Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 mai 2023 par lequel la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire sans délai de départ volontaire, a fixé le Kosovo, Etat dont il a la nationalité, comme pays de destination et a prolongé d'un an l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée le 8 janvier 2021, d'autre part, d'enjoindre sous astreinte à la préfète de l'Ain d'effacer son signalement du système d'information Schengen et d'enregistrer puis d'instruire sa demande de titre de séjour, subsidiairement, de réexaminer sa situation.
Par jugement n° 2304415 du 5 octobre 2023, le tribunal a fait droit à la demande d'annulation ainsi qu'à la demande d'injonction en effacement de signalement, en enregistrement et en examen de la demande de titre de séjour.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 novembre 2023, la préfète de l'Ain demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes présentées au tribunal par M. A....
La préfète de l'Ain soutient que :
- c'est à tort que pour annuler le refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour, le tribunal a regardé la production d'une promesse d'embauche ou la durée de présence en France comme des circonstances nouvelles, dès lors qu'elles n'appuient aucun motif nouveau d'admission au séjour et qu'elle présente un caractère dilatoire ;
- c'est à tort que le tribunal a annulé les mesures d'éloignement par voie de conséquence de l'annulation du refus d'enregistrement, dès lors que les secondes reposent sur le refus définitif d'admission à l'asile et que ce seul motif suffisait à les fonder ;
- les autres moyens invoqués devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par mémoire enregistré le 15 décembre 2023, M. A..., représenté par la Selarl d'avocats BS2A (Me Bescou), conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- subsidiairement, les autres moyens invoqués devant le tribunal seraient susceptibles de fonder l'annulation des décisions litigieuses par voie d'effet dévolutif.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 10 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Arbarétaz,
- les conclusions de M. C...,
- et les observations de Me Guillaume pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant Kosovar âgé de vingt-neuf ans, est entré fin 2012 en France avec ses parents, alors qu'il était encore mineur, pour y demander l'asile. Sa demande ayant été rejetée en février 2015, une obligation de quitter le territoire sous trente jours a été prononcée, le 11 mars 2015, demeurée inexécutée. M. A... a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour et, le 19 décembre 2017, le préfet de l'Ain lui a opposé un refus de titre et l'a de nouveau obligé à quitter le territoire sous trente jours. M. A... n'ayant pas exécuté cette mesure d'éloignement, un arrêté du 8 janvier 2021 l'a obligé à quitter le territoire sans délai et l'a interdit de retour pendant deux ans. M. A... s'est néanmoins maintenu sur le territoire, il a sollicité le réexamen de sa demande d'asile, rejeté comme irrecevable, en dernier lieu par la CNDA en janvier 2022. Le 14 février 2023, M. A... a présenté une ultime demande d'admission exceptionnelle au séjour. Une attestation de dépôt lui a été remise à cette date mais, par arrêté du 11 mai 2023 annulé par le jugement attaqué, la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer sa demande de titre, l'a obligé à quitter le territoire sans délai et a prolongé d'un an l'interdiction de retour.
Sur les conclusions de la requête :
En ce qui concerne le refus d'enregistrement de la demande d'admission au séjour :
2. Le tribunal administratif de Lyon a annulé le refus d'enregistrement aux motifs que, d'une part, faute d'avoir délivré à M. A... l'information prévue par l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lors du réexamen de sa demande d'asile, la tardiveté de sa demande de titre, sanctionnée par l'article D. 431-7 du même code, était inopposable et que, d'autre part, sa demande de titre ne pouvait être regardée comme abusive en raison de la présentation d'une promesse d'embauche à durée indéterminée et de la durée de présence en France d'au moins dix ans. La préfète de l'Ain, soutenant qu'elle aurait pris la même décision en ne se fondant que sur le caractère abusif de la demande, ne conteste pas en appel l'inopposabilité de la tardiveté de la demande de titre.
3. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance (...) de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées à celles de l'article R. 431-2 du même code organisant les modalités d'accueil en préfecture, que l'attestation de dépôt n'est que la constatation matérielle de la remise de la demande de titre et se distingue du récépissé qui ne peut être délivré que si la demande s'avère complète et sous réserve qu'elle ne présente pas de caractère abusif. Le caractère abusif doit ressortir de la reconduction pure et simple des motifs de fait ou de droit appuyant la prétention du demandeur. Tel n'est pas le cas s'il est produit des éléments nouveaux nécessitant que le droit au séjour soit apprécié au terme d'une nouvelle instruction.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande déposée le 14 février 2023, M. A... a produit une demande d'autorisation de travail émanant d'un employeur lui proposant un contrat de travail à durée indéterminée pour un emploi d'ouvrier du bâtiment sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, sa présence en France de dix ans au moins nécessitait la consultation de la commission du titre de séjour. Ces motifs appuyant cette demande, distincts de ceux des précédentes demandes formées sur le fondement des mêmes dispositions alors codifiées à l'article L. 313-14, nécessitaient qu'une appréciation soit portée sur les circonstances invoquées au terme d'une nouvelle instruction. M. A... s'étant prévalu d'éléments nouveaux, sa demande ne pouvait être regardée comme abusive et la préfète de l'Ain n'a pu sans méconnaître les dispositions analysées au point 4, refuser de lui en délivrer récépissé, et de l'instruire.
En ce qui concerne les mesures d'éloignement :
5. Dans la mesure où la décision relative au séjour n'est pas le fondement de l'obligation de quitter le territoire français, l'annulation de la première ne conduit pas, par elle-même, à l'annulation par voie de conséquence de la seconde, qui aurait pu être légalement prise en l'absence de toute décision sur le séjour et n'est pas intervenue en raison de ce refus. ll en va ainsi, en principe, pour les obligations de quitter le territoire prises sur le fondement du 3° ou 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, dans le cas où est contesté à l'occasion d'un recours dirigé contre une telle obligation un refus relatif au séjour pris concomitamment, si le juge annule ledit refus, il lui appartient, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier, eu égard au motif qu'il retient, si l'illégalité du refus relatif au séjour justifie l'annulation de la mesure d'éloignement. Tel est le cas, notamment, lorsque le motif de l'annulation implique le droit de l'intéressé à séjourner en France.
6. Or, si le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide de l'éloignement d'un étranger qui se trouve dans l'un des cas mentionnés aux 3° et 4° de l'article L. 611-1 du code, la remise d'un récépissé lui ouvre droit de séjourner pendant l'instruction de sa demande et dans la limite de la durée de validité de ce document. Le refus d'instruire sa demande de titre ayant été opposé à tort à M. A... et l'annulation de cette décision impliquant la remise d'un récépissé lui permettant de se maintenir sur le territoire, la préfète de l'Ain ne pouvait se borner à fonder ses mesures d'éloignement sur les refus de titre antérieurs et le refus de réexamen de la demande d'asile.
7. Le droit au séjour provisoire de M. A... faisant obstacle à son éloignement, la préfète de l'Ain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé par voie de conséquence l'obligation de quitter le territoire sans délai et la prolongation de l'interdiction de retour.
8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête présentée par la préfète de l'Ain doivent être rejetées.
Sur la prise en charge des frais de l'instance :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par Mme A....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de l'Ain est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Corvellec, première conseillère
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
Le président, rapporteur,
Ph. Arbarétaz
La présidente assesseure,
A. Evrard
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03419