La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/10/2024 | FRANCE | N°23LY01077

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 03 octobre 2024, 23LY01077


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SARL La Taverne a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2016 et 2017, des intérêts de retard, de la majoration de 40 % et de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Le

directeur départemental des finances publiques de l'Isère a, en application de l'article R. 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL La Taverne a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2016 et 2017, des intérêts de retard, de la majoration de 40 % et de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Le directeur départemental des finances publiques de l'Isère a, en application de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, transmis au tribunal sa réclamation du 29 janvier 2021 ayant le même objet.

Par un jugement n° 2004408 - 2004947 - 2108003 du 23 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a constaté un non-lieu à statuer partiel (article 1er) et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 2).

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 mars 2023 et 19 janvier 2024, la SARL La Taverne, représentée par Me Tournoud, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions, amendes et pénalités correspondantes auxquelles elle demeure assujettie ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif est irrégulier pour n'avoir pas répondu à son moyen tiré de ce que le vérificateur ne pouvait pas reconstituer les chiffres d'affaires des exercices clos en 2016 et 2017 sur la base des tickets des clients de l'exercice clos en 2015, en présence de l'essentiel des tickets Z pour ces deux exercices ; le tribunal a commis des erreurs d'appréciation des faits ;

- l'administration a commis un vice de procédure en ne saisissant pas la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- la méthode de reconstitution de chiffre d'affaires dite " des vins " du vérificateur est radicalement viciée ; l'échantillon des tickets clients pris en considération par le vérificateur n'est pas représentatif ;

- le vérificateur aurait dû se fonder sur les tickets Z, qui récapitulent les opérations quotidiennes par taux de taxe sur la valeur ajoutée permettant de distinguer les ventes de vins et bières des autres recettes, et non sur les tickets de clients, pour les trois exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ; il ne manque que 108 tickets Z, et non 156, au titre de l'exercice clos en 2015 ;

- les données de l'exercice clos en 2015 ne peuvent pas être étendues aux exercices clos en 2016 et 2017 en présence de tickets Z pour ces deux derniers exercices ; en outre, l'enneigement a été quasiment nul au cours de la saison 2014 / 2015 alors que l'enneigement a été normal lors des saisons 2016 et 2017.

Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Porée, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL La Taverne, qui exerce une activité de restauration traditionnelle à Villard-de-Lans (Isère), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017, au terme de laquelle le vérificateur a rejeté sa comptabilité comme irrégulière et non probante et procédé à une reconstitution de chiffres d'affaires notamment pour les ventes de solides consommés sur place. En conséquence de ce contrôle, l'administration a mis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 30 septembre 2016 et 2017 auxquels ont été appliqués les intérêts de retard et la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts et lui a infligé l'amende prévue par l'article 1759 du même code. Par un jugement du 23 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint ses demandes tendant à la décharge de ces impositions, amendes et pénalités correspondantes et sa réclamation ayant le même objet transmise d'office par le directeur départemental des finances publiques de l'Isère et constaté un non-lieu à statuer partiel, a rejeté le surplus de ses demandes. La SARL La Taverne relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de se prononcer sur tous les arguments énoncés en première instance par la société requérante, a répondu au point 6 de son jugement, de manière suffisamment circonstanciée, sur le moyen tiré de ce que le vérificateur ne pouvait pas reconstituer les chiffres d'affaires des exercices clos en 2016 et 2017 sur la base des tickets des clients de l'exercice clos en 2015, en précisant les motifs justifiant que les tickets Z soient écartés.

3. En second lieu, la SARL La Taverne soutient que les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreurs d'appréciation des faits. Un tel moyen ne relève pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé.

4. Les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent, dès lors, être écartés.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

5. Aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " I.- La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l'exception de la qualification des dépenses de recherche mentionnées au II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code. II.- Dans les domaines mentionnés au I, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles ou d'immobilisation. ".

6. La SARL La Taverne a demandé le 6 septembre 2019 la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires suite à la réponse aux observations du contribuable du 8 août 2019 relative aux exercices clos les 30 septembre 2016 et 2017, en invoquant seulement l'irrégularité de la durée de la vérification de comptabilité en l'absence d'information de la prolongation de son délai de trois à six mois. Par un courrier du 3 octobre 2019, le vérificateur a refusé de faire droit à cette demande. L'invocation d'un vice de procédure n'est pas au nombre des différends dont il appartient à la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de connaître, et ainsi en refusant de saisir cette commission du désaccord opposant la contribuable et le service, l'administration n'a commis aucune irrégularité dans la procédure de rehaussement suivie à son encontre. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. Il n'est pas contesté que la SARL La Taverne a produit, dans le délai imparti, des observations en réponse aux propositions de rectification du 13 décembre 2018 s'agissant de l'exercice clos en 2015 et du 29 mai 2019 s'agissant des exercices clos en 2016 et 2017, dans lesquelles elle a contesté les rectifications proposées par l'administration. Par suite, il appartient à l'administration d'établir les faits sur lesquels elle se fonde en ce qui concerne les impositions établies au titre de ces exercices.

8. Le vérificateur a reconstitué le chiffre d'affaires des ventes de solides à consommer sur place par la méthode dite des constantes (des vins), en se fondant sur l'exploitation de 426 tickets de clients présentés par la SARL La Taverne lors des opérations de contrôle et correspondants à une partie des ventes des mois de novembre 2014, février et août 2015 afin de déterminer une proportion entre le chiffre d'affaires des produits solides et celui des vins en bouteilles. Il en est résulté des sommes totales de 849,20 euros de vente de bouteilles de vins bouchés et de 16 668,20 euros de vente de produits solides, soit un rapport de 19,62, 1 euro de vente de vin bouché engendrant 19,62 euros de vente de produits solides. Cette proportion a alors été appliquée au chiffre d'affaires reconstitué des ventes de bouteilles de vins pour déterminer le chiffre d'affaires des produits solides, et il a été tenu compte d'offerts, de pertes et de la consommation personnelle par une réduction de 1 % du chiffre d'affaires reconstitué.

9. En premier lieu, la SARL La Taverne soutient que les recettes des mois de novembre 2014, février et août 2015 ne sont pas représentatives de son activité.

10. Il résulte de l'instruction que les mois de février, août et novembre correspondent respectivement aux périodes de très haute saison hivernale, de très haute saison estivale et intermédiaire ou creuse telle que qualifiée par la société requérante, et il ressort de la décision de rejet de la réclamation du 11 août 2020 que la sélection de l'échantillon a été réalisée en concertation avec la SARL La Taverne, ce que la société requérante ne conteste d'ailleurs pas.

11. Si la société requérante soutient que le vérificateur n'a pas pris en considération l'ensemble des tickets clients d'une journée entière, elle n'a pas conservé la totalité des tickets remis aux clients, et elle ne démontre pas que cette circonstance lui serait défavorable. La SARL La Taverne soutient également que le vérificateur n'a pas pris en considération des recettes au cours des mois de novembre 2014, février et août 2015 sur une période de sept jours consécutifs. Toutefois, il résulte de l'instruction que le vérificateur s'est fondé sur des recettes de solides allant des 6 au 28 février 2015, des 1er au 9 et des 11 au 30 août 2015, ainsi que sur des recettes de bouteilles de vin allant des 12 au 20 février 2015 et des 11 au 26 août 2015. Si le vérificateur ne s'est pas fondé sur des recettes de solides et de bouteilles de vin sur une période continue de sept jours au cours du mois de novembre 2014, il dépendait des tickets de clients produits par la société requérante, et il a pris en considération dix-sept jours de recettes de solides et onze jours de recettes de vin au titre du mois de novembre 2014, sans que la société requérante ne démontre que ces jours ne seraient pas représentatifs de son activité par rapport à une période continue de sept jours.

12. La SARL La Taverne soutient que les recettes réalisées au cours des mois de novembre 2014, de février et d'août 2015 sur des week-ends ou des périodes de congés scolaires favorisent la prise en considération de la consommation par des familles, qui consomment moins de vin que la clientèle locale de la semaine, la sélection de l'échantillon a été effectuée en concertation avec la SARL La Taverne, et il résulte des constatations du vérificateur que sa clientèle est essentiellement composée de touristes de passage. En outre, l'administration soutient, sans être sérieusement contestée, que la consommation de vin est plus importante le week-end qu'en semaine, ainsi que pendant les périodes de haute saison touristique et de congés scolaires qu'en basse saison.

13. La SARL La Taverne ne peut utilement se prévaloir de données extérieures retenant des proportions entre les chiffres d'affaires de vins en bouteilles et de solides de 1 à 10, en lieu et place du rapport de 19,62 précité, qui est issu de sa propre exploitation, et en particulier des tickets clients.

14. En deuxième lieu, la SARL La Taverne soutient qu'il n'était pas possible d'appliquer le rapport précité de 19,62 dégagé pour l'exercice clos le 30 septembre 2015 aux exercices clos en 2016 et 2017. Toutefois, il résulte du compte-rendu des débats du 23 novembre 2018 que les conditions d'exploitation sont identiques au cours des exercices vérifiés et que la SARL La Taverne, invitée à informer le vérificateur en cas d'erreurs ou d'imprécisions entachant ce compte-rendu, n'a pas contesté l'identité des conditions d'exploitation. En outre, si la SARL La Taverne soutient que l'exercice clos en 2015 correspond à une année exceptionnelle caractérisée par un faible enneigement par rapport aux exercices clos en 2016 et 2017, elle ne précise pas, ni ne justifie les effets du manque d'enneigement sur la proportion entre le chiffre d'affaires des produits solides et celui des vins en bouteilles.

15. En troisième et dernier lieu, si la SARL La Taverne soutient qu'il y avait lieu de se référer aux tickets Z au titre des exercices clos les 30 septembre 2015, 2016 et 2017, et notamment à ceux présentés dans leur intégralité pour les mois de février et août 2015, plutôt qu'aux tickets de clients, les tickets Z, qui comportent le total des ventes journalières, ventilent les recettes en fonction du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable, en mentionnant celles imposables au taux de 10 % comprenant sans distinction les solides, les ventes à emporter, celles de boissons chaudes et froides non alcoolisées, et ne permettent ainsi pas d'isoler les ventes de solides, ni celles de solides consommés sur place. En outre, il résulte de l'annexe 2 des propositions de rectification que 108 tickets Z n'ont pas été présentés au vérificateur sur huit mois de l'exercice clos en 2015, et de la décision de rejet de la réclamation du 11 août 2020 que la SARL La Taverne a indiqué, lors du débat oral et contradictoire avec le vérificateur, qu'elle n'avait pas conservé l'intégralité des tickets Z pour les exercices clos en 2016 et 2017. Enfin, il résulte de l'instruction que la SARL La Taverne saisissait ses recettes à partir des tickets Z sur le progiciel comptable quadratus puis transmettait ces données à son cabinet comptable, alors qu'à la clôture comptable de chacun des trois exercices, elle a ajouté aux recettes établies sur la base des tickets Z des sommes de 25 000 euros TTC ou 30 000 euros TTC sous les libellés " Régul CA ", " Régul caisse " ou " Recette 10 % ", sans précision, ni justificatif. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé des impositions en litige.

16. Il résulte de ce qui précède que la SARL La Taverne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et celles relatives en tout état de cause aux dépens, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL La Taverne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL La Taverne et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

M. Haïli, président-assesseur,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01077


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award