Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. E... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014, 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2005729 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 juillet 2023 et 14 février 2024, M. E... et Mme A... C..., représentés par Me Crosnier-Martel, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la jonction de leur requête avec celle de D... Expertise Poteaux Sécurité, ou à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur la requête de D... E.P.S. ;
3°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités, ou à titre subsidiaire, la décharge des majorations de 40 % ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur leurs conclusions de jonction de leur demande et de celle de D... E.P.S. ; la demande de jonction était justifiée ;
- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé des rehaussements par application de l'article 39 1. du code général des impôts ;
- la proposition de rectification du 17 novembre 2017 méconnaît l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- concernant l'avantage en nature imposé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, l'administration a méconnu le principe de légalité des délits et des peines, garanti par le Conseil constitutionnel et par l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'administration n'a pas démontré le caractère excessif de la rémunération de M. C... ; ce dernier n'a pas indiqué, lors de la vérification de comptabilité de D... E.P.S., avoir utilisé les véhicules à des fins personnelles à hauteur de 50 % de leur usage total, et ce pourcentage est excessif ;
- les paragraphes 220 et 240 de la documentation administrative référencée BOI-RSA-BASE-20-20 sont opposables à l'administration ;
- la majoration de 40 % pour manquement délibéré n'est pas fondée ; l'administration a méconnu le principe de personnalité des peines et la règle " non bis in idem ".
Par un mémoire, enregistré le 20 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Joubert, représentant M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. D... Expertise Poteaux Sécurité (E.P.S.), dont M. C... était le gérant et l'associé majoritaire, qui exerçait une activité principale d'entretien et d'expertise en matière de poteaux de téléphonie appartenant notamment à la société Orange, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er décembre 2013 au 31 décembre 2016, à l'issue de laquelle le vérificateur a, notamment, remis en cause le caractère déductible de ses résultats imposables d'avantages en nature pour son gérant. Dans le cadre d'un contrôle sur pièces, l'administration a réintégré dans les revenus imposables de M. et Mme C... les sommes correspondantes, regardées comme des revenus distribués imposables à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. C... sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts. M. et Mme C... ont, en conséquence, été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et à des contributions sociales au titre des années 2014, 2015 et 2016, auxquelles ont été appliqués des intérêts de retard et la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 11 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, en se prononçant par deux jugements distincts sur les demandes dont l'avaient saisi, d'une part, M. et Mme C..., et d'autre part, D... E.P.S., le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre explicitement à la demande de jonction formulée par les requérants, a implicitement mais nécessairement rejeté leurs conclusions tendant à la jonction de ces instances. En n'usant pas de son pouvoir de joindre les affaires en cause, quand bien même les demandeurs de première instance avaient demandé la jonction, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.
3. En second lieu, M. et Mme C... n'ont évoqué en première instance l'article 39 du code général des impôts qu'à l'appui de leur moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, mais non comme un moyen autonome visant à contester le bien-fondé des rectifications opérées sur le fondement de ces dispositions pour la société. Le tribunal administratif n'avait ainsi pas à répondre à un moyen tiré de la méconnaissance du 1. de l'article 39 du code général des impôts.
4. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularités.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
5. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées, de manière à lui permettre de formuler utilement ses observations. En cas de motivation par référence, l'administration doit, en principe, annexer les documents auxquels elle se réfère dans la proposition de rectification ou en reprendre la teneur.
6. La proposition de rectification du 17 novembre 2017 vise le c. de l'article 111 et le 2° de l'article 158-7 du code général des impôts, et elle expose les motifs des rehaussements tirés de l'existence d'avantages en nature correspondant à l'utilisation privative de véhicules de D... E.P.S. par son gérant, qui n'ont pas été déclarés par cette société. Elle précise que M. C... est le maître de l'affaire. La proposition de rectification indique les montants des rehaussements, la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés et les années d'imposition concernées. A supposer même que l'administration aurait retenu dans la proposition de rectification le motif de rehaussement tiré de ce que l'avantage en nature a porté la rémunération de M. C... à un niveau excessif, puis aurait abandonné ce motif au cours de l'instance devant le tribunal administratif, cette circonstance est sans incidence sur le caractère suffisant de la motivation de la proposition de rectification. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
7. D'une part, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais (...) ". Aux termes de l'article 54 bis de ce code : " Les contribuables visés à l'article 53 A (...) doivent obligatoirement inscrire en comptabilité, sous une forme explicite, la nature et la valeur des avantages en nature accordés à leur personnel. ". Aux termes de l'article 54 quater de ce code : " Les entreprises sont tenues de fournir, à l'appui de la déclaration de leurs résultats de chaque exercice, le relevé détaillé des catégories de dépenses visées au 5 de l'article 39, lorsqu'elles dépassent un certain montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances, ainsi que le relevé détaillé des dépenses mentionnées au troisième alinéa de l'article 238 A et déduites pour l'établissement de leur impôt. ". Aux termes du 3. de l'article 223 du même code : " Les personnes morales et associations passibles de l'impôt sur les sociétés sont tenues aux mêmes obligations que celles prévues aux articles 54 bis et 54 quater. ".
9. Il résulte de l'instruction que D... E.P.S. a comptabilisé des frais de location annuelle, d'entretien, de carburant et d'assurance, se rapportant à deux véhicules qui sont mis à la disposition de son gérant à des fins professionnelles et personnelles, notamment pour ses trajets entre son domicile et le lieu de travail, dans les comptes n° 612 " redevances de crédit-bail ", n° 615 " entretien et réparations " et dans les comptes libellés " carburant " et " assurance ". L'administration a remis en cause la déduction du résultat fiscal de ces charges à hauteur de 50 % pour l'utilisation privée de ces véhicules par M. C... en l'absence de comptabilisation explicite de cet avantage en nature par D... E.P.S.
10. Les dépenses exposées pour les besoins du déplacement du salarié ou du dirigeant depuis son domicile vers le lieu où il exerce ses fonctions ont la nature d'une dépense personnelle de ce dernier. S'il est loisible à l'employeur d'en assurer la prise en charge, celle-ci, sous réserve qu'elle ne conduise pas à porter la rémunération à un niveau excessif, a la nature, pour le salarié ou le dirigeant, d'un avantage en nature taxable entre ses mains dans la catégorie des traitements et salaires ou en application de l'article 62 du code général des impôts. Symétriquement, elle constitue, sous la même réserve, une charge déductible des bénéfices de l'employeur. Ce traitement fiscal est toutefois subordonné à la condition que les avantages en nature ainsi accordés par la société à son personnel, y compris ses dirigeants soient, conformément aux prescriptions de l'article 54 bis du code général des impôts, inscrits explicitement comme tels en comptabilité. A défaut, ils constituent des avantages occultes au sens du c. de l'article 111 du code général des impôts, imposables entre les mains du bénéficiaire dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et non déductibles des bénéfices de la société.
11. M. et Mme C... soutiennent que les dispositions précitées de l'article 54 bis du code général des impôts prévoient seulement une obligation déclarative des avantages en nature, qu'il n'existe aucune disposition prévoyant la sanction de la non-comptabilisation distincte des avantages en nature par la réintégration de ces dépenses dans le résultat fiscal à l'exception de l'article 39 précité du même code en cas notamment de rémunération excessive, et que l'administration a alors méconnu le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui est également garanti par l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, l'administration n'a fait que procéder au rehaussement du résultat fiscal de D... E.P.S., sans faire usage d'un pouvoir de sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.
12. Il résulte de la proposition de rectification du 17 novembre 2017 que M. C... a déclaré, lors du débat oral et contradictoire ayant eu lieu au cours de la vérification de comptabilité de D... E.P.S., qu'il a utilisé les deux véhicules à des fins personnelles à hauteur de 50 % et à des fins professionnelles pour les 50 % restant. Les requérants ne démontrent pas que l'utilisation privative des véhicules à hauteur de 50 % est erronée, en se limitant à des déclarations selon lesquelles ce pourcentage ne peut correspondre à la pratique d'un chef d'entreprise, qui a des chantiers sur tout le territoire français, et son gérant ne réside qu'à moins de dix kilomètres de son lieu de travail. De plus, M. et Mme C... ne peuvent se prévaloir de l'immobilisation d'un des deux véhicules en dépôt vente qui a déjà été prise en considération lors de la réponse aux observations du contribuable.
13. Dès lors que le gérant de D... E.P.S. a utilisé deux véhicules loués par cette société à des fins personnelles, que l'avantage en nature octroyé à M. C... n'a pas été comptabilisé comme tel sous une forme explicite par D... E.P.S., et que ladite société n'a pas déclaré cet avantage en nature sur le relevé détaillé des frais généraux, l'administration n'avait pas à rechercher si cet avantage en nature avait eu pour effet de porter la rémunération globale du gérant à un niveau excessif. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a, en application de l'article 111 c. du code général des impôts, regardé les avantages en nature consentis à M. C... comme ayant un caractère occulte et réintégré leurs montants dans les bases d'imposition de celui-ci pour être imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
14. D'autre part, D... E.P.S. n'a pas déclaré l'avantage en nature précité, et ainsi, M. et Mme C... ne peuvent se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des paragraphes 220 et 240 de la documentation administrative référencée BOI-RSA-BASE-20-20, qui ne sont applicables qu'en cas d'option de l'employeur.
Sur les majorations :
15. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
16. Le principe de personnalité des peines s'oppose à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment.
17. Pour établir le caractère délibéré des manquements constatés, l'administration a relevé le caractère répété des omissions de déclarations d'avantages en nature, soit à concurrence de 10 223 euros, de 21 865 euros, de 22 545 euros, au titre respectivement des années 2014, 2015 et 2016, et que M. et Mme C... ont déjà fait l'objet d'une proposition de rectification du 22 décembre 2010 rehaussant leurs revenus de capitaux mobiliers en raison d'avantages en nature octroyés par D... REA.IMMO qui n'avaient également pas été comptabilisés, ni déclarés par cette société. Dans ces conditions, l'administration établit l'intention délibérée de M. et Mme C... d'éluder une partie des impositions dont ils étaient redevables, justifiant l'application des majorations pour manquement délibéré. En se référant aux revenus distribués par D... REA.IMMO, qui n'avaient déjà pas été déclarés par les requérants, pour justifier l'application de cette majoration, l'administration ne s'est pas fondée sur des agissements auxquels M. et Mme C... n'ont pas participé et n'a ainsi pas méconnu le principe de personnalité des peines.
18. M. et Mme C... soutiennent que l'administration a méconnu la règle non bis in idem en ayant, d'une part, cumulé la majoration de 25 % de la base d'imposition des avantages en nature occultes prévue au 2° de l'article 158-7 du code général des impôts et la pénalité de 40 % pour manquement délibéré, et, d'autre part, appliqué cette pénalité à la fois à leur encontre et à l'encontre de D... E.P.S. pour les avantages en nature non déclarés. Toutefois, la majoration de 25 % ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition. En outre, l'administration a appliqué la majoration de 40 % à deux contribuables distincts, M. et Mme C... et D... E.P.S., et pour des impositions différentes. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la règle non bis in idem doit être écarté.
19. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02256