Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 juillet et le 29 décembre 2023, l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et l'association " sites et monuments " représentées par Me Monamy demandent à la cour :
1°) d'annuler la décision implicite du 27 mai 2023 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a refusé d'enjoindre à la société Q Energy de déposer une demande de dérogation " espèces protégées " ;
2°) d'enjoindre à la société Q Energy de déposer cette demande dans un délai à définir mais avant la mise en œuvre de son projet éolien ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Q Energy une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- compte tenu des risques caractérisés d'atteintes à différentes espèces d'oiseaux et à leurs habitats, en particulier le milan royal, le milan noir, le faucon crécerelle, la buse variable, la bondrée apivore, le busard Saint-Martin, l'épervier d'Europe, l'alouette lulu et le chardonneret élégant, ainsi qu'à différentes espèces de chiroptères, en particulier la pipistrelle commune, la sérotine commune, la noctule commune, la noctule de Leisler et la pipistrelle de Nathusius, en refusant d'ordonner à la société Q Energy de déposer une demande de dérogation de destruction d'espèces protégées, le préfet a méconnu les articles L. 171-7, L. 171-8, L. 181-14, L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.
Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2023, le préfet de la Côte d'Or conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen soulevé dans la requête n'est pas fondé.
Par des mémoires enregistrés les 16 octobre, 21 décembre 2023 et 11 janvier 2024, ces derniers n'ayant pas été communiqués, la société Q Energy, représentée par Me Gelas, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une régularisation, en application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, si le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement était retenu et qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des associations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les associations requérantes sont dépourvues d'intérêt à agir ;
- le moyen soulevé par les associations est inopérant ;
- il est, en tout état de cause, infondé ;
- il pourrait faire l'objet d'une régularisation sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
Par une ordonnance du 3 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 12 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère,
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,
- et les observations de Me Gelas pour la société Q Energy ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 25 octobre 2016 régularisé le 12 avril 2022, le préfet de la Côte-d'Or a délivré à la société Q Energy l'autorisation d'exploiter sur le territoire de la commune d'Orain, au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, six aérogénérateurs et trois postes de livraison. La requête dirigée contre cet arrêté a été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de céans le 8 décembre 2022, arrêt qui n'a pas été contesté en cassation. Ce parc éolien n'a été ni construit, ni mis en service. L'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres demandent l'annulation de la décision implicite du 27 mai 2023 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a refusé d'ordonner à la société Q Energy de déposer une demande de dérogation " espèces protégées ".
2. Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / (...). ". Aux termes de l'article L. 181-16 du code de l'environnement, qui figure au chapitre unique du titre VIII du livre 1er de ce code : " I. - Pour l'application du présent chapitre, les contrôles administratifs sont exercés et les mesures de police administratives sont prises dans les conditions fixées au chapitre Ier du titre VII du présent livre (...) et par les législations auxquelles ces contrôles et ces mesures se rapportent. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...) / Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l'utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, à moins que des motifs d'intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s'y opposent. / L'autorité administrative peut, en toute hypothèse, édicter des mesures conservatoires aux frais de la personne mise en demeure. / (...). ". Aux termes de l'article L. 171-8 du même code " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. En cas d'urgence, elle fixe, par le même acte ou par un acte distinct, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement. "
4. Aux termes de l'article L. 181-2 du même code : " I.- L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / (...) 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 ; / (...). ". L'article L. 181-3 de ce code prévoit que : " (...) II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; (...) ". Aux termes de l'article L. 181-12 de ce code : " L'autorisation environnementale fixe les prescriptions nécessaires au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4. / Ces prescriptions portent, sans préjudice des dispositions de l'article L. 122-1-1, sur les mesures et moyens à mettre en œuvre lors de la réalisation du projet, au cours de son exploitation, au moment de sa cessation et après celle-ci, notamment les mesures d'évitement, de réduction et de compensation des effets négatifs notables sur l'environnement et la santé. / Elles peuvent également porter sur les équipements et installations déjà exploités et les activités déjà exercées par le pétitionnaire ou autorisés à son profit lorsque leur connexité les rend nécessaires aux activités, installations, ouvrages et travaux soumis à autorisation ou dont la proximité est de nature à en modifier notablement les dangers ou inconvénients. ". Aux termes de l'article L. 181-14 de ce code : " (...) / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale (...) / L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées. ".
5. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; / (...). ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, " (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / (...). ".
6. Aux termes de l'article R. 411-6 du code de l'environnement : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par l'autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet. / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables. ".
7. Une autorisation environnementale ou devant être regardée comme telle est réputée inclure les autres décisions que le projet nécessitait ou dont il a pu éventuellement justifier l'édiction, avec lesquelles elle doit être considérée comme formant un même acte. Une telle autorisation peut être contestée en tant qu'elle ne comporte pas, notamment, une dérogation " espèces protégées ", l'exploitant pouvant alors être contraint de solliciter une telle dérogation. Dans le cas où sa mise en œuvre porte une atteinte suffisamment caractérisée à des animaux protégés, il appartient à l'administration, de sa propre initiative ou sur demande, de mettre en demeure l'exploitant, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, de compléter son autorisation par le dépôt d'une demande à l'effet d'obtenir une telle dérogation. En revanche, en dehors de ces hypothèses, aucun texte ni principe ne permet d'exiger d'un exploitant qu'il forme une demande de dérogation " espèces protégées ", une telle mesure ne relevant pas des prescriptions complémentaires qu'il est dans les pouvoirs de l'administration de lui imposer.
8. Pour justifier de l'obligation pour le préfet de mettre en demeure la société Q Energy de déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées sur le fondement de l'article L. 411-2 précité, l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres font état des atteintes que le " futur parc éolien " générerait pour des animaux protégés et leurs habitats, qu'il s'agisse d'oiseaux, dont en particulier le milan royal, le milan noir, le faucon crécerelle, la buse variable, la bondrée apivore, le busard Saint-Martin, l'épervier d'Europe, l'alouette lulu et le chardonneret élégant, ou de différentes espèces de chiroptères, en particulier la pipistrelle commune, la sérotine commune, la noctule commune, la noctule de Leisler et la pipistrelle de Nathusius. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit plus haut, et alors que les conditions de mise en œuvre de l'autorisation du parc ne sont pas en cause, le préfet de la Côte-d'Or ne pouvait que refuser de faire droit à la demande de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres tendant à ce qu'il ordonne à la société Q Energy de déposer une demande de dérogation " espèces protégées ". Le moyen invoqué à l'appui des conclusions à fin d'annulation de ce refus, tiré de la violation des articles L. 171-7, L. 171-8, L. 181-14, L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement ne peut, en conséquence, qu'être écarté.
9. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation, dans son ensemble, du refus que le préfet de la Côte-d'Or a opposé implicitement le 27 mai 2023.
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérantes, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, leurs conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
11. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres, lea somme demandée par la société Q Energy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur ce même fondement par les associations requérantes ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Q Energy sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne, désignée en qualité de représentante unique des requérantes, à la société Q Energy et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit Larcher, présidente de la formation de jugement,
M. Chassagne, premier conseiller,
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
La rapporteure,
C. DjebiriLa présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-Larcher
Le greffier en chef,
C. Gomez
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier en chef,
N°23LY02507 2
kc