Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement.
Par un jugement n° 2300377 du 5 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, un mémoire en réplique et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin 2023, 29 mars 2024 et 3 avril 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Vigneron, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 5 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de deux jours, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal administratif de Grenoble ne lui a pas communiqué la note en délibéré produite par le préfet de l'Isère ;
- le jugement attaqué est irrégulier, faute pour le tribunal d'avoir répondu au moyen tiré de l'absence d'exercice illégal d'une activité commerciale, compte tenu de l'autorisation qui lui avait été délivrée dans le cadre des récépissés remis par la préfecture ;
- le tribunal a méconnu le principe fondamental de la présomption d'innocence, garanti notamment par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit à un recours effectif protégé par les articles 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en retenant la prétendue suspicion de fraude à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ;
- le tribunal devait faire droit au moyen selon lequel le refus de titre de séjour procède au retrait d'une décision créatrice de droits lui accordant un titre de séjour ;
- le tribunal a écarté, à tort, son moyen selon lequel le refus de titre de séjour méconnaît le délai raisonnable de traitement d'une demande de titre de séjour, opérant sous l'angle de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement en écartant les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 811-3 et R. 811- 4 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de titre de séjour a été pris par une autorité incompétente ;
- le refus de titre de séjour a excédé le délai raisonnable d'examen de la demande ;
- le refus de titre de séjour ne se prononce pas au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui constituait pourtant le fondement de sa demande principale ; il est entaché sur ce point d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de titre de séjour procède au retrait irrégulier d'une décision créatrice de droits lui accordant un titre de séjour ;
- le refus de titre de séjour méconnaît les articles L. 811-3 et R. 811-4 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la décision attaquée est fondée essentiellement sur des éléments dont la préfecture a eu communication de la part de la CPAM de l'Isère dans le cadre de l'instruction de sa première demande de titre de séjour ; or, l'exercice de ce droit de communication porte sur des éléments qui ne sont pas communicables ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur de droit en ce que le préfet s'est implicitement mais nécessairement estimé à tort en situation de compétence liée du fait de l'absence de visa de long séjour et a ainsi méconnu l'étendue de sa propre compétence ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur de fait en ce qu'il retient qu'il n'avait pas vocation à s'installer sur le territoire et qu'il aurait exercé une activité de commerçant sans autorisation depuis quatre ans, alors que l'ensemble des récépissés délivrés par le préfet de l'Isère l'autorisaient à exercer une activité commerciale, qu'il aurait depuis son entrée en France effectué de nombreux allers et retours en Tunisie, alors qu'il n'a pas quitté la France depuis le décès de ses parents, qu'il se serait rendu coupable de fraude à la CPAM alors même que celle-ci n'est pas établie, qu'aucune poursuite n'a été engagée et qu'aucune décision de réclamation d'indu n'est intervenue ;
- le refus de titre de séjour viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de titre de séjour viole les stipulations de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de séjour et de la mesure d'éloignement ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2023, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant tunisien né le 9 décembre 1967, est entré en France le 13 mars 2017, sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 12 mars 2020. Il a sollicité, le 16 juillet 2020, la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 13 décembre 2022, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 5 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 décembre 2022 :
2. L'arrêté du 13 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A... vise la demande de titre de séjour présentée le 16 juillet 2020 par l'intéressé. Il ressort de la copie de cette demande produite devant le tribunal, présentée par l'intermédiaire de son conseil, que M. A... a sollicité, à titre principal, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien, qui renvoie aux dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 423-23, et, à titre subsidiaire, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/ profession libérale ". Le préfet de l'Isère ne s'est pas prononcé, ainsi qu'il lui appartenait de le faire, sur l'admission au séjour de l'intéressé au titre de sa " vie privée et familiale ". La mention relative à l'absence d'atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait venir au soutien de l'arrêté en litige. Par suite, en n'examinant pas la situation de M. A... au regard de l'objet principal de sa demande de titre de séjour, le préfet de l'Isère a entaché son arrêté d'illégalité.
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête et la régularité du jugement attaqué, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ce jugement et l'arrêté du préfet de l'Isère du 13 décembre 2022 doivent dès lors être annulés.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
4. Le présent arrêt implique nécessairement le réexamen de la situation de M. A... au regard de son droit au séjour. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère de procéder à cet examen, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour dans cette attente. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2300377 du tribunal administratif de Grenoble du 5 mai 2023 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 13 décembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. A... au regard de son droit au séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY01891