Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Bricoman a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 21 septembre 2020 de la ministre du travail en tant qu'elle a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... A... et de confirmer cette décision en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 novembre 2019 qui avait refusé d'autoriser le licenciement de M. A....
Par un jugement n° 2006927 du 21 juillet 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 septembre 2023 et 19 avril 2024, la société Bricoman représentée par Me De San Lazaro demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, de confirmer la décision du 21 septembre 2020 en tant que la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 novembre 2019 et de l'annuler en tant qu'elle a rejeté sa demande d'autorisation de licenciement ;
2°) d'enjoindre à l'administration, à titre principal, d'autoriser le licenciement de M. B... A... dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé que " la finalité réelle de l'accord n'était pas la mobilité géographique mais la suppression des emplois dans le cadre de la fermeture de l'établissement de Bresson " ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que la société Bricoman n'avait pas appliqué loyalement l'accord de performance collective conclu le 28 juin 2019.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observations en défense.
La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit d'observations en défense.
Par une ordonnance du 11 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... recruté par la société Bricoman en contrat à durée indéterminée exerçait en dernier lieu les fonctions de manager des ventes au sein de l'établissement de Bresson (Isère) et bénéficiait par ailleurs de la qualité de salarié protégé au titre de sa candidature aux élections des membres du comité social et économique. Le 7 octobre 2019, la société Bricoman a sollicité l'autorisation de licencier M. A... qui avait refusé une affectation sur un nouveau site en application de l'accord de performance collective. Par une décision du 29 novembre 2019, l'inspecteur du travail de l'unité départementale de l'Isère a refusé l'autorisation demandée. Par une décision du 21 septembre 2020, prise sur recours hiérarchique de la société Bricoman, la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail pour erreur de droit et erreur d'appréciation et, d'autre part, refusé d'accorder l'autorisation de licenciement demandée. Saisi par la société Bricoman d'une demande tendant tout à la fois à la confirmation de la décision de la ministre en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail et à l'annulation de cette même décision en tant qu'elle a rejeté sa demande d'autorisation de licenciement, le tribunal a requalifié cette demande comme tendant seulement à l'annulation de la décision de la ministre en tant qu'elle a refusé d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée et l'a rejetée par un jugement du 21 juillet 2023. La société Bricoman, qui relève appel de ce jugement, sans se plaindre de ce que le tribunal aurait omis de statuer sur une partie de sa demande, doit être regardée, comme l'a fait le tribunal, comme demandant seulement, outre l'annulation du jugement, l'annulation de la décision de la ministre en tant qu'elle a refusé d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 2254-2 du code du travail : " I. - Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut : / (...) / - déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / (...) / III. - Les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord. / IV. - Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord. / V. - L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14, L. 1234-18, L. 1234-19 et L. 1234-20. (...) ".
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur le motif spécifique visé au V de l'article L. 2254-2 du code du travail, qui constitue, par application de ces dispositions, une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cet accord est conforme à la loi, notamment si l'accord de performance collective a été conclu pour répondre à des nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi.
4. En l'espèce, le protocole d'accord du 28 juin 2019 signé à la suite des réunions des 5 et 13 juin expose les raisons pour lesquelles il a été adopté dans son préambule, à savoir que : " La capacité de la société à ouvrir de nouveaux magasin mais également à faire évoluer, transformer et rénover ces magasins actuels (agrandissement, réimplantation) pour consolider son positionnement et répondre aux constantes évolutions du marché et besoins de ses clients, constitue en conséquence un enjeu majeur pour son développement et la pérennité de son activité. / La configuration de certains magasins et/ou leur implantation actuelle ne permet cependant pas toujours de répondre aux évolutions de son modèle (locaux trop exigus, vieillissants, situés dans des zones géographiques inadaptée...). La société peut également être confrontée à des situations qui rendent impossible le maintien d'un magasin dans son lieu d'implantation d'origine, notamment du fait des bailleurs pour les magasins dont elle n'est pas propriétaire des murs. (...) la société souhaite favoriser la mobilité géographie interne, qui permettra en partie de répondre à ses nécessités de fonctionnement tout en préservant et en développant l'emploi. ". Il apparaît ainsi que les signataires de cet accord, qui détaille les conditions de la mobilité géographique des salariés, ont entendu le conclure tout à la fois pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise et pour préserver et développer l'emploi, conformément aux objectifs assignés par la loi.
5. A la suite de l'incendie du magasin de Bresson et devant l'impossibilité de trouver un autre site susceptible de l'accueillir dans le bassin grenoblois, la société Bricoman a mis en œuvre pour trente-quatre des trente-six salariés du site, (deux ayant signé une rupture conventionnelle), cet accord collectif en leur proposant le même poste que celui qu'ils occupaient dans l'un des magasins de la société situé dans le périmètre géographique de mobilité déterminé par l'accord, l'établissement le plus proche étant situé à cent-treize kilomètres du magasin de Bresson. Un salarié a accepté cette mobilité géographique, tandis que les autres l'ont refusée, conduisant à leur licenciement sur le fondement de l'article L. 2254-2 du code du travail.
6. Pour refuser d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée, la ministre du travail s'est fondée sur le fait que la mise en œuvre de cet accord collectif au sein de l'entreprise constituait un détournement de procédure, la finalité de cet accord n'étant pas la mobilité géographique mais la suppression des emplois de plus de dix salariés dans le cadre de la fermeture de l'établissement de Bresson alors que l'effectif de l'entreprise est supérieur à cinquante salariés. Elle s'est, pour cela, fondée sur le fait que l'accord a été signé le 28 juin, alors que l'entreprise savait que les salariés concernés n'accepteraient pas la mobilité géographique proposée, que cet accord était limité à une durée d'un an à titre expérimental et qu'il avait été uniquement mis en application au niveau de cet établissement.
7. S'il est vrai que la mise en œuvre de cet accord au niveau de l'établissement de Bresson a conduit à la fermeture de cet établissement et au licenciement de trente-trois des trente-six salariés du site et que lorsque l'accord a été signé, la société savait déjà que les salariés finalement licenciés n'envisageaient pas de mobilité géographique, toutefois, il ressort des éléments produits par la société en appel que la mise en œuvre de cet accord n'a pas conduit à la diminution du nombre d'emplois dans l'entreprise. Les postes proposés aux salariés de l'établissement de Bresson dans les autres magasins de la société, correspondant aux postes qu'ils occupaient jusque-là, ont été pourvus au cours des mois qui ont suivi la mise en œuvre de l'accord par le recrutement de nouveaux salariés. La société Bricoman, qui comptait mille neuf-cent-quarante-huit collaborateurs au 30 septembre 2019, en comptait deux mille soixante-trois en septembre 2020. Dans ces conditions, et quand bien-même l'accord initial, qui a au demeurant été reconduit, avait été signé pour une durée d'un an à titre expérimental et qu'il n'avait été mis en œuvre que pour les salariés de cet établissement, avant d'être mis en œuvre une fois prorogé au sein des établissements de Sausheim et Laval, la société Bricoman ne s'est pas livrée à un détournement de l'objet de l'accord de performance collective ni à un détournement de procédure en mettant en œuvre ici cet accord. Par suite, le motif de refus de l'autorisation de licenciement tiré de ce que la finalité réelle de l'accord n'était pas la mobilité géographique mais la suppression des emplois dans le cadre de la fermeture de l'établissement de Bresson, n'est pas fondé.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Bricoman est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la ministre en tant qu'elle a refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. A....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution de la présente décision implique que la ministre du travail procède à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Bricoman dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à la société Bricoman sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 21 juillet 2023 et la décision de la ministre du travail du 21 septembre 2020, en tant qu'elle rejette la demande d'autorisation de licenciement de M. A..., sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre du travail, de la santé et des solidarités de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Bricoman concernant M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros à la société Bricoman au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bricoman, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
C. DjebiriLa présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-Larcher
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY03030 2
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