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29/05/2024 | FRANCE | N°22LY02814

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 29 mai 2024, 22LY02814


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur adjoint du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie l'a suspendu sans traitement de ses fonctions de sapeur-pompier professionnel à compter du même jour au motif qu'il ne justifiait pas de sa vaccination contre la covid-19 ou d'une contre-indication à cette vaccination.



Par un jugement n°2108476 du 19 juillet 2022

, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision et enjoint au SDIS de la Savo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur adjoint du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie l'a suspendu sans traitement de ses fonctions de sapeur-pompier professionnel à compter du même jour au motif qu'il ne justifiait pas de sa vaccination contre la covid-19 ou d'une contre-indication à cette vaccination.

Par un jugement n°2108476 du 19 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision et enjoint au SDIS de la Savoie de réexaminer la situation du requérant dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2022, et un mémoire en réplique, enregistré le 6 mai 2024 qui n'a pas été communiqué, le SDIS de la Savoie, représenté par la SCP Zribi et Texier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement en cause est irrégulier dès lors que le tribunal s'est fondé sur un moyen qui n'était pas invoqué et qui n'est pas d'ordre public ;

- l'employeur se trouve en situation de compétence liée pour prononcer la suspension d'un agent public qui ne saurait justifier de sa vaccination, d'une contre-indication à la vaccination ou d'un certificat de rétablissement ;

- il justifie avoir informé M. B... des conséquences attachées à l'obligation vaccinale ;

- en tout état de cause, M. B... n'a pas été privé d'une garantie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Joseph, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au SDIS de la Savoie de le réintégrer dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui verser les salaires dus pendant la période de suspension ;

3°) à ce que soit mise à la charge C... de la Savoie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les moyens présentés par le SDIS de la Savoie ne sont pas fondés ;

- la décision contestée relève d'une sanction et la procédure disciplinaire n'a pas été respectée ;

- la loi sur l'obligation vaccinale est contraire à un certain nombre de normes de droit international et européen, ainsi qu'à certains textes nationaux sur le consentement libre et éclairé du patient ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 est inconventionnelle au regard de plusieurs normes internationales et européennes ;

- le SDIS de la Savoie était dans l'incapacité de lui garantir que les produits qu'il lui demandait de se faire injecter étaient sans risque pour sa santé, et il ne pouvait pas les lui imposer sous peine de suspension sans rémunération.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me Joseph, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjudant de sapeurs-pompiers professionnels, a fait l'objet d'une décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur adjoint du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie l'a suspendu de ses fonctions sans traitement, à compter du même jour, pour défaut de présentation d'un certificat de vaccination contre la covid-19, d'un certificat médical de contre-indication ou d'un certificat de rétablissement. Le SDIS de la Savoie relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision et lui a enjoint de réexaminer la situation de son agent.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que l'appelant soutient, il ressort des écritures produites en première instance que M. B... a invoqué à plusieurs reprises la méconnaissance des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 et l'absence d'information, de la part de son employeur, des conséquences impliquées par le non-respect résultant des obligations mises à sa charge par la loi précitée. Il en résulte que le tribunal, qui n'a donc pas fondé sa décision sur un moyen qui n'avait pas été invoqué ou qu'il aurait à tort relevé d'office sans en informer les parties, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 susvisée : " I. - (...) B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. (...) III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (...). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".

4. Pour annuler la décision en litige, le tribunal a retenu en premier lieu que le SDIS de la Savoie ne justifiait pas que la décision avait été prise après que M. B... a été informé, conformément aux dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation et de la possibilité d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés et en second lieu, que ce défaut d'information avait privé le requérant d'une garantie, le SDIS de la Savoie n'étant par ailleurs pas en situation de compétence liée.

5. D'une part, il ressort des dispositions citées au point 3 que le SDIS de Savoie n'était pas, contrairement à ce qu'il soutient, en situation de compétence liée pour prendre la décision attaquée dès lors qu'une alternative telle que l'utilisation de jours de congés est prévue pour l'agent qui ne peut plus exercer son activité, sous réserve de l'accord de l'employeur.

6. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. Il ressort du courrier de notification de la décision attaquée, daté du 2 novembre 2021, que celui-ci ne fait pas état d'un quelconque entretien ayant précédé l'édiction de la mesure de suspension. S'il résulte en revanche des termes de la décision contestée que " l'intéressé a été informé des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer son activité ainsi que des moyens de régulariser sa situation ", une telle circonstance, contestée par l'agent, n'est corroborée que par une attestation non signée du capitaine du centre de secours d'Aix-les-Bains du 5 août 2022 faisant état d'une information donnée aux sapeurs-pompiers, via une note de service qui n'est pas versée aux débats, la référence à un entretien au cours du mois d'août 2021 sur les conséquences impliquées par l'absence de vaccination, auquel la décision attaquée ne renvoie pas et qui n'est pas étayée par d'autres éléments, et par un " compte-rendu d'évènement " du commandant C... également daté du 5 août 2022 faisant état d'une information qui aurait été donnée le 2 novembre 2021 par les officiers présents au centre de secours, sans plus de précision sur le contenu de cette information. Ces éléments, qui au demeurant n'ont pas été produits selon les formes requises comme M. B... l'oppose, ne permettent pas de contredire utilement l'allégation selon laquelle il n'aurait pas été averti des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation, notamment par l'utilisation de ses jours de congés payés. Les échanges de courriers électroniques entre le SDIS et M. B... produits en appel par l'administration requérante ne sont pas davantage de nature à établir l'existence d'une information conforme aux exigences précitées qui aurait été délivrée à cet agent, antérieurement ou concomitamment à la décision attaquée.

8. Eu égard au caractère impératif des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ci-dessus rappelées, mettant à la charge de l'employeur une obligation d'information sans délai des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer résultant de la constatation, par lui, qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I du même article, le SDIS de Savoie n'est pas fondé à soutenir que M. B... n'aurait pas été privé d'une garantie ou que cette absence d'information à l'égard de son agent n'aurait pas exercé une influence sur le sens de la décision attaquée.

9. Il résulte de ce qui précède que le SDIS de la Savoie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 2 novembre 2021 par laquelle le directeur adjoint C... a suspendu M. B... sans traitement de ses fonctions de sapeur-pompier professionnel à compter du même jour.

Sur les conclusions de M. B... :

10. Ainsi que les premiers juges l'ont à bon droit retenu, l'exécution du jugement n'impliquait pas nécessairement, eu égard au motif d'annulation de la décision de suspension, que le SDIS de la Savoie réintègre effectivement M. B... dans ses fonctions, mais seulement qu'il réexamine sa situation. Par suite, les conclusions d'appel incident présentées sur ce point par M. B... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que le SDIS de la Savoie demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B... au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du service départemental d'incendie et de secours de la Savoie est rejetée.

Article 2 : Les conclusions incidentes et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de la Savoie, à M. A... B... et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mai 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Michèle Daval

La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02814


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02814
Date de la décision : 29/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-01-01-02 Santé publique. - Protection générale de la santé publique. - Police et réglementation sanitaire. - Lutte contre les épidémies.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP ZRIBI & TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-29;22ly02814 ?
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