Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 17 juillet 2023, 25 juin, 19 juillet et 30 août 2024, ce dernier non communiqué, la société SPV CITE, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation d'un parc éolien dit " A... " comprenant trois éoliennes et deux postes de livraison sur la commune de Bussières ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le préfet s'est senti lié par l'avis défavorable émis par l'établissement du Parc national des forêts car le projet, qui est situé à huit kilomètres du cœur du parc, ne porte pas atteinte à la cigogne noire ;
- l'implantation du projet à proximité de la ZPS ne pouvait fonder le refus ; la seule circonstance que le projet soit situé au sein du Parc national de forêts ne suffit pas à justifier la décision de rejet alors que les enjeux liés au parc ont bien été pris en considération ; aucune cigogne noire n'a été observée et l'atteinte à cette espèce n'est pas avérée ; les éléments produits par le préfet, qui sont imprécis, ne permettent pas de justifier de la fréquentation de la zone du projet par des cigognes noires ;
- aucune dérogation pour la destruction d'espèces protégées n'est nécessaire, en l'absence de détection de cigogne noire.
Par des mémoires enregistrés les 1er mars, 4 et 17 juillet 2024, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la société SPV CITE ne sont pas fondés ;
- en tout état de cause, le Parc national des forêts ayant rendu un avis défavorable conforme sur le projet éolien, il était tenu de rejeter la demande.
Par une ordonnance du 19 juillet 2024, l'instruction a été close en dernier lieu au 30 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Durand, substituant Me Elfassi, pour la société SPV CITE ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 septembre 2024, présentée pour la société SPV CITE ;
Considérant ce qui suit :
1. La société SPV CITE a déposé le 29 décembre 2022 une demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien dit " A... " comprenant trois aérogénérateurs d'une hauteur de cent quatre-vingts mètres en bout de pale et deux postes de livraison sur la commune de Bussières (21). Sur la base de l'avis rendu le 10 février 2023 par le Parc national des forêts et du rapport rendu le 31 mars 2023 par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), le préfet de la Côte-d'Or a, par arrêté du 23 mai 2023, dont la société SPV CITE demande l'annulation, rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; / 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. ". L'article L. 181-3 de ce code prévoit : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...). II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux que pour rejeter la demande de la société SPV CITE, le préfet de la Côte-d'Or s'est fondé sur le 3° de l'article R. 181-34 du code de l'environnement en retenant que le projet, qui porte atteinte à la cigogne noire et à son habitat, est de nature à nuire au bon état de conservation de l'espèce, que le pétitionnaire n'a pas présenté de demande de dérogation au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et que si une demande de dérogation avait été présentée, les caractéristiques du projet n'auraient pas permis d'accorder une telle dérogation en raison de la condition visant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la zone d'implantation du projet, qui se situe à deux-cent-quarante mètres d'une zone de protection spéciale (ZPS) " Massifs forestiers et Vallée du Châtillonais ", au sein de l'aire optimale d'adhésion du Parc national des forêts, est bordée de chaque côté par les ruisseaux de la Creuse et de la Tille de Buissières. Le préfet ne s'est pas fondé sur la seule existence de cette ZPS ou du Parc national des forêts pour en conclure que le projet portait atteinte aux intérêts mentionnées à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ou aurait nécessité une demande de dérogation, mais également sur le fait que le Parc national des forêts abrite des cigognes noires et que les ruisseaux de la Creuse et de la Tille de Buissières sont des zones de gagnage de cette espèce. Par ailleurs, la ZPS est identifiée dans l'étude d'impact comme une zone où la faune est largement représentée par des oiseaux à forte valeur patrimoniale et notamment la cigogne noire. Le pétitionnaire fait valoir que, compte tenu des enjeux pour cette espèce qui avaient été bien identifiés, un protocole spécifique avait été mené au cours de l'étude avifaunistique sur un rayon de dix kilomètres autour de la zone d'implantation potentielle, avec dix passages entre le 3 mars et le 21 juillet 2021, et qu'aucun individu de cigogne noire n'a été recensé. Toutefois, il apparaît que le Parc national des forêts abrite actuellement sept couples de cigognes noires qui nichent chaque année en son cœur, à moins de quinze kilomètres du projet, et que les balises dont l'un de ces individus a été équipé démontrent que le domaine vital de cet oiseau est de l'ordre de vingt kilomètres autour du nid, contrairement à ce qu'indiquent certaines études produites par la société requérante. Au cours de l'année 2023, sept passages de cigognes noires équipées de balises, correspondant à trois individus différents, ont été enregistrés dans un rayon de deux kilomètres autour du projet, dont deux passages, du même individu, dans un rayon de cinq cents mètres, et ce alors même que l'ensemble de la population de cigognes noires nichant ou transitant à proximité du projet n'est pas équipé de balises, seuls trois des quatorze adultes qui nichent au cœur du parc en ayant une.
5. La cigogne noire est une espèce classée en danger sur la liste rouge des oiseaux nicheurs en France métropolitaine, où seulement soixante-dix à quatre-vingt-dix couples se reproduiraient, neuf nids ayant été identifiés en 2020 en Bourgogne. Eu égard en particulier aux risques de fragmentation de son habitat et de collision auxquels se trouvent exposés ces oiseaux, générés par la fréquentation des zones de gagnage constituées par les ruisseaux de la Creuse et de la Tille de Buissières, même si les éoliennes ne sont pas elles-mêmes implantées sur ces zones, avec les conséquences susceptibles d'en résulter pour leur reproduction et la menace d'abandon de nids voire du territoire où ils sont présents, l'implantation du parc éolien " A... " est de nature, compte tenu de la rareté de cette espèce, à avoir un impact significatif sur sa conservation. Par suite, le préfet pouvait légalement fonder son refus sur le motif tiré de ce que, s'agissant de la cigogne noire, le projet porte atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
6. En deuxième lieu, le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
7. Le préfet pouvait également estimer que, compte tenu de sa proximité de zones de gagnage fréquentées par la cigogne noire, et en l'absence de toute mesure adaptée d'évitement et de réduction prise par le pétitionnaire, le projet exposait cette espèce à un risque suffisamment caractérisé de destruction, nécessitant l'obtention d'une demande de dérogation et refuser d'accorder l'autorisation sollicitée également au motif qu'une telle demande n'avait pas été présentée.
8. En dernier lieu, si la société fait valoir que le préfet se serait, à tort, estimé lié par l'avis défavorable émis par le Parc national des forêts alors que le projet est situé à huit kilomètres du cœur du parc et ne porte pas atteinte à la cigogne noire, toutefois, à supposer même que cet avis n'aurait pas revêtu le caractère d'un avis conforme, ce qui ne résulte au demeurant pas de l'instruction, le préfet pouvait, comme il l'a fait, légalement se fonder sur les motifs qui viennent d'être précédemment exposés pour rejeter la demande de la société.
9. Il résulte de ce qui précède que la société SPV CITE n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 23 mai 2023. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SPV CITE est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société SPV CITE et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02360
ar