Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2022 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination.
Par un jugement n° 2204658 du 15 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 16 mars 2023, M. A..., représenté par Me Huard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour assorti d'une autorisation de travail sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois en le munissant, dans l'attente sous huitaine, d'une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le préfet a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement ; il justifie avoir présenté sa demande dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire car les éléments dont s'est prévalu le préfet ne suffisaient pas à remettre en cause l'authenticité de ses actes d'état-civil ; il justifie du caractère réel et sérieux de sa formation ; il n'a pas de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ; le préfet ne conteste pas qu'il remplit les autres conditions ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 14 mai 2024, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant malien, a déclaré être entré en France le 16 juillet 2018 à l'âge de quatorze ans. Il a été placé auprès du service social de l'aide à l'enfance. M. A... relève appel du jugement du 15 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2022 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination.
2. Il y a lieu, par adoption des motifs du tribunal, d'écarter le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté.
Sur le refus de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".
4. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
5. Pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet s'est fondé, d'une part, sur le fait qu'il ne justifiait ni être démuni d'attaches familiales et personnelles dans son pays ni du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation et que malgré l'avis favorable de la structure d'accueil d'autres éléments démontraient des difficultés d'intégration et, d'autre part, sur le fait qu'il ne pouvait être regardé comme justifiant de son état civil et qu'en raison de cette fraude, il n'était pas établi qu'il était effectivement âgé de moins de dix-huit ans à la date à laquelle il a été placé à l'aide sociale à l'enfance.
6. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
7. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 ou L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.
8. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
9. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
10. M. A... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un jugement supplétif d'acte de naissance n° 422 du 5 septembre 2008, un extrait d'acte de naissance n° 2118 du 24 août 2012, ainsi qu'une carte d'identité consulaire délivrée le 28 novembre 2019 par le consulat du Mali à Lyon. Ces deux premiers documents ont été soumis à l'analyse du service de la police aux frontières qui a estimé le 10 juillet 2019 qu'ils n'étaient pas rédigés dans les formes, de sorte qu'ils n'étaient pas recevables au titre de l'article 47 du code civil. Le préfet, qui a également indiqué que ces documents n'avaient pas été légalisés, s'est fondé sur cette analyse pour en écarter la force probante.
11. S'agissant du jugement supplétif, il a été indiqué qu'il s'agit d'un extrait photocopié de faible qualité technique sur lequel le sexe de l'enfant n'est pas indiqué. Toutefois, le jugement supplétif est lisible et le sexe de l'enfant se déduit de la mention " le nommé ".
12. En revanche, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance, il a été indiqué que le délai légal d'appel n'a pas été respecté, que le numéro NINA est manquant, en dépit de la loi malienne du 11 septembre 2006 portant institution du numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales et d'un champ prévu à cet effet, et qu'il a été fait usage d'abréviations. M. A... ne conteste pas ces irrégularités, et notamment celle tenant à l'absence de numéro NINA. Le préfet constate que, malgré une simplification des démarches, M. A... n'a pu obtenir son passeport alors que ce dernier indique avoir entamé en 2020, mais sans résultat à ce jour, des démarches en vue de se procurer un tel numéro.
13. Enfin, s'agissant de la carte consulaire, qui ne constitue pas un acte d'état civil et qui, en l'espèce a été délivrée au vu des éléments précités, et notamment de l'extrait d'acte de naissance qui ne présente pas de garanties d'authenticité, elle n'est pas de nature à justifier de son identité.
14. Au regard de la nature et de l'importance des diverses anomalies dont il est fait état au point 11, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, le préfet de la Savoie a pu légalement écarter comme dépourvu de valeur probante l'extrait d'acte de naissance du 24 août 2012, établi sur la base du jugement supplétif du 5 septembre 2008, et considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil y étant mentionnés et estimer que M. A... ne justifiait pas qu'il était effectivement âgé de moins de dix-huit ans à la date à laquelle il a été placé à l'aide sociale à l'enfance.
15. En admettant même, comme l'a jugé le tribunal, que le préfet ait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer un titre de séjour à M. A... au motif qu'il ne justifiait ni être démuni d'attaches familiales et personnelles dans son pays ni du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation et que malgré l'avis favorable de la structure d'accueil d'autres éléments démontraient des difficultés d'intégration, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif tiré de ce que, compte tenu du caractère frauduleux des actes d'état civil produits, il ne justifiait pas de son âge.
16. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (..). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ".
17. Il ressort des pièces du dossier que M. A... demeurait en France depuis quatre années à la date de la décision en litige. Il n'a pas obtenu le CAP de cuisine qu'il préparait. S'il s'est de nouveau inscrit en CAP, ces faits sont postérieurs à la décision en litige. Il est célibataire et sans enfant. Il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où vivent ses frères et sœurs et ses parents. Dans ces conditions, et quand bien même il a fait des efforts pour apprendre le français et justifie avoir travaillé d'octobre 2021 à novembre 2022 en qualité de manœuvre, la décision contestée n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet de la Savoie n'a, ainsi, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
18. Il résulte de l'examen de la légalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé que M. A... n'est pas fondé demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour.
19. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
20. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur
et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00936
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