Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 17 septembre 2021 par laquelle la présidente de la communauté d'agglomération du Grand Annecy a suspendu son contrat de travail sans traitement à compter du 15 septembre 2021.
Par un jugement n° 2107690 du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2023, et un mémoire en réplique, enregistré le 23 mai 2024, Mme A..., représentée par Me Bessy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mai 2023 ;
2°) d'annuler la décision de suspension du 17 septembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération du Grand Annecy de lui verser les traitements dont elle a été privée depuis le 15 septembre 2021, soit la somme totale de 18 427,70 euros et de reconstituer sa carrière s'agissant notamment de la détermination de la durée des congés payés ainsi que des droits acquis au titre de son ancienneté, dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la communauté d'agglomération du Grand Annecy à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 8 022 euros en remboursement des sommes versées par son père, et celle de 150 euros liée à ses séances de naturopathie ;
5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Annecy une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mesure de suspension sans traitement prononcée à son encontre est assimilable à une exclusion temporaire de fonctions prise sans avoir respecté la procédure disciplinaire, et notamment les garanties liées à la communication du dossier, au contradictoire et à la réunion du conseil de discipline ;
- elle n'a pas été informée des conséquences qu'emportait l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser la situation et éventuellement d'utiliser des congés payés ;
- la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire lui impose de participer à un essai clinique ;
- le vaccin qui est en phase III a seulement obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée de façon conditionnelle ; elle n'a pas donné son consentement libre et éclairé, en méconnaissance des articles 1 et 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 5 de la convention d'Oviedo, des articles 3 et 6 de la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme, des articles 22 à 31 de la déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale et de l'article 3 de la directive du 4 avril 2001 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain ;
- la loi du 5 août 2021 méconnaît en outre l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- elle méconnaît le principe de non-discrimination consacré à l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et repris par le règlement n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 ;
- l'obligation vaccinale prévue par cette loi constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de suspension sans traitement est disproportionnée au regard du but recherché dès lors que le vaccin n'empêche pas la propagation du virus, que ses effets indésirables sont nombreux, mal connus et potentiellement graves alors que le taux de mortalité de la covid-19 est très faible ;
- la suspension ne pouvait prendre effet durant son congé de maladie ;
- la décision de suspension sans traitement, qui présente un caractère fautif, lui a causé un préjudice financier et un préjudice moral.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 3 mai et 12 juin 2024, la communauté d'agglomération du Grand Annecy, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-l du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- les conclusions indemnitaires, nouvelles en appel, sont irrecevables ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;
- le règlement (UE) n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- la directive n° 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- la loi n 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bessy, représentant Mme A..., et celles de Me Villard représentant la communauté d'agglomération du Grand Annecy.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., psychologue contractuelle au sein du centre intercommunal d'action sociale de la communauté d'agglomération du Grand Annecy, a fait l'objet d'une décision du 17 septembre 2021 par laquelle la présidente de cet établissement public de coopération intercommunale a suspendu son contrat de travail sans traitement à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination contre la covid-19 ou de contre-indication à la vaccination. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur la recevabilité des conclusions de la requête :
2. En premier lieu, la requête d'appel, qui ne se borne pas à reproduire les écritures de première instance et présente une critique du jugement contesté, n'est entachée d'aucune irrecevabilité sur ce point.
3. En deuxième lieu, en revanche, ainsi que la communauté d'agglomération du Grand Annecy l'oppose, les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... pour la première fois devant la cour, liées à la réparation de ses préjudices financiers et moral, ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel et sont, par suite, irrecevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. D'une part, aux termes de l'article 7 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " L'agent contractuel en activité bénéficie, sur présentation d'un certificat médical, de congés de maladie pendant une période de douze mois consécutifs ou, en cas de service discontinu, au cours d'une période comprenant trois cents jours de services effectifs, dans les limites suivantes : /1° Après quatre mois de services, un mois à plein traitement et un mois à demi-traitement ; / 2° Après deux ans de services, deux mois à plein traitement et deux mois à demi-traitements ; / 3° Après trois ans de services, trois mois à plein traitement et trois mois à demi-traitement. "
5. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : (...) / k) Les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code ; (...) III. - Le I ne s'applique pas aux personnes chargées de l'exécution d'une tâche ponctuelle au sein des locaux dans lesquels les personnes mentionnées aux 1°, 2°, 3° et 4° du même I exercent ou travaillent ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " I.- Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale (...) ".
6. Enfin, aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que si le directeur d'un établissement visé au k) du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent.
Sur la décision contestée en tant qu'elle prononce une suspension :
En ce qui concerne la légalité externe :
8. En premier lieu, l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui soumet notamment les agents qu'elle vise à l'article 12 à l'obligation de vaccination contre la covid-19, détermine les conséquences de la méconnaissance de l'obligation, en prévoyant leur suspension. Lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application de ces dispositions et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité sans prononcer de sanction dès lors qu'elle n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif qu'il aurait commis. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait ainsi être regardée ni comme une sanction, ni comme une sanction déguisée. Par conséquent, les moyens tirés des vices de procédure liés à la méconnaissance des garanties entourant la procédure disciplinaire qui auraient entaché d'irrégularité la décision de suspension en litige doivent être écartés.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 susvisée : " I. - (...) B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. (...) III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (...). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de suspension aurait été prise après que Mme A... a été personnellement informée, conformément aux dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation et de la possibilité d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés.
11. D'une part, il ressort des dispositions citées au point 6 que la communauté d'agglomération n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la décision attaquée dès lors qu'une alternative telle que l'utilisation de jours de congés est prévue pour l'agent qui ne peut plus exercer son activité, sous réserve de l'accord de l'employeur.
12. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
13. Il ressort des pièces du dossier que le Grand Annecy a informé l'ensemble de ses agents, par une note du 12 août 2021, des conséquences qu'emportait cette interdiction d'exercer sur leur emploi ainsi que des moyens de régulariser leur situation et le cas échéant d'utiliser, avec l'accord de leur employeur, des jours de congés payés. Mme A... ne soutient pas qu'elle n'a pu prendre connaissance de la note de service précitée, ni de l'information à ce titre qui lui a été délivrée par le courrier, dont elle a accusé réception, la convoquant à un entretien d'information le 23 septembre 2021. Mme A... n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle a été effectivement privée d'une garantie dans les circonstances de l'espèce.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant des moyens tirés de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 :
14. D'une part, selon l'article 5 de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 : " Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. / Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. / La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. ". Aux termes de son article 26 : " L'exercice des droits et les dispositions de protection contenus dans la présente Convention ne peuvent faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui. / Les restrictions visées à l'alinéa précédent ne peuvent être appliquées aux articles 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20 et 21. " Ces stipulations créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir.
15. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète.
16. Une vaccination obligatoire constitue une restriction au droit institué par l'article 5 de la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui peut être admise si elle remplit les conditions prévues à son article 26 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Une telle vaccination constitue également une ingérence dans le droit à l'intégrité physique, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et répond notamment aux justifications précitées. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.
17. Si Mme A... soutient que les bénéfices attendus des vaccins contre la covid-19 sont limités, tandis que les risques de moyen et de long terme liés à ces vaccins ne sont pas connus eu égard à leur caractère expérimental, d'une part, aucun des éléments qu'elle apporte n'est de nature à remettre en cause le large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de la maladie et présente des effets indésirables limités au regard de son efficacité et, d'autre part, la circonstance que ces vaccins feraient l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle ne saurait, en tout état de cause, conduire à les regarder comme expérimentaux. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale serait incompatible avec les stipulations de l'article 5 de la convention d'Oviedo ne peut qu'être écarté.
18. En outre, le but poursuivi par la vaccination obligatoire n'est pas seulement de répondre, à un instant donné, à une vague épidémique, mais d'obtenir un effet d'une certaine durée, y compris en prévision de vagues futures. A la date du décret du 7 août 2021, les personnes vaccinées avaient douze fois moins de risque de contracter le virus de la covid-19 que les personnes non vaccinées et, en cas de contamination, avaient quatre fois moins de risque de le transmettre que les personnes non vaccinées. L'instauration d'un " passe sanitaire ", puis d'un " passe vaccinal ", selon les modalités fixées par les textes successifs, a permis de maintenir l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements présentant un risque particulier de diffusion du virus. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles et de l'expérience de la période précédente que d'autres mesures, telles que les " gestes barrière " ou le port du masque, n'auraient pas suffi à maîtriser l'épidémie. Il ne ressort des pièces du dossier, ni que les tests auraient présenté des difficultés d'accès ou de réalisation telles qu'elles auraient fait obstacle à l'obtention du " passe sanitaire ", ni que ces mêmes tests auraient présenté des garanties telles qu'elles auraient rendu inutile le régime du " passe vaccinal ". Il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, telle qu'encadrée par le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil. En vertu de ce règlement, l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même elle s'accompagne d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection très élevée contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus, même si des incertitudes s'étaient fait jour sur ce second point, tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices. La préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Il ressort de ces mêmes avis que les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d'une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées.
19. L'administration d'un vaccin à la population sur le fondement d'une telle autorisation conditionnelle ne constitue, eu égard à sa nature et à ses finalités, ni une étude clinique, ni un essai clinique, ni l'administration d'un médicament expérimental, notamment selon les définitions données par l'article 2 du règlement n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Il ne s'agit pas davantage d'une recherche impliquant la personne humaine au sens des articles L. 1121-1 et suivants du code de la santé publique. Sont donc inopérants les moyens tirés de ce que les dispositions de la loi du 5 août 2021 méconnaîtraient les règles et principes auxquels sont subordonnés de tels essais, études, expérimentations ou recherches, dans toutes leurs branches, s'agissant notamment de la méconnaissance du pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels et de la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 et des dispositions du titre II du livre 1er du code de la santé publique qui y sont consacrées. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 1 de l'article 14 du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme sur la recherche biomédicale, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, des articles 3 et 6 de la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme, des articles 22 à 31 de la déclaration d'Helsinki de l'association médicale mondiale et de l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et repris par le règlement n°2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 doivent également être écartés. La requérante ne saurait davantage se prévaloir des stipulations de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lesquelles s'appliquent aux Etats membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union européenne et non aux situations seulement régies par le droit interne.
20. Par suite, les dispositions critiquées ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique, et proportionnée à ce but. Mme A... n'est ainsi pas fondée à soutenir que l'obligation vaccinale, alors même qu'elle ne garantirait pas totalement l'absence de contamination, méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et que la décision en litige le serait par voie de conséquence. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré du caractère disproportionné de la mesure doit être écarté.
21. Il en résulte également que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige procèderait d'une rupture d'égalité entre soignants vaccinés et non vaccinés ou d'une méconnaissance du principe de non-discrimination, tel que protégé notamment par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou, à supposer le moyen opérant, au règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 relatif à un cadre pour la délivrance et l'acceptation de certificats covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de covid-19. En outre, la circonstance que les dispositions de la loi du 5 août 2021 font peser sur les personnes exerçant une activité au sein des établissements de santé une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le moyen tiré de la méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination doit être écarté.
S'agissant des autres moyens :
22. En premier lieu, le quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose que : " Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ". Si Mme A... se prévaut de l'interdiction de la réalisation de tout acte médical ou scientifique sur une personne sans que cette dernière ait préalablement exprimé son consentement libre et éclairé, il est précisément constant qu'elle n'a pas été contrainte de subir une injection du vaccin contre la covid-19 et qu'elle n'a donc été privée d'aucun droit. Par suite, le moyen, qui est inopérant, doit être écarté. En tout état de cause, les dispositions de la loi du 5 août 2021 qui instaurent une obligation de vaccination contre la covid-19 applicable aux professions de santé, constituent une restriction au droit institué par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique de ne pas recevoir de traitement sans consentement libre et éclairé. Elles sont toutefois directement liées aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de ces fonctions. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la décision en litige aurait méconnu son droit au consentement libre et éclairé.
23. En deuxième lieu, les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, aujourd'hui reprises à l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, qui limitent à quatre mois les décisions de suspension, ne peuvent être utilement invoquées par la requérante dès lors d'une part que celle-ci n'a pas la qualité de fonctionnaire, d'autre part que la décision contestée a été prise sur le fondement du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Or, la loi du 5 août 2021 a institué un cas distinct de suspension des agents publics n'ayant pas justifié du respect de leur obligation vaccinale, dont la durée n'est pas limitée à quatre mois, et qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant. En outre, et alors même que l'administration n'a pas indiqué la durée de la mesure de suspension attaquée mais l'a conditionnée, ainsi qu'elle était en droit de le faire, à la production des documents attestant de la correcte exécution des obligations mises à la charge de l'agent par la loi du 5 août 2021, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération aurait commis une erreur de droit en prononçant une telle mesure pour une durée non précisée ou aurait entaché pour ce même motif sa décision de disproportion.
Sur la date d'entrée en vigueur de la décision contestée :
24. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a été placée en congé de maladie ordinaire depuis le 9 août 2021. Par suite, en vertu des principes rappelés au point 7, le moyen tiré de ce que la décision prononçant la suspension de la requérante a pris illégalement effet à compter du 15 septembre 2021, alors qu'à cette date elle était en congé de maladie, doit être accueilli.
25. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision en tant que son entrée en vigueur précède la fin de son congé de maladie.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
26. Il ressort tant des écritures en défense que des nombreux courriers ainsi que des attestations de paiement des indemnités journalières produits par la requérante elle-même que celle-ci a perçu les rémunérations qui lui étaient dues en application des dispositions citées au point 4 à compter du 9 août 2021 et jusqu'au 16 juin 2023, date du terme de son congé de maladie. Par suite, et dès lors que Mme A... ne peut prétendre à aucun versement à l'issue de ce congé de maladie, les conclusions de la requête aux fins d'injonction sous astreinte de versement de sommes correspondant aux traitements non perçus et de reconstitution de sa carrière ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie essentiellement perdante à la présente instance, la somme que la communauté d'agglomération du Grand Annecy demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération une somme au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La décision de suspension du 17 septembre 2021 de la présidente de la communauté d'agglomération du Grand Annecy est annulée en tant que sa date d'effet est prévue au 15 septembre 2021.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mai 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la communauté d'agglomération du Grand Annecy tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la communauté d'agglomération du Grand Annecy.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2024.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02401