Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 décembre 2019 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires d'Auvergne-Rhône-Alpes a confirmé la sanction disciplinaire de placement en cellule disciplinaire pendant une durée de quatorze jours, prononcée à son encontre par la commission de discipline du centre pénitentiaire de Grenoble Varces le 24 octobre 2019.
Par jugement n° 2004166 du 7 avril 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 juin 2023, M. B..., représenté par Me Segard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires d'Auvergne-Rhône-Alpes du 2 décembre 2019 ;
2°) d'enjoindre à l'administration de procéder à l'effacement de l'ensemble des données relatives à la procédure disciplinaire litigieuse figurant dans son dossier et dans le logiciel " GIDE ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'omission à statuer, les premiers juges n'ayant pas répondu au moyen tiré de l'irrégularité du refus de la présidente de la commission de discipline de permettre à son conseil d'accéder à la séance en dépit d'un éventuel retard ;
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;
- la décision litigieuse a été adoptée en méconnaissance des droits de la défense, dès lors qu'il n'a pas pu être assisté par son avocate devant la commission de discipline ;
- les faits qui lui sont reprochés, et leur caractère fautif, ne sont pas établis.
Par mémoire enregistré le 8 décembre 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés et s'en remet aux écritures produites en défense en première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code pénitentiaire ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2011-817 du 6 juillet 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Corvellec,
- et les conclusions de Mme Christine Psilakis, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Détenu depuis le 15 juillet 2019 au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces, M. B... a fait l'objet d'une sanction ordonnant son placement en cellule disciplinaire pour une durée de quatorze jours, pour des faits commis les 15, 17 et 18 octobre 2019, par une décision du président de la commission de discipline de cet établissement du 24 octobre 2019. Cette sanction a été confirmée par le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon, qui a rejeté le recours administratif préalable formé par M. B..., par décision du 2 décembre 2019. L'intéressé a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté sa demande par jugement du 7 avril 2023 dont il relève appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article R. 57-7-25 du code de procédure pénale alors en vigueur : " Lors de sa comparution devant la commission de discipline, la personne détenue présente ses observations. Elle est, le cas échéant, assistée par un avocat (...) ".
3. La possibilité de se faire assister d'un avocat lors de la commission de discipline constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline. Si ces dispositions impliquent que l'intéressé ait été informé en temps utile de la possibilité de se faire assister d'un avocat, possibilité dont il appartient à l'administration pénitentiaire d'assurer la mise en œuvre lorsqu'un détenu en fait la demande, la circonstance que l'avocat dont l'intéressé a ainsi obtenu l'assistance ne soit pas présent lors de la réunion de la commission de discipline n'est sans incidence sur la régularité de la procédure qu'à la condition que cette absence ne soit pas imputable à l'administration et que l'administration pénitentiaire ait rempli ses obligations en ayant mis à même l'intéressé d'être assisté de l'avocat dont elle avait obtenu la désignation.
4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des attestations établies les 24 et 25 octobre 2019 par les surveillantes pénitentiaires alors en charge, respectivement, de l'organisation de la commission de discipline et de la surveillance du parloir, que, conformément à sa convocation, le conseil de M. B..., Me Segard, s'est présentée au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces, le 24 octobre 2019 à 8h30, pour assister l'intéressé devant la commission de discipline. Informée de difficultés rencontrées avec M. B..., Me Segard s'est rendue au parloir afin de s'entretenir avec d'autres détenus, après en avoir avisé la surveillante, laquelle a accepté de la prévenir, par l'intermédiaire de la surveillante du parloir, de l'arrivée de l'intéressé. Affirmant ne pas avoir été prévenue, Me Segard ne s'est présentée à la commission de discipline qu'à 9h50 environ, alors que la comparution de M. B... venait de débuter. La présidente de la commission a alors refusé qu'elle participe à la séance. Toutefois, et indépendamment des circonstances qui en sont à l'origine, ce seul retard de l'avocate de M. B..., au demeurant limité, ne pouvait justifier que l'accès à la séance lui soit refusé et que l'intéressé se trouve ainsi privé de l'assistance de son conseil pour la suite de sa comparution. Dès lors, et en l'absence de tout autre motif susceptible de justifier ce refus d'accès, M. B... est fondé à soutenir qu'il n'a pu bénéficier de l'assistance d'un avocat du fait de l'administration, en méconnaissance des dispositions précitées, et a ainsi été privé d'une garantie, ce qui est de nature à entacher d'illégalité la sanction adoptée au terme de cette procédure, de même que la décision litigieuse qui s'y est substituée.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et à demander l'annulation de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires d'Auvergne-Rhône-Alpes du 2 décembre 2019.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Aux termes, d'une part, de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
7. Aux termes, d'autre part, de l'article 1er du décret du 6 juillet 2011 portant création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion informatisée des détenus en établissement (GIDE) : " Le ministère de la justice est autorisé à créer un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux personnes placées sous main de justice et écrouées, dénommé gestion informatisée des détenus en établissement (GIDE), mis en œuvre au sein de chaque établissement pénitentiaire ou établissement de santé habilité à recevoir des personnes détenues (...) ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " Les données à caractère personnel pouvant être enregistrées dans le traitement automatisé sont : (...) 5° (...) e) Procédure disciplinaire : numéro d'affaire pénitentiaire, type de faute, date de l'événement, description des faits, rapports d'enquêtes et d'incidents, représentation par avocat référent commis d'office ou rémunéré, argumentation en défense, décisions de la commission de discipline (...) ".
8. Aux termes, enfin, de l'article D. 214-10 du code pénitentiaire : " Un dossier spécial est ouvert pour toute personne condamnée ayant fait l'objet d'une procédure d'orientation (...) ". Aux termes de l'article D. 214-12 du même code : " La partie pénitentiaire du dossier prévu par les dispositions de l'article D. 214-10 est constituée par le chef de l'établissement pénitentiaire dans lequel chaque personne condamnée accomplit sa peine. (...) sont consignées les sanctions disciplinaires prononcées (...) ".
9. Le présent arrêt annulant la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires d'Auvergne-Rhône-Alpes du 2 décembre 2019 qui, sur recours administratif préalable obligatoire, s'est substituée à la sanction prononcée par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces le 24 octobre 2019, il implique nécessairement que toutes les mentions de cette sanction soient supprimées, en particulier, le cas échéant, celles figurant dans le traitement de données GIDE et dans le dossier spécial ouvert au nom de M. B.... Il y a, par suite, lieu d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice de faire procéder au retrait de ces mentions, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Segard, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à celle-ci d'une somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004166 du tribunal administratif de Grenoble du 7 avril 2023 est annulé.
Article 2 : La décision du directeur interrégional des services pénitentiaires d'Auvergne-Rhône-Alpes du 2 décembre 2019 confirmant la sanction disciplinaire prononcée à l'encontre de M. B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des Sceaux, ministre de la justice de faire procéder au retrait de toute mention de la sanction annulée à l'article 2 dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Segard une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 29 août 2024, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
N. Vanduynslaeger
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY01997
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