Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... C... et autres ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à verser à chacun des requérants personnes physiques la somme de 100 euros, et à chacun des requérants associations ou entreprises la somme de 1 000 euros, en réparation des préjudices subis du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques et de sa carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police à Lyon et Villeurbanne, ainsi que d'enjoindre au Premier ministre, aux ministres compétents et au préfet du Rhône de mettre un terme à l'ensemble des manquements de l'Etat à ses obligations en matière de prévention et de répression des troubles à la tranquillité et la sécurité publiques à Lyon et Villeurbanne, dans le délai le plus court possible.
Par jugement n° 2101049 du 24 novembre 2021, le tribunal a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 24 janvier 2022, Mme D... et autres, représentés par Me Raffin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à verser à chacun des requérants personnes physiques la somme de 100 euros, et à chacun des requérants associations ou entreprises la somme de 1 000 euros, en réparation des préjudices subis du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques et de sa carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police à Lyon et Villeurbanne ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre, aux ministres compétents et à la préfète du Rhône de mettre un terme à l'ensemble des manquements de l'Etat à ses obligations en matière de prévention et de répression des troubles à la tranquillité et la sécurité publiques à Lyon et Villeurbanne, dans le délai le plus court possible.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier faute de comporter la signature du rapporteur et du président de la formation de jugement en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- c'est à tort que le tribunal a opposé l'incompétence pour statuer sur une partie de leurs conclusions ; leur demande portait sur des mesures de prévention relevant de la police administrative ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu l'absence de preuve de l'inaction des services de l'Etat ; les troubles et leur aggravation depuis 2019 sont de notoriété publique, relayés dans la presse et ont fait l'objet de constat pour la place Gabriel Peri ; les mesures prises par le préfet du Rhône évoquées par le tribunal ne sont pas appropriées pour garantir un niveau raisonnable de sécurité dans les quartiers concernés par ces nuisances ;
- le préfet est compétent pour prendre les mesures de police propres à prévenir les troubles à la tranquillité et la sécurité publiques à Lyon et Villeurbanne, compte tenu de l'étatisation de la police et de son pouvoir de substitution ; l'Etat a tardé à réagir et les mesures déjà prises sont insuffisantes pour mettre fin aux troubles à l'ordre public ; cette carence fautive engage la responsabilité de l'Etat ;
- les requérants personnes physiques réclament une indemnisation forfaitaire d'un montant de 100 euros chacun pour réparer le préjudice moral et le préjudice matériel compte tenu des carences fautives de l'État à mettre en œuvre des mesures de police préventives et répressives suffisantes contre les atteintes à la tranquillité et la sécurité publique qui troublent leur santé, la qualité de vie de leur quartier et la valeur de leurs biens ; les requérants personnes morales réclament une indemnisation forfaitaire d'un montant de 1 000 euros chacun pour réparer le préjudice subi compte tenu des carences fautives de l'État à mettre en œuvre des mesures de police préventives et répressives suffisantes pour assurer la tranquillité et la sécurité publique qui portent atteinte aux intérêts collectifs qu'elles défendent ; les requérants de type entreprises réclament une indemnisation forfaitaire d'un montant de 1 000 euros chacun pour réparer le préjudice subi à la suite des carences fautives de l'Etat à assurer la tranquillité et la sécurité dans les rues où se trouvent leur siège et qui portent atteinte à leur image, leur réputation et constitue en outre un préjudice économique et financier induit par ces troubles, pour leur dirigeant, ou leur activité libérale dans les zones concernées par les troubles ;
- l'exécution de l'arrêt implique que le tribunal enjoigne aux autorités de l'Etat de prendre les mesures propres à faire cesser les troubles.
Par mémoire enregistré le 19 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la quasi-totalité des troubles invoqués sont dépourvus de toute précision permettant d'en apprécier l'étendue, le caractère répété ou la persistance dans l'espace et dans le temps, la localisation, voire la réalité ;
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur la responsabilité de l'Etat s'agissant des activités de police ayant trait à la constatation et à la répression des infractions pénales ; la requête vise indifféremment une série d'actes de délinquance constitutifs d'infractions et impliquant l'intervention de la police au titre d'opérations de police judiciaire ;
- un certain nombre de prétendus manquements relevés dans la requête ne relèvent pas de la compétence du ministre de l'intérieur et des outre-mer ; les conclusions indemnitaires afférentes sont mal dirigées ; le maire de Lyon est seul compétent pour prévenir les troubles et atteintes à la tranquillité publique comme les troubles de voisinage induit par l'encombrement des rues par des étalages installés sans autorisation par des vendeurs à la sauvette ainsi que les bruits induits par cette activité et les rodéos urbains ; sur le territoire des communes de Lyon et Villeurbanne, le préfet du Rhône ne pouvait intervenir pour prévenir les troubles de voisinage qu'en se substituant aux carences des maires de ces deux communes ; les conditions d'une telle substitution n'étant pas réunies aucune faute lourde ne peut être imputée à l'Etat ; en tout état de cause, le préfet du Rhône a fait usage de ses pouvoirs de police générale pour prévenir tous les troubles à l'ordre public place Gabriel Péri ;
- aucune carence fautive de l'Etat n'est caractérisée compte tenu des effectifs de police nationale déployés sur les communes de Lyon et de Villeurbanne ; aucune faute lourde de l'État à raison d'une insuffisance de sa politique de renseignement en matière de trafic, de prostitution et de marché clandestin n'est caractérisée ;
- la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée pour la gestion des émeutes urbaines, les allégations des requérants n'étant pas assorties de précisions suffisantes quant aux carences effectives identifiées ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Psilakis,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Roche, pour Mme D... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Par une lettre du 12 octobre 2020, adressée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au préfet du Rhône, 385 personnes physiques et 16 personnes morales (entreprises et associations) contribuables, résidents ou implantés sur le territoire de la commune de Lyon ou Villeurbanne, dont Mme C..., première requérante désignée, ont demandé à ces autorités d'exercer leurs pouvoirs de police pour assurer la tranquillité et la sécurité publiques dans leurs quartiers, exposés à des nuisances nocturnes, et en particulier à des rodéos motorisés, à des nuisances et tapages nocturnes en Presqu'île, dans les 1er et 3ème arrondissements de Lyon, à des trafics de stupéfiants dans le quartier du Tonkin et à des violences multiples dans l'espace public. Ils ont également demandé le versement d'une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'inaction de l'Etat. Les autorités de l'Etat ayant conservé le silence sur ces réclamations, les intéressés ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à les indemniser et d'enjoindre aux autorités compétentes de prendre les mesures de police réclamées. Mme D..., première requérante désignée d'une requête collective comportant les mêmes personnes que la première instance, relève appel du jugement du 24 novembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, en ce qu'elles ont trait à la constatation et la répression des infractions pénales, activités qui relèvent de la police judiciaire, les conclusions de la requête tendant à la condamnation de l'Etat en raison de la faute résultant de sa carence alléguée à exercer ses pouvoirs de police judiciaire et à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de diligenter des poursuites contre une série d'actes de délinquance constitutifs d'infractions, ressortissent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Elles doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et le tribunal a, dès lors, régulièrement décliné sa compétence.
3. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement est signée. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait à ce titre irrégulier doit être écarté.
Sur le bien-fondé des demandes indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour faute :
4. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (...) et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (...) ". Aux termes de l'article L. 2214-4 du même code : " Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini au 2° de l'article L. 2212-2 et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée, sauf en ce qui concerne les troubles de voisinage. / Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. / Tous les autres pouvoirs de police énumérés aux articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-9 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ".
5. Il résulte de ces dispositions que, dans les communes, telles que Lyon et Villeurbanne, où la police est étatisée, le maire est compétent pour réprimer et prévenir les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne uniquement les troubles de voisinage, le représentant de l'Etat dans le département étant pour sa part compétent pour réprimer les autres atteintes à la tranquillité publique.
6. En premier lieu, les requérants recherchent la responsabilité de l'Etat au motif que les effectifs de police nationale affectés sur les communes de Lyon et Villeurbanne et placés sous l'autorité du préfet du Rhône auraient été insuffisants pour permettre une prévention de troubles à l'ordre public engendrés par des attroupements, ventes à la sauvette, rodéos urbains et toute autre forme de délinquance sur les territoires de ces communes, notamment la place Gabriel Péri à la Guillotière, au quartier du Tonkin et dans les 1e et 3e arrondissements de la ville de Lyon. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les effectifs de police dont le nombre demeure stable pour Lyon et a augmenté pour Villeurbanne notamment, entre 2013 et 2019, aient subi une évolution telle qu'elle traduirait une faute de la part du ministre dans la mise en œuvre de moyens qu'il doit allouer à l'ensemble du territoire. Par suite aucune faute du ministre ne saurait être retenue dans l'organisation de ses services de police pour ces deux communes. Par ailleurs, en se bornant à invoquer un comportement fautif résultant de son incapacité à protéger efficacement la population en faisant des " choix timorés en matière de prévention ", les requérants n'assortissent pas ce moyen de précision suffisante pour en apprécier le bien-fondé.
7. En deuxième lieu, en se bornant à invoquer la carence du préfet du Rhône à prévenir les troubles à l'ordre public résultant d'émeutes urbaines dont il est fait mention de manière indistincte et peu précise, les requérants n'établissent pas de carence fautive de cette autorité dans les pouvoirs qu'elle tient des dispositions rappelées au point 5.
8. En troisième lieu, si les activités de vente à la sauvette sur le trottoir ou divers trafics et de rodéos urbains sont susceptibles de constituer des troubles de voisinage eu égard aux nuisances sonores qu'elles provoquent, la prévention des troubles à l'ordre public que peuvent générer ces activités relèvent des pouvoirs de police du préfet dans ces deux communes. Il ressort des pièces du dossier que pour lutter contre ces troubles, le préfet a coordonné les services de police dont il avait la charge avec ceux de la police municipale afin de renforcer la présence policière, notamment sur la place Gabriel Péri, et a mis en place un dispositif de surveillance étendu en soirée à partir du 29 mai 2020. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le préfet du Rhône a, sur la période écoulée depuis l'année 2019 organisé de nombreuses opérations afin de lutter contre les nuisances sus évoquées. Par suite, aucune carence fautive du préfet dans l'usage de ses pouvoirs de police sur le territoire de Lyon et Villeurbanne n'est caractérisée.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :
9. La responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne pouvant être invoquée qu'en cas de refus justifié de l'autorité de police de faire usage de ses pouvoirs de police, les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnisation de ce chef dès lors que le préfet du Rhône a fait usage de ses pouvoirs.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme D... doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme D... et autres demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de Mme D... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D..., première requérante désignée, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône et aux maires des communes de Villeurbanne et de Lyon.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024
La rapporteure,
C. PsilakisLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 22LY00245