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16/05/2024 | FRANCE | N°23LY00803

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 16 mai 2024, 23LY00803


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2208397 du 3 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de l'Isère de

réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2208397 du 3 février 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans des délais respectifs de trois mois et huit jours suivant la notification du jugement et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 mars 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions pour méconnaissance du droit d'être entendu ;

- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 27 mars 2023, M. A..., représenté par Me Miran, conclut au rejet de la requête et que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que son droit d'être entendu avait été méconnu ;

- l'arrêté litigieux, qui est stéréotypé, n'est pas suffisamment motivé ; l'interdiction de retour ne comprend pas de motifs ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'interdiction de retour est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ; elle méconnaît l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est disproportionnée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant guinéen né le 21 octobre 2000, déclare être entré en France le 1er décembre 2016. Il a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 18 janvier 2019, puis d'une seconde mesure l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, assortie d'une interdiction de retour pendant une durée de trois ans qui lui a été notifiée le 18 juin 2020. Il a sollicité le 8 octobre 2021 l'asile. A la suite du rejet par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides de sa demande le 18 février 2022, le préfet de l'Isère a, par arrêté du 1er décembre 2022, décidé de l'obliger à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, assorti cette obligation d'une interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans et fixé le pays de destination. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 3 février 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A....

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

4. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., dont la demande d'asile a été présentée postérieurement à l'adoption de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 431-2 du même code à compter du 1er mai 2021, aurait été, à un moment de la procédure, informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mis à même de présenter des observations, la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité. Le fait qu'il ait déjà fait l'objet de mesure d'éloignement est, à cet égard, sans incidence.

6. Toutefois, ni la décision ordonnant la prolongation pour un mois de son hospitalisation d'office en août 2021, ni le certificat médical établi le 31 décembre 2022, au demeurant postérieurement à la décision litigieuse, ne sont de nature à démontrer que M. A... serait susceptible d'entrer dans la catégorie des étrangers pouvant bénéficier des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce dernier certificat ne permettant de conclure ni que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni même que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en cas d'audition de l'intéressé, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent. Il suit de là que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français est intervenue en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu.

7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté litigieux pour ce motif.

8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

Sur les autres moyens :

9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) " . L'article L. 613-2 de ce code prévoit : " Les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 et les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ".

10. L'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, qui vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment le 4° de l'article L. 611-1, et indique que la demande d'asile de l'intéressé a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 20 juin 2022, comprend l'énoncé des considérations de fait et des éléments de droit qui en constituent le fondement. Elle est, par suite suffisamment motivée. Si elle ne mentionne pas les problèmes médicaux de M. A..., une telle circonstance n'est pas de nature à révéler une insuffisance de motivation. Il en va de même de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour laquelle, après avoir visé les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a précisé les éléments de faits, et notamment ceux relatifs à la situation personnelle et familiale de M. A..., sur lesquels il s'est fondé pour prononcer une interdiction d'une durée de deux ans. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.

11. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le préfet n'aurait pas respecté, outre le droit d'être entendu, le principe général de droit de l'Union européenne du droit de la défense et de la bonne administration doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 2 à 6.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

13. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, M. A... résidait en France depuis six ans. Il s'est maintenu sur le territoire français malgré deux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet les 18 janvier 2019 et 18 juin 2020. M. A... est célibataire et sans enfant. Il ne fait preuve d'aucune intégration particulière en France. S'il fait état de ses problèmes de santé, il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été indiqué au point 6, qu'il ne pourrait être soigné dans son pays d'origine. Enfin, s'il fait valoir que son père et sa mère sont décédés, et qu'il a fait l'objet de menaces de mort d'un de ses oncles, ces éléments ne sont étayés par aucune pièce, alors, au demeurant que sa demande d'asile a été définitivement rejetée. Ainsi, en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour pendant une durée de deux ans, le préfet n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français et la décision d'interdiction de retour ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet n'a pas plus, pour les mêmes motifs, commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de ces décisions sur sa situation personnelle en prononçant une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour.

14. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'interdiction de retour par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

16. Si M. A... réside en France depuis l'année 2016, il y est célibataire et sans enfant et ne justifie pas avoir noué des relations sociales particulières. Il a déjà fait l'objet de deux mesures d'éloignement qu'il n'a pas exécutées et est connu défavorablement des services de police. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en lui interdisant son retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

17. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2208397 du 3 février 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00803

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00803
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : MIRAN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;23ly00803 ?
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