Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 17 mai 2023 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2304643 du 19 juin 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin 2023 et 25 octobre 2023, M. D..., représenté par la SCP Couderc-Zouine, agissant par Me Zouine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 juin 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 17 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocate d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3, 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation, et d'un vice de procédure ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît son droit d'être entendu préalablement ;
- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire est illégal par suite de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- il est entaché d'incompétence ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen particulier ;
- la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant tunisien né en 1988, est entré irrégulièrement en France en 2011. Par un arrêté du 17 mai 2023, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de son éloignement et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. D... relève appel du jugement du 19 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, la décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, notamment celles relatives à la situation personnelle du requérant. Par suite, et dès lors que le préfet de l'Isère n'était pas tenu de mentionner de manière exhaustive l'ensemble des éléments de la situation personnelle de M. D..., elle est suffisamment motivée.
3. En deuxième lieu, il ressort de la motivation de l'arrêté attaqué que la mesure d'éloignement a été prise après un examen de la situation personnelle de M. D....
4. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal d'audition par les services de police du 25 avril 2023 que M. D... a été informé que le préfet de l'Isère était susceptible de prendre à son encontre une mesure d'éloignement du territoire français puis a été invité à présenter ses observations. A ce titre, le requérant a pu notamment faire valoir les éléments relatifs à sa vie personnelle et à son état de santé. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige est intervenue en violation du droit d'être entendu.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elle prévoit des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. D... a indiqué, lors de son audition le 25 avril 2023 par un agent de police judiciaire, qu'il est porteur d'une hépatite et qu'il suit un traitement. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait communiqué au préfet des pièces médicales étayant ses déclarations et établissant, notamment, que le traitement approprié à son état de santé ne serait pas disponible en Tunisie. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de l'Isère, en ne saisissant pas le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration pour avis, aurait entaché l'arrêté contesté d'irrégularité au regard des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
7. D'autre part, si M. D... déclare souffrir d'une hépatite B chronique et suivre à cet effet un traitement en France, il produit aucun document médical de nature à démontrer qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet de l'Isère, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, aurait méconnu les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. D... fait valoir la durée de sa présence en France et son mariage avec une ressortissante française. Toutefois, le requérant est entré irrégulièrement en France et il s'y est ensuite maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, sa demande de titre de séjour formulée le 24 novembre 2021 en qualité de conjoint d'une Française ayant été déclarée irrecevable par la préfète de la Loire le 24 mai 2022. M. D... a été incarcéré moins de six mois après son mariage, célébré le 11 septembre 2021. Il a été condamné le 28 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon à une peine d'emprisonnement de douze mois pour des faits de conduite sans permis en récidive, conduite d'un véhicule terrestre à moteur sans assurance en récidive, menace de crime ou délit contre les personnes et les biens à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique et le 25 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon à une peine d'emprisonnement de dix mois pour des faits de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou d'infirmité, en récidive, et de conduite sans permis en récidive. Dans ces conditions, eu égard à la menace que son comportement représente pour l'ordre public, au caractère récent de son mariage et en dépit de la sclérose en plaques dont est atteinte son épouse, l'obligation de quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. Le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français violerait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté. Pour les mêmes motifs, la mesure d'éloignement n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité du refus d'accorder à M. D... un délai de départ volontaire :
10. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par M. C... A..., directeur de la citoyenneté, de l'immigration et de l'intégration, qui bénéficiait à ce titre d'une délégation de signature accordée par le préfet de l'Isère par arrêté du 26 juillet 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté manque en fait et doit être écarté.
11. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision attaquée, ni d'aucune autre des pièces du dossier que l'autorité préfectorale n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de M. D..., au regard de l'ensemble des informations portées à sa connaissance préalablement à son édiction. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen ne peut qu'être écarté.
12. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 2 à 9, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant de délai de départ volontaire serait illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
13. En quatrième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité ".
14. M. D... est entré irrégulièrement en France et s'y est maintenu sans avoir sollicité de titre de séjour. Pour ce seul motif, il se trouvait dans le cas visé au 1° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant, sauf circonstance particulière, de présumer établi le risque de soustraction à la mesure d'éloignement en litige. La situation du requérant ne révèle l'existence d'aucune circonstance particulière au regard de ces dispositions. Le moyen selon lequel le préfet aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire doit ainsi être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. M. D..., n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
16. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français serait illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
17. En second lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 9, les éléments de sa vie privée et familiale dont fait état le requérant, y compris son état de santé, ne suffisent pas pour considérer que la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, limitée à un an, serait entachée d'une erreur d'appréciation. Pour les mêmes motifs, en tout état de cause, l'interdiction de retour sur le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
19. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02206