expertise, il ressort des pièces produites au dossier qu'une partie des frais de déplacement dont il est demandé l'indemnisation ont été exposés avant le rejet de la réclamation en 2016, et ne peuvent ainsi être pris en compte. En revanche, les frais de déplacement exposés après le rejet de sa première réclamation le 14 novembre 2016, en lien avec l'accident du 13 février 2008, relèvent de nouveaux dommages en lien avec l'état de santé du requérant tel que résultant de l'accident. En outre, l'assistance apportée par le Dr B... à l'expertise judiciaire menée en mai 2021 constitue également un nouveau chef de préjudice causé par l'accident dont M. D... a été victime en 2008.

15. Dans ces conditions, le SDIS de la Savoie est fondé à soutenir que la demande de M. D... devant le tribunal était tardive pour l'ensemble des chefs de préjudice invoqués, à l'exception toutefois des frais divers exposés postérieurement à la décision du 14 novembre 2016 ayant rejeté sa réclamation, pour lesquels la nouvelle demande d'indemnisation a rouvert le délai de recours contentieux. Il résulte également de ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande sur ces derniers points.

Sur l'indemnisation :

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

16. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Ces dispositions n'imposent pas au créancier, pour bénéficier de l'interruption du délai de prescription, de faire porter sa réclamation sur l'ensemble des préjudices imputables à un même fait générateur.

17. S'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par ces dispositions est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime.

18. La consolidation de l'état de santé de la victime d'un dommage corporel fait courir le délai de prescription pour l'ensemble des préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir. Si l'expiration du délai de prescription fait obstacle à l'indemnisation de ces préjudices, elle est sans incidence sur la possibilité d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation. Le délai de prescription de l'action tendant à la réparation d'une telle aggravation court à compter de la date à laquelle elle s'est elle-même trouvée consolidée.

19. Il résulte des deux rapports d'expertise des 21 mai 2013 et 16 mars 2016 que les experts ont retenu que l'état de M. D... devait être considéré comme consolidé à la date à laquelle ces rapports ont été rédigés. Il résulte également de l'instruction que deux rapports d'expertise des 19 juin 2017 et 27 avril 2019 ont précisé que l'état du requérant était consolidé au 31 mars 2010, avec un taux d'IPP de 10 %, et que cette date a d'ailleurs été retenue comme point de départ du versement de l'allocation temporaire d'invalidité du requérant, enfin que l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, réalisée le 30 septembre 2021, conclut à une date de consolidation le 1er juillet 2010. Ainsi que les premiers juges l'ont relevé, dès lors que trois expertises médicales, dont la dernière ordonnée par le tribunal, retiennent une date de consolidation au cours de l'année 2010, circonstance qui n'est pas contradictoire avec les deux expertises précédentes qui se bornaient à constater un état consolidé au jour de l'expertise, il y a lieu de retenir le 1er juillet 2010 comme la date la plus tardive de consolidation des lésions du requérant résultant de l'accident de service du 13 février 2008 et en tout état de cause que le délai de prescription quadriennale a commencé à courir conformément aux dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, le 1er janvier 2011, pour s'achever le 31 décembre 2014. Les circonstances que cette date de consolidation n'a été révélée à M. D... qu'au terme des diverses expertises qui se sont succédé à compter de 2017 et qu'il ignorait l'ampleur de ses préjudices sont sans incidence sur l'application de la règle rappelée au point précédent et sur le point de départ du délai de prescription.

20. Toutefois, le fait générateur de la créance dont M. D... se prévaut est constitué par le dommage résultant de l'accident dont il a été victime en 2008 et il résulte de l'instruction que celui-ci a adressé au SDIS de la Savoie plusieurs lettres relatives aux suites préjudiciables résultant de cet accident. En particulier, M. D... a, par un courrier du 2 décembre 2013 que le SDIS a reçu le 4 décembre suivant ainsi qu'en atteste sa réponse du 14 janvier 2014, sollicité la conduite d'une nouvelle expertise de son état de santé afin notamment de procéder à l'évaluation des préjudices subis, dont il soulignait qu'ils ne pouvaient se limiter à des frais médicaux et à l'incapacité permanente partielle dont le taux était fixé à 3 %, faisant également état des souffrances endurées et des gênes dans la vie quotidienne. Il s'ensuit que la prescription a été interrompue à l'occasion de ces courriers émanant tant de M. D... que du SDIS de la Savoie et portant sur le fait générateur du dommage causé à cet agent puis, de nouveau, lorsque M. D... a présenté des demandes indemnitaires le 13 septembre 2016 et le 5 mars 2020.

21. Il s'ensuit que, contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, la prescription de la créance résultant de l'accident de service du 13 février 2008 dont M. D... réclame le paiement n'était pas acquise lorsque celui-ci a présenté sa requête. Le SDIS de la Savoie n'est donc pas fondé à opposer cette exception.

En ce qui concerne la responsabilité :

22. Il résulte des principes rappelés au point 10 que M. D... a droit, même en l'absence de faute de l'établissement employeur, à l'indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux d'une autre nature que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique, dont relèvent ceux qui ont été mentionnés aux points 14 et 15.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

23. D'une part, les frais de déplacement exposés par M. D... pour se rendre à l'expertise réalisée le 19 juin 2017 à la demande du régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers, aux consultations des 15 février et 21 mars 2018 relatives au contrôle de l'acuité visuelle de son œil droit, et enfin aux opérations d'expertise judiciaire du docteur A... le 26 mai 2021, l'utilité de cette expertise ayant au demeurant été confirmée par une décision de la Cour n° 20LY02958 du 8 mars 2021 devenue définitive, doivent être évalués, au vu des justificatifs produits et du nombre de kilomètres parcourus, soit 530 km, et des frais de péage pour un montant exposé de 40 euros, à la somme de 345 euros.

24. D'autre part, M. D..., qui a produit la facture du 22 décembre 2021 acquittée auprès du Dr B... pour un montant de 600 euros, justifie de la somme exposée pour l'assistance apportée par ce praticien à l'expertise judiciaire.

25. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le SDIS de la Savoie à verser à M. D... une indemnité de 945 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

26. M. D... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 945 euros à compter du 9 mars 2020, date de réception par le SDIS de la Savoie de sa réclamation, et à la capitalisation de ces intérêts à compter du 9 mars 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais de l'expertise :

27. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ". En vertu de ces dispositions, il appartient au juge saisi au fond du litige de statuer, au besoin d'office, sur la charge des frais de l'expertise ordonnée par la juridiction administrative.

28. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge définitive du SDIS de la Savoie les frais de l'expertise décidée par ordonnance n° 2003382 du 28 septembre 2020, taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 22 octobre 2021.

Sur les frais liés au litige :

29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du SDIS de la Savoie une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, une somme au titre des frais exposés par le SDIS de la Savoie.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 8 novembre 2022 est annulé.

Article 2 : Le SDIS de la Savoie est condamné à verser à M. D... la somme de 945 euros en réparation des préjudices liés à son accident du 13 février 2008. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2020. Les intérêts dus à la date du 9 mars 2021 seront capitalisés à cette date pour porter eux-mêmes intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros sont mis à la charge définitive du SDIS de la Savoie.

Article 4 : Le SDIS de la Savoie versera à M. D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et service départemental d'incendie et de secours de la Savoie.

Copie en sera adressée au docteur A..., expert.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Remy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 octobre 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00208


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00208
Date de la décision : 09/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-01-02-01 Procédure. - Introduction de l'instance. - Liaison de l'instance. - Recours administratif préalable.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : SCP ZRIBI & TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-09;23ly00208 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award