Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... C... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Lyon, chacun en ce qui le concerne, d'annuler les arrêtés du 8 mars 2023 par lesquels la préfète du Rhône a refusé de les admettre au séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de ces mesures d'éloignement.
Par un jugement n° 2302330-2302337 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 novembre 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Robin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les arrêtés attaqués ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de leur délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours, subsidiairement, de réexaminer leur situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les refus de titre ont été pris sans que le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration ait été régulièrement saisi ;
- le retour au pays d'origine aurait pour M. C... des conséquences d'une exceptionnelle gravité dès lors qu'il ne peut bénéficier des soins appropriés dans son pays d'origine, en méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision limitant à trente jours le délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité des refus de titre de séjour et des obligations de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît, en outre, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Bertrand Savouré, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C..., ressortissants géorgiens nés respectivement le 8 août 1970 et le 20 mars 1978, déclarent être entrés en France le 14 juillet 2021 pour y déposer une demande d'asile, qui a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile. Par ailleurs, ils ont sollicité la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ", M. C... invoquant son état de santé sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 8 mars 2023, la préfète du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour et les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. M. et Mme C... interjettent appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande d'annulation de ces arrêtés.
Sur l'arrêté concernant M. C... :
En ce qui concerne la légalité des décisions :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...) La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ".
3. L'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, émis le 24 janvier 2022, dont la production en première instance établit l'existence, mentionne que l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé.
4. Or, M. C..., qui a subi une transplantation rénale droite en 2005 et est atteint, comme l'indique le rapport médical sur lequel a été rendu l'avis, d'une insuffisance rénale chronique, d'une hépatite B, d'une hypothyroïdie et d'une coronopathie sévère, fait valoir qu'entre ce rapport médical daté du 23 décembre 2021 et l'arrêté litigieux du 8 mars 2023, il s'est écoulé une période de plus d'un an au cours de laquelle il a subi l'ablation de son rein gauche en urgence le 26 janvier 2023 et était dans l'attente d'une nouvelle greffe, programmée au mois d'octobre 2023. Dans le même intervalle de temps, il a subi un double pontage coronarien, le 30 mars 2022. Un certificat médical établi par un praticien de l'hôpital Saint-Joseph Saint Luc de Lyon, le 7 décembre 2022, soit antérieurement à l'arrêté en litige, mentionnait que l'évolution de son état de santé nécessitait un nouvel examen par le collège des médecins. Dans ces conditions, quand bien même il a déjà pu bénéficier d'une greffe de son rein droit en Géorgie en 2005, ce qui suggère que cette opération est en principe possible dans ce pays, l'évolution de son état de santé dans un contexte de comorbidités nouvelles impliquait nécessairement qu'un nouvel avis du collège médical fût émis avant de prendre la décision litigieuse, dans la mesure où l'avis se prononçait sur un état de santé qui n'était plus celui de M. C... à la date à laquelle il a été statué sur droit au séjour.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. C... d'annulation de l'arrêté de la préfète du Rhône n° 6903279712 du 8 mars 2023. Le refus de titre doit être annulé ainsi que, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire sous trente jours et la fixation du pays de destination.
En ce qui concerne l'injonction et l'astreinte :
6. Eu égard aux motifs du présent arrêt, l'annulation prononcée implique nécessairement, mais seulement, qu'en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative la situation de M. C... soit réexaminée après nouvelle consultation du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration. Il y a lieu d'adresser une injonction en ce sens à la préfète du Rhône et de lui fixer un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de prononcer d'astreinte.
Sur l'arrêté concernant Mme C... :
En ce qui concerne la légalité des décisions :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ".
8. M. et Mme C... sont entrés récemment en France et n'y disposent pas d'attaches familiales alors qu'ils ont vécu la majeure partie de leur vie dans leur pays d'origine. Le motif d'annulation de l'arrêté concernant M. C..., mentionné au point 4 du présent arrêt, implique seulement un réexamen de la demande de ce dernier et n'entraine donc pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour au profit de son épouse. Dans ces conditions, le refus de titre de séjour litigieux n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels il a été pris. Pour les mêmes motifs, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que cette décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
9. En deuxième lieu, et alors que Mme C... n'invoque aucun moyen contre l'obligation de quitter le territoire français dont elle a fait l'objet, il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'elle doit demeurer auprès de son époux dans l'attente, à tout le moins, jusqu'au réexamen de la situation de son mari. Par conséquent, elle est fondée à soutenir que la préfète du Rhône a entaché d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
10. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire pour contester la décision fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Elle ne justifie pas davantage être exposée à un traitement inhumain et dégradant en cas de retour dans son pays d'origine, en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 6, la décision ne méconnait pas davantage l'article 8 de la même convention.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en tant seulement qu'il ne lui a pas été octroyé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'impliquant pas de mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Robin, avocate de M. et Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce dernier d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2302330-2302337 du tribunal administratif de Lyon du 20 juillet 2023 est annulé en tant qu'il rejette la requête de M. C... et en tant qu'il rejette les conclusions de Mme C... dirigées contre la décision fixant le délai de départ volontaire.
Article 2 : L'arrêté de la préfète du Rhône n° 6903279712 du 8 mars 2023 opposé à M. C... est annulé.
Article 3 : L'arrêté de la préfète du Rhône n° 6903279711 du 8 mars 2023 opposé à Mme C... est annulé en tant qu'il ne lui a pas octroyé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
Article 4 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation de M. C... dans le délai de quatre mois à compter du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à Me Robin, avocate de M. et Mme C..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
M. Bertrand Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le rapporteur,
B. SavouréLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N°23LY03465