Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 18 janvier 2022 par laquelle l'inspectrice du travail du Rhône a autorisé son licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.
Par un jugement n°2202099 du 7 mars 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 mai et le 19 septembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme B... représentée par Me Lavisse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision du 18 janvier 2022 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, une somme de 5 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier ; le tribunal a omis de statuer sur l'erreur de fait sur le lien avec le mandat et sur le vice de procédure tenant à ce que le dossier de demande d'autorisation était incomplet ;
- la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière ; le dossier de demande d'autorisation était incomplet en l'absence de procès-verbal de la réunion du comité social et économique (CSE) ; l'absence de vérification par l'inspecteur du travail de l'existence de ce procès-verbal et de la convocation du CSE l'a privée d'une garantie ;
- la procédure interne à l'entreprise a été irrégulière, dès lors qu'elle n'a pas été convoquée à la réunion du CSE devant se prononcer sur son reclassement et que ce comité n'a pas été consulté sur son licenciement ;
- faute de faire mention de ses propos sur les obstacles mis à l'exercice de son mandat, la décision en litige est insuffisamment motivée et entachée d'une erreur de fait ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, compte tenu du lien existant entre la demande d'autorisation de licenciement et son mandat.
Par un mémoire enregistré le 19 juin 2023, la société Etyo Real Estate, représentée par Me Azerad, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Le ministre du travail n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère,
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,
- les observations de Me Berthillier pour Mme B... et celles de Me Azerad pour la société Etyo Real Estate ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 10 décembre 2021, la société Etyo Real Estate a saisi l'unité départementale du Rhône de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne-Rhône-Alpes d'une demande tendant à obtenir l'autorisation de licencier, pour inaptitude, Mme B..., salariée de la société en qualité de chargée d'opérations, et protégée au titre de son mandat de membre suppléante du comité social et économique de l'entreprise. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 7 mars 2023 qui a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 18 janvier 2022 accordant l'autorisation de la licencier.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a répondu aux points 4 et 5 du jugement au moyen tiré du vice de procédure tiré de ce que le dossier de demande d'autorisation de licenciement était incomplet en l'absence de procès-verbal de la réunion du comité social et économique. Par suite, le jugement n'est pas irrégulier pour omission à statuer sur ce moyen.
3. Devant le tribunal, Mme B... a fait valoir que faute de faire mention de ses propos sur les obstacles mis à l'exercice de son mandat, la décision en litige était insuffisamment motivée. Le tribunal, qui a répondu au point 2 du jugement au moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision, n'a pas omis de statuer sur ce moyen.
Sur le bien-fondé :
En ce qui concerne la procédure suivie au sein de l'entreprise :
S'agissant de la consultation du comité social et économique sur le projet de licenciement :
4. Aux termes de l'article L. 2311-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales : " Un comité social et économique est mis en place dans les entreprises d'au moins onze salariés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2312-1 du même code : " Les attributions du comité social et économique des entreprises de moins de cinquante salariés sont définies par la section 2 du présent chapitre. / Les attributions du comité social et économique des entreprises d'au moins cinquante salariés sont définies par la section 3 du présent chapitre. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2312-4 du même code : " Les dispositions du présent chapitre ne font pas obstacle aux dispositions plus favorables relatives aux attributions du comité social et économique résultant d'accords collectifs de travail ou d'usages ".
5. Le premier alinéa de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 et de l'ordonnance du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions de l'ordonnance n° 2017-1386 prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, dispose désormais que : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III ". Ainsi qu'il est dit au point 4, la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III est relative aux attributions du comité social et économique des entreprises d'au moins cinquante salariés. Le troisième alinéa du même article L. 2421-3 précise en outre que : " Lorsqu'il n'existe pas de comité social et économique dans l'établissement, l'inspecteur du travail est saisi directement ". Aux termes de l'article R. 2421-8 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique : " L'entretien préalable au licenciement a lieu avant la consultation du comité social et économique faite en application de l'article L. 2421-3. / Si l'avis du comité social et économique n'est pas requis dans les conditions définies à l'article L. 2431-3 ", ce qui, à défaut d'article L. 2431-3 dans le code du travail, doit s'entendre comme une référence à l'article L. 2421-3, " cet entretien a lieu avant la présentation de la demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail. / A défaut de comité social et économique, cet entretien a lieu avant la présentation de la demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail ".
6. Il résulte de la combinaison de l'ensemble des dispositions citées aux points 4 et 5, d'une part, que dans les entreprises comptant entre onze et quarante-neuf salariés, le comité social et économique n'a pas à être consulté sur le projet de licenciement d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité du comité social et économique, sauf si une telle consultation a été prévue par un accord collectif conclu en application de l'article L. 2312-4 et, d'autre part, que dans les entreprises comptant au moins cinquante salariés, une telle consultation est requise dans tous les cas.
7. Il ressort des pièces du dossier que la société Etyo Real Estate dont Mme B... était salariée a moins de cinquante salariés. La société mère du groupe Etyo ainsi que les deux autres filiales ont des activités distinctes et disposent chacune d'une indépendance juridique. Ni le fait que toutes les sociétés ont la même adresse, ni la présentation commune sur le site internet du groupe de l'ensemble de ses activités, sans précision sur l'existence juridique de quatre sociétés distinctes, et de tous les collaborateurs de ces différentes sociétés ne sont de nature à démontrer qu'il n'y aurait en réalité qu'une société dont les effectifs dépasseraient le seuil de quarante-neuf salariés. Le nombre de salariés n'a d'ailleurs pas fait l'objet de contestation lors de la précédente élection des membres du comité social et économique. Ainsi, et alors qu'il n'est pas allégué qu'un accord collectif conclu en application de l'article L. 2312-4 du code du travail prévoirait une telle obligation, l'employeur de Mme B... était dispensé de demander au comité social économique d'entreprise de donner son avis sur le projet de licenciement de cette dernière. Par suite, le moyen tiré de l'absence de consultation du CSE doit être écarté.
S'agissant de la consultation du comité social et économique sur la recherche de reclassement à la suite de l'avis d'inaptitude :
8. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités (...). / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. (...) ". Aux termes de l'article L. 1226-2-1 du même code : " Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement. / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. / L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que l'employeur est dispensé de procéder à une recherche de reclassement du salarié déclaré inapte dans le cas où l'avis du médecin du travail, auquel il incombe de se prononcer sur l'aptitude du salarié à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment ou à exercer d'autres tâches existantes, fait expressément état de ce que le maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L'employeur est, de ce fait, également dispensé de saisir le comité social et économique sur le reclassement du salarié.
10. Dès lors que l'avis d'inaptitude, que Mme B... n'a pas contesté, précisait que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la consultation du comité social et économique sur les possibilités de reclassement n'était pas requise. Par suite, l'absence de convocation de Mme B..., en qualité de membre suppléante de cette instance, à la séance au cours de laquelle l'employeur a indiqué au comité social et économique que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement ne peut être que sans incidence sur la légalité de l'autorisation de licenciement. Le moyen tiré de l'irrégularité, pour ce motif, de la procédure interne à l'entreprise, doit être écarté.
En ce qui concerne les autres moyens :
11. En premier lieu, pour les motifs exposés aux points 4 à 7, le CSE n'avait pas à être consulté sur le projet de licenciement de Mme B.... Par suite, le moyen tiré de ce que la demande d'autorisation de licenciement était incomplète à défaut de comprendre le procès-verbal du CSE sur le projet de licenciement doit être écarté ainsi que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que l'absence de vérification par l'inspecteur du travail de l'existence de ce procès-verbal et de la convocation du CSE l'aurait privée d'une garantie.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". En l'espèce, la décision de l'inspecteur du travail rappelle les textes et la procédure suivie. Elle indique que l'inaptitude de la requérante a été régulièrement constatée et qu'il n'y avait pas de lien entre le mandat du salarié et son licenciement. La décision est suffisamment motivée.
13. En troisième lieu, Mme B... a adressé le 17 janvier 2022 à l'inspection du travail un mail, qui faisait référence à l'échange qu'elle avait eu avec l'inspectrice du travail dans le cadre de la demande d'autorisation de licenciement, dans lequel elle lui transmettait un mail de la représentante du CSE faisant état du fonctionnement de cette instance. Ce seul mail ne permet pas de déduire qu'elle aurait rencontré des difficultés pour exercer son mandat. Par suite, en indiquant, dans la décision litigieuse, que Mme B... n'avait fait état d'aucun fait ou litige avec son employeur en rapport avec l'exercice de son mandat, l'inspectrice du travail n'a pas commis d'erreur de fait.
14. En quatrième lieu, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée.
15. Si Mme B... soutient, d'une part, qu'elle a rencontré des difficultés dans l'exercice de son mandat, son employeur refusant de discuter de certains sujets dans les instances représentatives du personnel, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que ces faits soient matériellement établis. D'autre part, Mme B... a évoqué également les relations conflictuelles avec sa supérieure ce qui a donné lieu à un arrêt de travail. Cependant, rien ne permet de penser que ces relations se seraient dégradées en raison de son mandat alors même qu'elle avait le souci, du fait de ses fonctions, de faire remonter auprès de sa hiérarchie certains dysfonctionnements, ainsi que cela ressort d'une attestation établie par une salariée produite par la requérante. Par suite, dès lors que la dégradation de l'état de santé de Mme B... ne résulte pas d'obstacles mis à l'exercice de son mandat, ni même de difficultés particulières de cet exercice, le lien direct du licenciement avec l'exercice du mandat de l'intéressée ne peut être retenu. Le moyen tiré de ce que la décision serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur de fait sur l'existence d'un lien avec le mandat doit être écarté.
16. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que la société Etyo Real Estate présentées au titre des frais liés au litige. Aucun dépens n'ayant été exposés, sa demande présentée à ce titre ne peut qu'être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Etyo Real Estate au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dépens sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la société Etyo Real Estate et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement,
M. Chassagne, premier conseiller,
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
La rapporteure,
C. DjebiriLa présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-Larcher
Le greffier en chef,
C. Gomez
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier en chef,
N°23LY01606 2
kc