Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 4 novembre 2023 du préfet de l'Isère portant respectivement obligation de quitter sans délai le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an d'une part et assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours d'autre part.
Par un jugement n° 2307119 du 10 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 4 novembre 2023 portant interdiction de retour en France d'une durée d'un an et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 8 décembre 2023 et un mémoire enregistré le 13 septembre 2024 et non communiqué, M. B..., représenté par Me Bergeras, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 novembre 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ainsi que les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué ne répond pas aux moyens, fondés, tirés de ce que les décisions contestées ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière et de ce que le 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;
- ces décisions ont été prises par une autorité incompétente ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît son droit à être entendu ;
- elle méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions refusant tout délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi sont illégales en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision refusant tout délai de départ volontaire aurait dû être fondée sur le 3° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant assignation à résidence est insuffisamment motivée ;
- le motif retenu par le préfet ne pouvait fonder cette décision qui est entachée d'erreur de droit ;
- elle ne pouvait être fondée sur les 1° et 2° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Soubié, première conseillère,
- et les observations de Me Angot substituant Me Bergeras pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant haïtien né le 26 août 1984, est entré régulièrement en France en mai 2023, sous couvert d'un visa de long séjour. Interpellé le 3 novembre 2023 à la suite d'accusations de viol et d'agression sexuelle commis, dans les deux cas, par personne abusant de l'autorité que lui confère sa fonction, le préfet de l'Isère a, par un arrêté du 4 novembre 2023, prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un second arrêté du même jour, le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence dans ce département pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable. Par un jugement du 10 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision portant interdiction de retour en France d'une durée d'un an. Il relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Devant le tribunal, M. B... a contesté précisément les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de la procédure pénale engagée à son encontre et a soutenu qu'ils ne pouvaient caractériser à eux seuls un trouble à l'ordre public alors qu'ils n'avaient donné lieu à aucune condamnation. Le premier juge a omis de répondre à ce moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le jugement est irrégulier en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen contestant la régularité de ce jugement, il doit être annulé dans cette mesure.
3. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de M. B... dirigées contre les décisions du préfet de l'Isère portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence.
Sur les moyens communs soulevés à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence :
4. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence ont été signées par M. Laurent Simplicien, secrétaire général de la préfecture de l'Isère, qui avait reçu délégation de signature à cet effet par un arrêté du préfet de l'Isère du 21 août 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour et qui comporte la mention " signé " à côté des prénom et nom du préfet de l'Isère. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions en litige, qui manque en fait, doit être écarté.
5. Le secret de l'instruction, édicté par l'article 11 du code de procédure pénale, n'est pas opposable au préfet, qui ne concourt pas à la procédure pénale. Dès lors, la circonstance que le préfet de l'Isère se soit référé, dans le cadre de l'examen de la situation de M. B..., à des éléments recueillis par procès-verbal lors de l'interpellation et de la garde à vue de M. B... n'est pas de nature à entacher la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et assignation à résidence.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. La décision portant obligation de quitter le territoire français qui fait état de la situation administrative, personnelle et familiale de M. B... résulte d'un examen complet par le préfet de l'Isère de la situation de l'intéressé.
7. Il ressort des pièces du dossier que lors de son audition en garde à vue par la police le 4 novembre 2023, M. B... a été informé de ce qu'il était susceptible d'être éloigné à destination de son pays d'origine et a été mis à même de présenter des observations sur ce point. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il a été privé du droit d'être entendu, garanti notamment par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
8. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / (...). ".
9. L'interpellation à laquelle ont donné lieu les accusations de viol et d'agression sexuelle pour lesquelles M. B... a été auditionné par les services de police ne sauraient, alors que les faits sont formellement contestés par l'intéressé, à eux seuls caractériser une menace à l'ordre public justifiant que le préfet l'oblige à quitter le territoire français sur le fondement du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, le préfet s'est également fondé pour prendre cette mesure sur les dispositions du 2° du même article. Il est constant qu'à la date de la décision en litige, M. B... était dépourvu de titre de séjour valide et n'avait pas sollicité la délivrance d'un titre à l'expiration, le 27 octobre 2023, de son visa de long séjour dans les conditions visées à l'article R. 426-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans la mesure où le renouvellement de l'avenant à la convention de stage signé par le centre hospitalier qui l'employait pour la période postérieure au 1er novembre 2023 n'avait pas été adressé au préfet au moins quinze jours avant la date de fin de son stage, sans qu'il puisse utilement se prévaloir de l'absence de diligence du centre hospitalier. Il résulte de l'instruction que, même s'il n'avait retenu que ce motif qui suffisait à lui seul à fonder l'obligation de quitter le territoire français, le préfet de l'Isère aurait pris la même décision à l'égard de M. B.... Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de ce que le préfet a commis une erreur de fait doivent, dès lors, être écartés.
10. Compte tenu de la brièveté du séjour en France de M. B... et de celle de son épouse, qui a exercé également une activité en qualité de médecin au sein du même centre hospitalier, et de leurs deux enfants mineurs et de la circonstance que le titre de séjour de Mme B... expirait le 1er décembre 2023, quelques jours après l'obligation de quitter le territoire prise à l'encontre de son époux, le préfet de l'Isère, en prenant cette décision qui n'a pas pour effet de séparer les membres de la cellule familiale, n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a décidé son éloignement, ni méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par le 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Sur la légalité de la décision refusant tout délai de départ volontaire :
11. La décision portant obligation de quitter le territoire français opposée à M. B... n'étant pas illégale, ce dernier ne saurait soutenir que la décision lui refusant tout délai de départ volontaire serait illégale pour défaut de base légale.
12. La décision portant refus de délai de départ volontaire est suffisamment motivée en fait comme en droit et cette motivation révèle que le préfet de l'Isère a procédé à un examen complet de la situation de M. B....
13. Aux termes de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / (...).".
14. Le préfet de l'Isère ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions précitées du 3° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'à la date de sa décision, le visa de long séjour de M. B... n'était pas expiré depuis plus d'un mois. Toutefois, la décision refusant tout délai de départ volontaire est également fondée sur le 2° du même article dès lors que l'intéressé s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa. Il résulte de l'instruction que, même s'il n'avait retenu que ce motif qui suffisait à lui seul à fonder le refus de tout délai de départ volontaire, le préfet de l'Isère aurait pris la même décision à l'égard de M. B.... Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 3° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Il ressort des pièces du dossier que M. B... était employé à Port-au-Prince (Haïti) par une organisation non gouvernementale, qu'il résidait dans cette ville et qu'il a informé le 16 août 2022 le commissaire du Gouvernement près du tribunal de première instance de Port-au-Prince de faits de violences ayant eu lieu dans un quartier proche du sien et de dégradations commises au sein de son habitation. Or, à la date à laquelle le préfet de l'Isère a pris sa décision désignant comme pays de destination Haïti, les affrontements opposant dans ce pays les groupes criminels armés rivaux entre eux et ces groupes à la police nationale haïtienne, voire aux groupes d'autodéfense, devaient, eu égard au niveau d'organisation de ces groupes criminels, à la durée du conflit, à l'étendue géographique de la situation de violence et à l'agression intentionnelle des civils, être regardés comme caractérisant un conflit armé interne exposant la totalité du territoire haïtien à une situation de violence aveugle, d'une intensité exceptionnelle notamment à Port-au-Prince. Par conséquent, M. B..., originaire de cette ville, établit qu'il encourt, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités haïtiennes. Par suite, le préfet, en décidant que M. B... serait éloigné vers Haïti en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision fixant Haïti comme pays de renvoi.
Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
16. Compte tenu de l'annulation par le présent arrêt de la décision fixant le pays de destination, la décision assignant M. B... à résidence, en l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement, doit être annulée par voie de conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens soulevés à son encontre.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de la décision du 4 novembre 2023 du préfet de l'Isère portant fixation du pays de renvoi et de l'arrêté du même jour de cette autorité l'assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
18. En l'absence d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au préfet de l'Isère de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2307119 du 10 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation des décisions du 4 novembre 2023 du préfet de l'Isère portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi et de l'arrêté du même jour de cette autorité l'assignant à résidence.
Article 2 : Les décisions du 4 novembre 2023 du préfet de l'Isère portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi et l'arrêté du même jour de cette autorité assignant M. B... à résidence sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande et des conclusions d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente de chambre,
Mme Vinet, présidente-assesseure,
Mme Soubié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
A.-S. SoubiéLa présidente,
C. Michel
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03786
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