Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 9 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier Pierre Oudot l'a suspendue sans traitement à compter du 15 septembre suivant, des fonctions qu'elle exerçait en qualité de psychomotricienne, au motif qu'elle ne justifiait pas de sa vaccination contre la covid-19 ou d'une contre-indication à cette vaccination, et d'enjoindre au centre hospitalier de lui reverser les salaires dont elle a été privée durant le temps de sa suspension.
Par un jugement n° 2107292 du 19 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 4 mars 2024, qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Guyon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision de suspension du 9 septembre 2021, à titre principal en tant qu'elle n'a pas tenu compte de son arrêt de maladie, à titre subsidiaire en totalité ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, d'abroger la décision du 9 septembre 2021 ;
4°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier Pierre Oudot, à titre principal de la rétablir dans ses fonctions, de procéder à sa réintégration et au versement de sa rémunération, y compris de manière rétroactive, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation ou à son licenciement pour inaptitude, sous astreinte de 400 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier Pierre Oudot une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle constitue une sanction disciplinaire qui est entachée d'irrégularité, dès lors notamment qu'elle n'a pas été précédée d'un avis du conseil de discipline et a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- il s'agit également d'une sanction disciplinaire déguisée ;
- la mesure est disproportionnée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- la décision contestée, qui a pour objet de prononcer une interdiction d'exercice ainsi qu'une suspension de fonctions, est de nature à porter atteinte à l'organisation du service public hospitalier ;
- elle méconnaît les principes d'égalité et de non-discrimination ;
- elle est contraire à l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'article 2 de cette même convention ;
- elle porte atteinte au droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et aux principes à valeur constitutionnelle d'égalité, de précaution, de respect de l'intégrité physique et du corps humain ;
- elle méconnaît le droit au respect du secret médical ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle était en congé de maladie depuis le 3 septembre 2021, de sorte que la décision en litige ne pouvait prévoir son entrée en vigueur le 15 septembre suivant ;
- il y a lieu d'abroger la décision de suspension dès lors qu'elle est devenue illégale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2023, le centre hospitalier Pierre Oudot, représenté par Me Tissot, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-l du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens présentés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;
- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;
- le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- la directive n° 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Métier, représentant le centre hospitalier Pierre Oudot.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., psychomotricienne au centre hospitalier Pierre Oudot (Bourgoin-Jallieu), a fait l'objet d'une décision du 9 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier l'a suspendue sans traitement à compter du 15 septembre suivant, au motif qu'elle ne justifiait pas de sa vaccination contre la covid-19 ou d'une contre-indication à cette vaccination. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière applicable au litige et désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité à droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ".
3. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) ". Et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent.
Sur la décision contestée en tant qu'elle prononce une suspension :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. En premier lieu, aux termes du V de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 dans sa version applicable au litige : " Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité (...) ". Il en résulte qu'il appartient à l'employeur des personnes soumises à l'obligation vaccinale de contrôler le respect de cette obligation, au vu des documents prévus par ce même article, notamment le certificat de statut vaccinal ou un certificat de contre-indication, ou un certificat de rétablissement. En application du II de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, le décret du 1er juin 2021 a prévu les modalités d'établissement et de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. En outre, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art. (...) ".
6. En l'espèce, la décision en litige a été prise par le directeur des ressources humaines, sur délégation du directeur du centre hospitalier Pierre Oudot, employeur de Mme B..., bénéficiant à ce titre de l'habilitation législative précitée dans le respect des contraintes relatives à l'accès aux données de santé préservant le secret médical. Ce dernier disposait d'une délégation du directeur de l'établissement du 16 septembre 2020 à effet de signer notamment les décisions relevant de la gestion du personnel non médical. Le moyen tiré de l'absence d'habilitation de l'employeur ou de la personne placée sous sa responsabilité ne peut qu'être écarté, de même que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de suspension.
7. En deuxième lieu, la décision en litige qui fait mention des dispositions légales applicables, notamment la loi du 5 août 2021, et procède à l'analyse de la situation personnelle de la requérante au regard de l'obligation vaccinale à laquelle elle est soumise, est suffisamment motivée.
8. En troisième lieu, l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui soumet notamment les agents qu'elle vise à l'article 12 à l'obligation de vaccination contre la covid-19, détermine les conséquences de la méconnaissance de cette obligation, en prévoyant leur suspension. Lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application de ces dispositions et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité sans prononcer de sanction dès lors qu'elle n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif qu'il aurait commis. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait, dès lors, être regardée ni comme une sanction, quand bien même elle perdurerait au terme d'un délai de plus de six mois, ni comme une sanction déguisée. Par conséquent, les moyens tirés des vices de procédure entachant d'irrégularité la décision de suspension en litige doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité interne :
9. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète.
10. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit à l'intégrité physique, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et répond notamment aux justifications précitées. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.
11. Le but poursuivi par la vaccination obligatoire n'est pas seulement de répondre, à un instant donné, à une vague épidémique, mais d'obtenir un effet d'une certaine durée, y compris en prévision de vagues futures. A la date du décret du 7 août 2021, les personnes vaccinées avaient douze fois moins de risque de contracter le virus de la covid-19 que les personnes non vaccinées et, en cas de contamination, avaient quatre fois moins de risque de le transmettre que les personnes non vaccinées. L'instauration d'un " passe sanitaire ", puis d'un " passe vaccinal ", selon les modalités fixées par les textes successifs, a permis de maintenir l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements présentant un risque particulier de diffusion du virus. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles et de l'expérience de la période précédente que d'autres mesures, telles que les " gestes barrière " ou le port du masque, n'auraient pas suffi à maîtriser l'épidémie. Il ne ressort des pièces du dossier, ni que les tests auraient présenté des difficultés d'accès ou de réalisation telles qu'elles auraient fait obstacle à l'obtention du " passe sanitaire ", ni que ces mêmes tests auraient présenté des garanties telles qu'elles auraient rendu inutile le régime du " passe vaccinal ". Il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, telle qu'encadrée par le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil. En vertu de ce règlement, l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même s'accompagne-t-elle d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection très élevée contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus, même si des incertitudes s'étaient fait jour sur ce second point, tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices. La préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Il ressort de ces mêmes avis que les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d'une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées.
12. Par suite, les dispositions critiquées ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique, et proportionnée à ce but. Mme B... n'est ainsi pas fondée à soutenir, ainsi que le tribunal l'a retenu dans le jugement en litige suffisamment motivé sur ce point, que l'obligation vaccinale, alors même qu'elle ne garantirait pas totalement l'absence de contamination, méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et que la décision en litige le serait par voie de conséquence. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré du caractère disproportionné de la mesure doit être écarté.
13. Il en résulte également que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige procèderait d'une rupture d'égalité entre soignants vaccinés et non vaccinés ou d'une méconnaissance du principe de non-discrimination, tel que protégé notamment par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, la circonstance que les dispositions de la loi du 5 août 2021 font peser sur les personnes exerçant une activité au sein des établissements de santé une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité, invoqué sous diverses branches, doit être écarté.
14. En deuxième lieu, le quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose que : " Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ". Si Mme B... se prévaut de l'interdiction de la réalisation de tout acte médical ou scientifique sur une personne sans que cette dernière ait préalablement exprimé son consentement libre et éclairé, il est précisément constant qu'elle n'a pas été contrainte de subir une injection du vaccin contre la covid-19 et qu'elle n'a donc été privée d'aucun droit. Par suite, le moyen, qui est inopérant, doit être écarté. En tout état de cause, les dispositions de la loi du 5 août 2021 qui instaurent une obligation de vaccination contre la covid-19 applicable aux professions de santé, constituent une restriction au droit institué par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique de ne pas recevoir de traitement sans consentement libre et éclairé. Elles sont toutefois directement liées aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de ces fonctions. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la décision en litige aurait méconnu son droit au consentement libre et éclairé.
15. En troisième lieu, les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, aujourd'hui reprises à l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, qui limitent à quatre mois les décisions de suspension, ne peuvent être utilement invoquées par la requérante dès lors que la décision contestée a été prise sur le fondement du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Or, la loi du 5 août 2021 a institué un cas distinct de suspension des agents publics n'ayant pas justifié du respect de leur obligation vaccinale, dont la durée n'est pas limitée à quatre mois, et qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant. En outre, et alors même que l'administration n'a pas indiqué la durée de la mesure de suspension attaquée mais l'a conditionnée, ainsi qu'elle était en droit de le faire, à la production des documents attestant de la correcte exécution des obligations mises à la charge de l'agent par la loi du 5 août 2021, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier aurait commis une erreur de droit en prononçant une telle mesure pour une durée non précisée ou aurait entaché pour ce même motif sa décision de disproportion.
16. En quatrième lieu, Mme B... ne conteste pas qu'elle n'a pu justifier avoir satisfait à l'obligation vaccinale contre la covid-19 conformément aux dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 rappelées au point 3. Par suite le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
17. En cinquième lieu, le moyen tiré de l'atteinte au principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public doit être écarté comme inopérant, dès lors que la décision en litige n'a par elle-même ni pour objet ni pour effet de contrarier un tel principe. A supposer que la requérante ait entendu contester à ce titre le principe même de l'obligation vaccinale posé par la loi du 5 août 2021, elle n'a pas présenté de question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'inconstitutionnalité de cette loi sur ce point dans un mémoire distinct conformément aux dispositions des articles R. 771-3 et R. 771-4 du code de justice administrative, de sorte que le moyen est irrecevable et ne peut dès lors qu'être écarté. Il en va de même du moyen tiré de ce que la décision attaquée porterait, en raison de la base légale sur laquelle elle se fonde, une atteinte au droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et aux principes à valeur constitutionnelle d'égalité, de précaution, de respect de l'intégrité physique et du corps humain, dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur de tels moyens relatifs à la constitutionnalité de dispositions législatives hormis dans le cas où par un mémoire distinct il serait saisi d'une demande tendant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par suite, eu égard à l'office du juge, les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 sont irrecevables et doivent être écartés.
18. En sixième lieu, Mme B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sureté, dès lors que les stipulations de cet article ne sont pas applicables au présent litige.
19. En septième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ". Ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce qui est soutenu, les vaccins ne sauraient dès lors être regardés comme en phase expérimentale. L'administration d'un vaccin à la population sur le fondement d'une telle autorisation conditionnelle ne constitue, eu égard à sa nature et à ses finalités, ni une étude clinique, ni un essai clinique, ni l'administration d'un médicament expérimental, notamment selon les définitions données par l'article 2 du règlement n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Il ne s'agit pas davantage d'une recherche impliquant la personne humaine au sens des articles L. 1121-1 et suivants du code de la santé publique. D'autre part, si la requérante fait valoir que la limitation des possibilités de contre-indications individuelles porterait une atteinte potentielle à ce droit, compte tenu des risques révélés par les données de pharmacovigilance, de tels éléments ne sont pas de nature à caractériser un danger de cette nature. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la date d'entrée en vigueur de la décision contestée :
20. Aux termes de l'article 14 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " Sous réserve des dispositions de l'article 15 ci-dessous, en cas de maladie dûment constatée et mettant le fonctionnaire dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, celui-ci est de droit mis en congé de maladie. ". Selon l'article 15 du même décret : " (...) Les fonctionnaires bénéficiaires d'un congé de maladie doivent se soumettre au contrôle exercé par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette dernière peut faire procéder à tout moment à la contre-visite de l'intéressé par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption de sa rémunération, à cette contre-visite ".
21. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été placée en congé de maladie ordinaire au terme de plusieurs avis d'arrêts de travail des 3 septembre 2021, 20 septembre 2021, 4 octobre 2021, 18 octobre 2021, 16 novembre 2021 et 15 décembre 2021 pour la période courant du 3 septembre 2021 au 13 janvier 2022. Par suite, en vertu des principes rappelés au point 4, le moyen tiré de ce que la décision prononçant la suspension de la requérante a pris illégalement effet à compter du 15 septembre 2021, alors qu'à cette date elle était en congé de maladie, doit être accueilli.
22. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision en tant que son entrée en vigueur précède la fin de son congé de maladie.
Sur les conclusions subsidiaires à fin d'abrogation :
23. Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S'il le juge illégal, il en prononce l'annulation. Ainsi, saisi de conclusions à fin d'annulation recevables, le juge peut également l'être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation du même acte au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu'un acte règlementaire est susceptible de porter à l'ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d'annulation. Dans l'hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d'annulation et où l'acte n'aurait pas été abrogé par l'autorité compétente depuis l'introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l'acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. S'il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l'acte est devenu illégal, le juge en prononce l'abrogation. Il peut, eu égard à l'objet de l'acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu'aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l'abrogation ne prend effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
24. Les règles énoncées au point ci-dessus, qui ne valent que pour les actes à caractère réglementaire, ne sauraient être utilement invoquées à l'appui des conclusions de la requête à fin d'abrogation de la décision en litige, qui présente le caractère d'un acte individuel. En tout état de cause, à supposer même que la requérante entende solliciter, eu égard à la nature et à l'objet de la mesure de suspension dont il s'agit, la prise en compte par le juge de l'excès de pouvoir, à la date à laquelle il statue, d'éventuels changements de circonstance de droit ou de fait de nature à justifier l'abrogation de la mesure contestée, il n'est cependant fourni à l'appui de ces prétentions aucune précision sur les éléments de droit ou de fait caractérisant un tel changement de circonstances. Dans ces conditions, telles qu'elles sont articulées, ces conclusions à fin d'abrogation présentées en cours d'instance ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
25. L'annulation partielle de la décision attaquée implique seulement que le centre hospitalier Pierre Oudot replace Mme B... dans une situation régulière pour la période à compter de la date de la décision portant suspension et jusqu'au terme de son congé de maladie ordinaire, fixé au 13 janvier 2022, et lui verse les rémunérations dont elle a été privée pendant cette période. Il y a lieu d'enjoindre au centre hospitalier de procéder à ce placement et à ce versement, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Pierre Oudot une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du centre hospitalier au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La décision de suspension du 9 septembre 2021 du directeur général du centre hospitalier Pierre Oudot est annulée en tant que sa date d'effet est prévue au 15 septembre 2021.
Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier Pierre Oudot de replacer Mme B... dans une situation régulière et de verser à l'intéressée les rémunérations dont elle a été privée durant la période de son placement en congé de maladie ordinaire à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au terme de ce congé le 13 janvier 2022.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 juillet 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.
Article 4 : Le centre hospitalier Pierre Oudot versera à Mme B... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et les conclusions du centre hospitalier Pierre Oudot tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier Pierre Oudot et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mai 2024.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Michèle Daval
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02794