Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'État à lui verser la somme de 35 954,94 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du 13 janvier 2017 prononçant la résiliation de son contrat d'engagement.
Par un jugement n° 2110292 du 2 octobre 2023, le tribunal lui a accordé 2 000 euros d'indemnisation pour préjudice moral.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er décembre 2023, M. B..., représenté par Me Leleu, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette ses demandes d'indemnisation au titre de la perte de revenus, de la perte de chance de percevoir le pécule d'incitation au départ, et les dispositifs d'aide à la reconversion ;
2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 33 452,25 euros en réparation du préjudice subi en raison de l'illégalité de la décision du 13 janvier 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'illégalité de la décision du 13 janvier 2017 par laquelle le général commandant la région terre sud-est a résilié son contrat d'engagement pour motif disciplinaire, dont le tribunal a prononcé l'annulation par un jugement du 23 janvier 2019, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;
- il aurait dû percevoir pendant la période d'éviction une rémunération globale dont n'a pas à être déduit le montant des allocations chômage perçues au titre de la même période, dans la mesure où ses droits au chômage ont été réduits du fait de son éviction illégale avant le terme de son contrat d'engagement ; le préjudice afférent peut être évalué à la somme de 417,08 euros en plus des sommes qui lui ont déjà été versées ;
- si son contrat d'engagement était arrivé à son terme, il aurait totalisé onze ans de service et aurait pu prétendre au pécule d'incitation au départ prévu par le décret n° 2013-1308 du 27 décembre 2013, dont le montant peut être estimé à 23 035,17 euros ; à cet égard, l'instruction du 14 juin 2016 qui prévoit que ce pécule n'est pas accordé aux militaires de rang, dont se prévaut le ministre des armées en défense, est illégale ; il demande également l'indemnisation de la perte de chance de renouvellement de son contrat ;
- en raison de la résiliation, illégale, de son contrat d'engagement, il a été privé de la possibilité de bénéficier des dispositifs d'aide à la reconversion et s'est retrouvé propulsé sans aucune préparation sur le marché de l'emploi, alors qu'il s'est engagé dans l'armée à dix-neuf ans et exerçait comme militaire depuis onze ans ; le préjudice afférent peut être évalué à la somme de 10 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 14 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 14 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;
- le décret n° 59-1193 du 13 octobre 1959 fixant le régime de l'indemnité pour charges militaires ;
- le décret n° 2013-1308 du 27 décembre 2013 pris pour l'application de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 ;
- l'arrêté du 3 mai 2002 fixant les conditions d'attribution et le taux journalier de l'indemnité pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., engagé volontaire depuis le 1er août 2006, a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de résiliation de son contrat par une décision du 13 janvier 2017, annulée par un jugement du tribunal du 23 janvier 2019. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon en ce qu'il a rejeté ses demandes d'indemnisation au titre de la perte de revenus, de la perte de chance de percevoir le pécule d'incitation au départ, et les dispositifs d'aide à la reconversion et de condamner l'État à lui verser la somme de 33 452,25 euros en réparation de l'entier préjudice résultant de l'illégalité de la décision du 13 janvier 2017.
2. L'arrêté du 13 janvier 2017 a été annulé par le motif que la sanction prononcée revêtait un caractère disproportionné. Dès lors cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de M. B....
Sur le préjudice lié à la perte de rémunération :
3. Aux termes de l'article L. 4123-1 du code de la défense : " Les militaires ont droit à une rémunération comportant notamment la solde dont le montant est fixé en fonction soit du grade, de l'échelon et de la qualification ou des titres détenus, soit de l'emploi auquel ils ont été nommés. Il peut y être ajouté des prestations en nature. / Le classement indiciaire des corps, grades et emplois qui est applicable aux militaires tient compte des sujétions et obligations particulières auxquelles ils sont soumis. / A la solde des militaires s'ajoutent l'indemnité de résidence et, le cas échéant, les suppléments pour charges de famille. Une indemnité pour charges militaires tenant compte des sujétions propres à l'état militaire leur est également allouée dans les conditions fixées par décret. / Peuvent également s'ajouter des indemnités particulières allouées en raison des fonctions exercées, des risques courus, du lieu d'exercice du service ou de la qualité des services rendus. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 13 octobre 1959 visé ci-dessus : " 1. L'indemnité représentative de frais dite indemnité pour charges militaires est attribuée aux officiers et militaires non officiers à solde mensuelle, ainsi qu'aux volontaires dans les armées, pour tenir compte des diverses sujétions spécifiquement militaires, et notamment de la fréquence des mutations d'office. / (...) 3. L'indemnité pour charges militaires varie en fonction du grade, de la situation de famille et des conditions de logement des militaires. ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 3 mai 2002 visé ci-dessus : " Les militaires non mentionnés aux articles 1er, 2 et 3 peuvent percevoir une indemnité, divisible, pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires, dans la limite de 12 taux journaliers pour une année civile entière de service. Cette indemnité est versée trimestriellement. ".
4. M. B... soutient que le ministre des armées doit encore l'indemniser à hauteur de 417,08 euros au titre des pertes de revenus. Il résulte de l'instruction que, au cours de la période d'éviction illégale comprise entre les 27 janvier et 31 juillet 2017, il aurait dû percevoir une somme de 7 552,49 euros, après déduction des indemnités pour charges militaires et pour temps d'activité, et d'obligations professionnelles complémentaires. Il apparaît que, pour cette période, il a perçu des allocations de retour à l'emploi (ARE) d'un montant de 4 639,64 euros, qui viennent en déduction de la somme de 7 552,49 euros qu'il aurait dû percevoir. L'administration était donc débitrice à son égard d'une somme de 2 912,85 euros. Mais, par une décision du 23 novembre 2020, elle l'a indemnisé à hauteur de 3 550,68 euros, pour un montant supérieur à sa réelle perte de revenus. Par suite, et alors que cette décision est aujourd'hui définitive, il est infondé à demander à ce titre une indemnité supplémentaire.
5. La réparation intégrale du préjudice de l'agent illégalement évincé du service peut également comprendre celle de la réduction de droits à l'indemnisation du chômage qu'il a acquis durant la période au cours de laquelle il a été employé du fait de son éviction de son emploi avant le terme contractuellement prévu. Il n'apparaît toutefois pas ici que M. B... aurait été privé du bénéfice d'allocations pour perte d'emploi auxquelles il aurait pu prétendre si son éviction illégale n'avait pas réduit ses droits à indemnisation. Aucune indemnité ne saurait, dès lors, lui être allouée à ce titre.
Sur le préjudice de carrière lié à la perte de chance d'obtenir un renouvellement du contrat d'engagement et un pécule :
6. Aux termes de l'article 38 de la loi du 18 décembre 2013 visée ci-dessus, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Peuvent prétendre, à compter du 1er janvier 2020 et jusqu'au 31 décembre 2025, sur demande agréée par le ministre de la défense et dans la limite d'un contingent annuel fixé par arrêté conjoint du ministre de la défense et des ministres chargés de la fonction publique et du budget, au versement d'un pécule modulable d'incitation au départ déterminé en fonction de la solde budgétaire perçue en fin de service : / 1° Le militaire de carrière en position d'activité se trouvant à plus de trois ans de la limite d'âge de son grade et pouvant bénéficier d'une solde de réserve en application de l'article L. 51 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'une pension de retraite liquidée dans les conditions fixées aux articles L. 24 et L. 25 du même code ; / 2° Le militaire engagé en position d'activité rayé des contrôles avant quinze ans de services ; / 3° Par dérogation au 2°, le maître ouvrier des armées en position d'activité se trouvant à plus de trois ans de la limite d'âge qui lui est applicable. / Le pécule est attribué en tenant compte des nécessités du service, de l'ancienneté de service du militaire et de l'intervalle le séparant de la limite d'âge de son grade. / (...) Un décret détermine, pour chaque catégorie de militaires mentionnée aux 1° à 3°, les conditions d'attribution ainsi que les modalités de calcul, de versement et, le cas échéant, de remboursement du pécule. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 27 décembre 2013 pris pour l'application de cette loi, dans sa rédaction applicable au litige : " Le pécule modulable d'incitation au départ instauré par l'article 38 de la loi du 18 décembre 2013 susvisée peut être attribué : / (...) 3° Aux sous-officiers, officiers mariniers, militaires du rang engagés, en activité qui, ayant plus de onze ans et moins de quinze ans de services, sont rayés des contrôles au terme de leur contrat. (...) ". L'article 5 du même décret, qui concerne les militaires engagés, prévoit que : " Le montant du pécule est égal à dix-sept mois de solde brute soumise à retenue pour pension. ".
7. Il résulte de l'instruction que par une décision du 15 juin 2016, dont le signataire avait régulièrement reçu délégation à cet effet par un arrêté du 24 février 2015, publié au JORF du 26 mars 2015, le ministre de la défense a informé l'intéressé que son contrat d'engagement, dont le terme était fixé au 31 juillet 2017, ne serait pas renouvelé. Ayant débuté ses fonctions le 1er aout 2006, il n'avait pas plus de onze ans de service à la date initialement prévue de fin de son contrat d'engagement et il n'était donc pas éligible au pécule d'incitation au départ. Il n'a donc, dans ce contexte, exposé aucune perte de chance de renouvellement de son contrat et d'obtenir un pécule. Aucune réparation ne saurait donc lui être allouée à ce titre.
Sur le préjudice lié à l'absence de bénéfice de dispositifs de reconversion :
8. Aux termes de l'article L. 4139-5 du code de la défense : " Le militaire peut bénéficier sur demande agréée : / 1° De dispositifs d'évaluation et d'orientation professionnelle destinés à préparer son retour à la vie civile ; / 2° D'une formation professionnelle ou d'un accompagnement vers l'emploi. / La formation ou l'accompagnement vers l'emploi sont accessibles au militaire ayant accompli au moins quatre ans de services militaires effectifs et sont destinés à préparer leur bénéficiaire à l'exercice d'un métier civil. / Pour l'acquisition de la formation professionnelle ou l'accompagnement vers l'emploi, le militaire peut, sur demande agréée, bénéficier d'un congé de reconversion et d'un congé complémentaire de reconversion, d'une durée maximale de six mois chacun. / Ces congés, destinés à préparer à l'exercice d'une profession civile, sont accordés au militaire ayant accompli au moins quatre ans de services militaires effectifs. / Durant ces congés, d'une durée maximale de douze mois consécutifs, le militaire perçoit, dans les conditions définies par décret en Conseil d'État, la rémunération de son grade. Celle-ci est suspendue ou réduite lorsque le bénéficiaire perçoit une rémunération publique ou privée. / La durée de ces congés compte pour les droits à avancement et pour les droits à pension. / A l'expiration du congé de reconversion ou du congé complémentaire de reconversion, selon le cas, le militaire est radié des cadres ou rayé des contrôles à titre définitif, sous réserve des dispositions prévues au VI de l'article 89 de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires. ". Aux termes de l'article R. 4138-28 du même code : " Pendant la durée du congé de reconversion prévu à l'article L. 4139-5, le militaire se consacre obligatoirement à la préparation d'une nouvelle activité professionnelle. A cette fin, il peut demander à bénéficier des aides mises à sa disposition, et notamment s'inscrire dans les organismes d'aide à la reconversion mis en place par le ministre de la défense (...) ".
9. S'il soutient qu'en raison de la résiliation illégale de son contrat d'engagement, il a été privé de la possibilité de bénéficier des dispositifs d'aide à la reconversion, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait déposé une demande d'aide à la reconversion ou suivi une formation à la suite de cette éviction. Par suite, il ne peut être indemnisé d'une perte de chance de bénéficier de ce dispositif.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses demandes. Sa requête doit donc, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juillet 2024.
La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY03680 2
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