Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 15 juin 2022 par lequel la préfète de l'Allier lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler ou, à défaut, de réexaminer sa demande, sous astreinte.
Par un jugement n° 2201567 du 12 mai 2023, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 juin 2023, M. C..., représenté par Me Ayele, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre à la préfète de l'Allier de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler ou, à défaut, de réexaminer sa demande, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au profit de son conseil au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'erreur de droit, la préfète n'ayant pas saisi l'autorité étrangère compétente pour démontrer le caractère frauduleux des actes d'état civil qu'il a produits ; elle méconnait les dispositions des articles R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil ; elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du même code ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ; elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la même convention ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ; elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la même convention ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la même convention.
La requête de M. C... a été communiquée à la préfète de l'Allier qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 2 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 juillet 2024.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2024 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Chassagne, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant de la République du Mali, déclare être né le 5 octobre 2022 à Diangounté Camara, et être entré en France le 5 février 2019. Il a été placé auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Allier à compter du 28 juin 2019 puis confié à ce service à compter du 7 juillet 2019 pour une durée d'un an, le président du conseil départemental de l'Allier s'étant vu confier la tutelle de l'intéressé à compter du 7 juillet 2020. Il a demandé la délivrance d'un titre de séjour le 1er juin 2021 à la préfète de l'Allier qui, par un arrêté du 15 juin 2022, lui a opposé un refus, fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article R. 431-10 de ce code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / (...). ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". L'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il ne résulte en revanche pas de ces dispositions que l'administration française doit nécessairement et systématiquement solliciter les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Il en découle que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
3. Pour refuser un titre de séjour à M. C..., la préfète de l'Allier, après avoir relevé que, pour justifier de son état civil, il avait produit un acte de naissance, un extrait d'acte de naissance ainsi qu'un jugement supplétif mais que, dans un avis du 28 juillet 2021, la cellule fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières (PAF) avait estimé que toute force probante faisait défaut à ces documents, a conclu que son état civil et son âge déclaré ne pouvaient être tenus pour établis et qu'ainsi, il ne satisfaisait pas aux exigences de l'article R. 431-10 précité.
4. Selon trois rapports d'analyse documentaire du 28 juillet 2021 de l'unité fraude documentaire et à l'identité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Clermont-Ferrand plusieurs irrégularités affecteraient l'acte de naissance volet n° 3 n° 281/CRDC établi par un officier de l'état civil du centre principal de la commune de Diangounté Camara le 24 mai 2019, l'extrait d'acte de naissance n° 281/CRDC établi par le même officier le même jour ainsi que le jugement supplétif d'acte de naissance n° 2029 du 17 mai 2019 du tribunal civil de Diema sur la base duquel les actes précités ont été établis. Ainsi, le premier et le second documents, notamment, sont signés par un troisième adjoint de la commune concernée alors que ce dernier ne peut pas le faire dans un centre principal, ne comprennent pas de numéro dit " A... " pourtant prévu par une loi malienne de 2006, contiennent des fautes d'orthographe dans les mentions préimprimées (" Offier d'état civil " pour le premier " Officicer d'état civil " pour le second), alors que le premier ne comprend pas de numéro de série, ne fait pas de référence au jugement supplétif au verso ni ne contient une " référence imprimerie " et que plusieurs rubriques ne sont pas renseignées. Le troisième document contient une rectification par correcteur de son numéro.
5. Compte tenu des nombreux éléments retenus par le service de la PAF et au regard des principes rappelés au point 2, la préfète de l'Allier n'a pas, contrairement à ce que soutient M. C..., commis d'erreur de droit en ne faisant pas procéder à la saisine des autorités maliennes pour vérifier l'authenticité des actes joints à sa demande de titre de séjour.
6. Mais M. C... a produit trois nouveaux actes rédigés postérieurement à la décision contestée, qu'il s'agisse d'un acte de naissance volet n° 3 n° 422RgSP9 établi par un officier de l'état civil du centre principal de la commune de Diangounté Camara le 29 août 2022, d'une copie d'extrait d'acte de naissance n° 422RgSP9 établi par le même officier le même jour et d'un jugement supplétif d'acte de naissance n° 2212 du 26 août 2022 du tribunal civil de Diema sur la base duquel les actes précités ont été dressés. Toutefois, il apparaît que les deux premiers actes, comme ceux vus précédemment, ont été signés par le troisième adjoint au maire du centre principal de la commune de Diangounté Camara alors que le service de la PAF a indiqué, sans que l'intéressé ne le conteste utilement, qu'une telle autorité n'est pas compétente pour le faire, et ne contiennent pas davantage de numéro dit " A... ", plusieurs rubriques du volet n° 3 n'étant pas davantage renseignées. Par ailleurs, sur ces trois documents, les mentions manuscrites du numéro " 422RgSP9 " ainsi que du numéro du jugement supplétif " 2212 " y sont inscrites avec une couleur différente des autres mentions au sein de ces documents, alors de surcroît qu'une attestation établie par le même officier d'état civil signataire des deux premiers documents datée du 8 septembre 2022, destinée à confirmer leur authenticité, comprend elle-même une erreur de syntaxe (" agissant en qualité d'état civil "), une faute d'orthographe (" sur l'acte de naissance établit ") et fait référence à un numéro de jugement supplétif erroné (" n° 2984 "). Enfin, M. C... n'explique pas en quoi, compte tenu de l'ensemble des actes dont il se prévaut, deux jugements supplétifs d'actes de naissance datés d'années différentes ont pu ordonner la transcription de leurs dispositifs respectifs sur les registres d'état civil de la même commune pour deux années différentes, et qu'il a été effectivement procédé à une telle transcription de cette manière.
7. Ainsi, en dépit de la carte consulaire et du récépissé de demande de passeport comprenant un numéro dit " A... " obtenus des autorités maliennes, respectivement, le 9 juillet 2020 et le 16 septembre 2022, la préfète de l'Allier a pu, sans méconnaître les dispositions des articles R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil, estimer que l'intéressé ne présentait pas de documents permettant de justifier de son état civil.
8. En deuxième lieu, il apparaît que, pour refuser le titre sollicité, la préfète s'est également fondée sur l'article L. 435-3 cité plus haut, ayant notamment relevé que M. C... avait été confié à l'aide sociale à l'enfance, qu'il est actuellement inscrit afin d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle mention " équipier polyvalent du commerce " et a conclu un contrat d'apprentissage avec une société jusqu'en avril 2024, et qu'il n'établit pas être dépourvu de liens avec sa famille dans son pays d'origine, avec ses parents en particulier, dont le décès n'est pas avéré. Toutefois, le motif, vu plus haut, tenant à l'absence de justification de son état civil et de son âge, faisait à lui seul obstacle à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de cet article L. 435-3. Par suite, les moyens tirés de ce que cette décision serait également entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions ne peuvent qu'être écartés.
9. En troisième lieu, les moyens déjà soulevés en première instance, tirés de ce que les décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, et de ce que la décision portant fixation du pays de destination méconnaitrait les stipulations de l'article 3 de la même convention doivent être écartés par les motifs retenus par les premiers juges et qu'il y a lieu, pour la cour, d'adopter.
10. En dernier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevés par M. C... à l'encontre du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français en litige sont inopérants, de telles décisions n'ayant ni pour objet, ni pour effet, en tant que telles, d'entraîner son retour au Mali.
11. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfète de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
J. Chassagne
Le président,
V-M. Picard La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY01984
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