Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 3 janvier 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par jugement n° 2300611 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédures devant la cour
I - Par une requête enregistrée le 24 juin 2023 sous le n° 23LY02127, Mme A..., représentée par Me Ogier (AARPI Andotte Avocats), demande à la cour :
1°) d'annuler les décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2021 ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " dans le délai d'une semaine, subsidiairement, de réexaminer sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préfet de l'Isère lui a, à tort, opposé un défaut de visa de long séjour, alors qu'elle est entrée en France sous couvert d'un tel visa, qu'elle est depuis restée sur le territoire français et que sa demande ne pouvait être regardée comme une première demande de titre de séjour ;
- le préfet a, à tort, estimé qu'elle ne disposait pas de ressources suffisantes ;
- le préfet a, à tort, estimé qu'elle ne justifiait pas poursuivre des études avec sérieux.
Par courrier du 8 mars 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office qu'il n'y a plus lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de Mme A..., si elle devait faire droit aux conclusions à fin d'annulation présentées dans la requête n° 23LY02128.
II - Par une requête enregistrée le 24 juin 2023 sous le n° 23LY02128, Mme A..., représentée par Me Ogier (AARPI Andotte Avocats), demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mai 2023 et les décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2023 ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " dans le délai d'une semaine, subsidiairement, de réexaminer sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préfet de l'Isère lui a, à tort, opposé un défaut de visa de long séjour, alors qu'elle est entrée en France sous couvert d'un tel visa, qu'elle est depuis restée sur le territoire français et que sa demande ne pouvait être regardée comme une première demande de titre de séjour ;
- le préfet a, à tort, estimé qu'elle ne disposait pas de ressources suffisantes ;
- le préfet a, à tort, estimé qu'elle ne justifiait pas poursuivre des études avec sérieux.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 septembre 2023.
Par courrier du 8 mars 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français, par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention du 21 septembre 1992 conclue entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire relative à la circulation et au séjour des personnes ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
Considérant ce qui suit :
1. Par jugement du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation des décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2023 rejetant sa demande de titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. Par deux requêtes, Mme A... demande à la cour, d'une part, d'annuler ces décisions du préfet de l'Isère et, d'autre part, d'annuler, outre ces décisions, ce jugement du tribunal administratif de Grenoble.
2. Ces deux requêtes ayant été présentées par la même requérante et portant sur les mêmes décisions, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la requête n° 23LY02178 :
3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 110-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent code régit, sous réserve du droit de l'Union européenne et des conventions internationales, l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers en France (...) ". Aux termes de l'article 4 de la convention franco-ivoirienne du 21 septembre 1992 relative à la circulation et au séjour des personnes : " Pour un séjour de plus de trois mois, (...) les ressortissants ivoiriens à l'entrée du territoire français doivent être munis d'un visa de long séjour et des justificatifs prévus aux articles 5 à 9 ci-après, en fonction de la nature de leur installation ". Aux termes de l'article 9 de cette convention : " Les ressortissants de chacun des États contractants désireux de poursuivre des études supérieures (...) sur le territoire de l'autre État doivent, outre le visa de long séjour prévu à l'article 4, justifier d'une attestation d'inscription ou de préinscription dans l'établissement d'enseignement choisi (...) ainsi que (...) de moyens d'existence suffisants. Les intéressés reçoivent un titre de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Ce titre de séjour est renouvelé annuellement sur justification de la poursuite effective des études ou du stage et de la possession de moyens d'existence suffisants (...) ". Enfin, aux termes de l'article 14 de la même convention : " Les points non traités par la convention en matière d'entrée et de séjour des étrangers sont régis par les législations respectives des deux États ".
4. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée le 12 octobre 2022 par Mme A..., le préfet de l'Isère a retenu qu'elle n'était " pas en mesure de fournir un visa d'une durée supérieure à trois mois, tel que prévu par l'article 4 de la convention franco-ivoirienne ", ni de " justifier disposer de moyens d'existence suffisants " et que " le sérieux et la progression des études font défaut ".
5. En premier lieu, en vertu des stipulations rappelées au point 3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire aux ressortissants ivoiriens désireux de poursuivre leurs études supérieures en France est subordonnée à la production d'un visa d'une durée supérieure à trois mois. Il en va différemment pour celui qui sollicite le renouvellement de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire, même sur un autre fondement. En revanche, lorsqu'il présente une demande de titre de séjour après l'expiration du délai de renouvellement du titre qu'il détenait précédemment, cette demande de titre doit être regardée comme une première demande à laquelle la condition de la détention d'un visa de long séjour peut être opposée.
6. La demande rejetée par la décision litigieuse ayant été présentée par Mme A... après que le préfet de l'Isère eut refusé, par une décision du 25 août 2020, de renouveler le titre de séjour dont elle avait bénéficié jusqu'au 4 octobre 2019, cette demande devait, ainsi que l'a estimé le préfet, être regardée comme une première demande à laquelle la condition de détention d'un visa de long séjour était opposable. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette condition était en l'espèce satisfaite, le préfet de l'Isère ne contestant pas que Mme A... s'est maintenue sur le territoire français depuis qu'elle y est entrée sous couvert d'un visa de long séjour en cours de validité, le 29 août 2017.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier des justificatifs de transferts financiers produits par Mme A..., qu'au cours de l'année précédant le refus de titre de séjour litigieux, elle a reçu chaque mois de ses parents une somme avoisinant 800 euros. Par suite, et contrairement à ce qu'a retenu le préfet de l'Isère, elle justifie ainsi de ressources suffisantes pour lui permettre de poursuivre ses études en France.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'après trois années d'échec en troisième année de licence de droit entre septembre 2017 et juin 2020, Mme A... s'est réorientée vers une école de commerce. Elle a ainsi été admise en troisième année de Bachelor " responsable commercial et marketing " au sein de l'IDRAC Business School, qu'elle a validée en 2021, avant de poursuivre au sein de cette même école un master of business administration (MBA) spécialisé mention " manager de la stratégie commerciale et marketing ", diplôme reconnu par l'Etat d'un niveau équivalent à un master. A la date de la décision litigieuse, elle en avait validé la première année et avait commencé avec succès la deuxième. Eu égard à la cohérence et à la progression de ses études au cours des deux années qui ont précédé la décision litigieuse, Mme A... est fondée à soutenir que le préfet de l'Isère a commis une erreur d'appréciation en se fondant sur le défaut de progression et de sérieux de ses études.
9. L'illégalité du refus de titre de séjour ainsi opposé à Mme A... entraîne par voie de conséquence l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision fixant le pays de renvoi et de l'interdiction de retour sur le territoire français, dont ce refus est assorti.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et à demander l'annulation des décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2023.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la requête n° 23LY02127 :
11. Le présent arrêt prononçant l'annulation des décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2023, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme A... enregistrée sous le numéro 23LY02127 et tendant également à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. Eu égard à l'évolution de la situation de Mme A... depuis l'adoption de l'arrêté litigieux, notamment à l'achèvement de l'année universitaire sur laquelle portait sa demande, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
13. Il résulte des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, codifiées à l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et des articles 37 et 43 de la même loi, que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de mettre à la charge, à son profit, de la partie perdante que le paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat. Mais l'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de mettre à la charge de la partie perdante la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
14. D'une part, Mme A..., pour le compte de qui les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées dans la requête enregistrée sous le numéro 23LY02128, doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, son avocate n'a pas demandé que lui soit versée la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, ces conclusions doivent être rejetées.
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a, par ailleurs, pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement dans la requête enregistrée sous le numéro 23LY02127.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la requête n° 23LY02127.
Article 2 : Le jugement n° 2300611 du tribunal administratif de Grenoble du 26 mai 2023 est annulé.
Article 3 : Les décisions du préfet de l'Isère du 3 janvier 2023 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A..., l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, désignant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an sont annulées.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes n° 23LY02127 et n° 23LY02128 est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02127-23LY02128