Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 23 mai 2023 par lesquels le préfet de la Loire, d'une part, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département de la Loire pour une durée maximale de quarante-cinq jours.
Par jugement n° 2304216 du 26 mai 2023, la magistrate désignée du tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Goma Mackoundi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) de mettre à la charge du préfet de la Loire la somme de 1 600 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été statué sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée d'assignation à résidence ;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision refusant tout délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle justifie de circonstances humanitaires faisant obstacle à ce que soit prononcée une interdiction de retour sur le territoire français ;
- l'assignation à résidence est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Le préfet de la Loire auquel la requête a été communiquée n'a pas présenté d'observations.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Evrard.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante angolaise née le 1er novembre 1986, est entrée en France le 17 juillet 2019, sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités portugaises, et a demandé l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 14 avril 2021, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 28 octobre 2021. Le préfet de l'Ardèche l'a obligée à quitter le territoire français par un arrêté du 31 décembre 2021. Par des arrêtés du 23 mai 2023, le préfet de la Loire, d'une part, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département de la Loire pour une durée maximale de quarante-cinq jours. Mme B... relève appel du jugement du 26 mai 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le premier juge n'a ni visé ni examiné le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée l'assignation à résidence, qui n'était pas inopérant. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier à ce titre.
3. Il y a lieu, dès lors, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'assignation à résidence édictée à son encontre, et de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de sa requête.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français vise l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que Mme B... a fait l'objet d'une mesure d'éloignement prononcée par le préfet de l'Ardèche le 31 décembre 2021 qu'elle n'a pas exécutée. Enfin, elle précise que Mme B... n'a pas sollicité son admission au séjour, et rappelle les circonstances de fait attachées à sa situation personnelle, et, notamment, la circonstance que son compagnon, M. A... C..., séjourne irrégulièrement en France, que les intéressés ont quatre enfants et que la requérante ne justifie pas être dépourvue de toute attache dans son pays d'origine. Par suite, cette décision, qui comporte l'énoncé des circonstances de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée.
5. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux, ainsi motivé, que le préfet de la Loire a préalablement procédé à un examen particulier de la situation de Mme B.... Le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit, par suite, être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... n'a jamais été admise au séjour en France, à l'exception de la période durant laquelle sa demande d'asile a été examinée. Elle ne fait état d'aucun élément faisant obstacle à ce que la cellule familiale qu'elle forme avec M. C..., qui se maintient également en France de façon irrégulière, se reconstitue en Angola, pays dans lequel elle-même a vécu la majeure partie de sa vie et où elle conserve l'essentiel de ses attaches privées et familiales, et, notamment, ses deux frères. En outre, l'obligation de quitter le territoire français n'a ni pour objet, ni pour effet, de séparer la requérante de ses enfants mineurs qui peuvent poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Par suite, la mesure d'éloignement opposée à Mme B... n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Elle n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni encore celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes motifs, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
Sur la légalité de la décision refusant tout délai de départ volontaire :
8. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. " L'article L. 612-2 du même code précise : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ".
9. Mme B... n'ayant pas exécuté une précédente mesure d'éloignement, le préfet de la Loire pouvait, alors même qu'elle avait contesté cette décision, regarder comme établi le risque qu'elle se soustraie à la nouvelle obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. En se prévalant de sa situation personnelle, telle que rappelée précédemment, et en indiquant qu'elle avait l'intention de solliciter sa régularisation sur le territoire français, Mme B... ne justifie pas de circonstances particulières propres à écarter ce risque de soustraction. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Loire, en lui refusant tout délai de départ volontaire, aurait méconnu les dispositions citées au point 8.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".
11. Comme indiqué précédemment, Mme B... s'est vu refuser tout délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre. Par ailleurs, les éléments dont elle fait état, tenant à la présence en France de ses quatre enfants et à leur scolarisation, ne constituent pas, alors qu'il n'est pas démontré que cette scolarité ne pourrait pas être poursuivie en Angola, des circonstances humanitaires justifiant que l'autorité administrative s'abstienne de prononcer une interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Loire aurait commis une erreur d'appréciation en prononçant à son encontre une telle interdiction.
Sur la légalité de l'assignation à résidence :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'assignation à résidence est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
13. En deuxième lieu, et pour les motifs exposés au point 7, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'assignation à résidence méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en tout état de cause, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
14. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ". Aux termes de l'article R. 733-1 du même code : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 définit les modalités d'application de la mesure : 1° Elle détermine le périmètre dans lequel il est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence ; 2° Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'elle fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si l'obligation de présentation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ; 3° Elle peut lui désigner une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il réside ".
15. En se bornant à faire état, sans plus de précision, de la scolarisation de ses enfants, de la présence d'amis à Lyon et de la fréquentation d'une église dans l'agglomération lyonnaise, Mme B... n'établit pas que les prescriptions dont la décision d'assignation est assortie, en application de l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et, notamment, l'obligation de ne pas sortir du département de la Loire et de se présenter deux fois par semaine au commissariat de police de Saint-Etienne, commune où elle réside, sont disproportionnées au regard de sa situation personnelle, eu égard notamment au but poursuivi par cette mesure qui est d'assurer l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le préfet de la Loire a pu, sans méconnaître les dispositions précitées ni davantage entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, assortir l'assignation à résidence prononcée à l'encontre de Mme B... des obligations en cause.
16. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre l'obligation de quitter le territoire français, le refus de délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français et qu'elle n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 23 mai 2023 par laquelle le préfet de la Loire l'a assignée à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme B....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2304216 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 26 mai 2023 est annulé en tant qu'il a statué sur l'assignation à résidence.
Article 2 : La demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'assignation à résidence et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme Psilakis, première conseillère,
Mme Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
A. EvrardL'assesseure la plus ancienne,
C. Psilakis
La greffière
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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23LY02203