Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Par quatre requêtes distinctes, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Savoie du 30 octobre 2018 portant autorisation et règlement d'eau de la microcentrale hydroélectrique utilisant l'énergie du ruisseau du Vigny (requête n° 1901349), l'arrêté du même préfet du 18 février 2020, modifiant cet arrêté du 30 octobre 2018 (requête n° 2003241), l'arrêté du même préfet du 18 février 2020, accordant un permis de construire à la société Yethy (requête n° 2005765), ainsi que la décision du 4 août 2020 de rejet de son recours gracieux, et l'arrêté du même préfet du 14 octobre 2020 qui annule et remplace l'arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté portant autorisation et règlement d'eau de la microcentrale hydroélectrique utilisant l'énergie du ruisseau du Vigny (requête n° 2100950).
Par un jugement n° 1901349-2003241-2005765-2100950 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête n° 2003241 et a rejeté les requêtes n° 1901349, n° 2005765 et n° 2100950.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 juin 2022, 27 juin 2023, 23 août 2023 et 27 septembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne représentée par la SELARL CDMF-Avocats Affaires Publiques, agissant par Me Fiat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 avril 2022, en tant qu'il a rejeté ses requêtes relatives aux arrêtés préfectoraux des 30 octobre 2018 et 14 octobre 2020 ;
2°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge solidaire de l'Etat et de la société Yethy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la légalité externe :
- le dossier de demande était incomplet, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Grenoble :
- en méconnaissance de l'article L. 214-18 du code de l'environnement, l'étude spécifique prescrite par la circulaire du 5 juillet 2011 n'a pas été réalisée ;
- le dossier de demande d'autorisation est insuffisant au regard des dispositions de l'article R. 181-13 du code de l'environnement ;
- l'étude d'incidence environnementale est insuffisante au regard des dispositions de l'article R. 181-14 du code de l'environnement ;
- le maire de Saint-Michel-de-Maurienne n'a pas été informé du projet, en méconnaissance de l'article R. 181-20 du code de l'environnement ;
Sur la légalité interne :
- l'arrêté attaqué méconnaît les articles L. 211-1 et L. 214-18 du code de l'environnement ;
- il est incompatible avec les dispositions 0-02, 2-01, 5B et 6C-01 du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Rhône Méditerranée ;
- il méconnaît les dispositions de l'article N1 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir.
Par des mémoires enregistrés les 18 janvier 2023, 28 juillet 2023 et 8 septembre 2023, la société Yethy et la société Sumatel ENR, représentées par la SELARL DNL Avocats, agissant par Me Di Nicola, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Michel-de-Maurienne une somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés sont infondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Par une ordonnance du 25 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'énergie ;
- la loi du 16 octobre 1919 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et, les observations de Me Metier pour la commune de Saint-Michel-de-Maurienne ainsi que celles de Me Di Nicola pour la société Yethy.
Considérant ce qui suit :
1. La société Yethy a déposé le 17 octobre 2017 un dossier, complété en mars 2018, de demande d'autorisation pour un projet de microcentrale hydroélectrique sur le torrent du Vigny et l'un de ses affluents, la Grole, sur des parcelles relevant du domaine privé de l'Etat, situées sur le territoire de la commune de Saint-Michel-de-Maurienne. Le projet comprend la création de deux prises d'eau, d'une conduite forcée enterrée dans une forêt domaniale et d'un bâtiment abritant les équipements électromécaniques. Après un examen au cas par cas, le projet a été dispensé d'évaluation environnementale par une décision du 17 juillet 2017. Le projet a été soumis à enquête publique du 19 juin 2018 au 7 juillet 2018. Le 1er août 2018, le commissaire enquêteur a rendu un avis favorable assorti de quatre réserves. Le préfet de la Savoie a autorisé, par un premier arrêté du 30 octobre 2018, la société Yethy à disposer de l'énergie du Vigny et de son affluent pour le fonctionnement d'une microcentrale hydroélectrique. La microcentrale étant située en zone non constructible du plan de prévention des risques naturels approuvé le 2 mai 2019, ayant conduit à un refus de permis de construire, la société Yethy en a modifié l'implantation. Le préfet de la Savoie a, par un second arrêté du 18 février 2020, modifié la longueur du lit court-circuité ainsi que la hauteur de la chute brute maximale autorisée et, par conséquent, les puissances brute hydraulique et installée, prenant en compte le déplacement vers l'amont de la microcentrale hydroélectrique. Par un troisième arrêté du même jour, le préfet de la Savoie a accordé un permis de construire à la société Yethy. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne a formé un recours gracieux contre ce permis, qui a été rejeté le 4 août 2020. Un quatrième arrêté du 14 octobre 2020, annulant et remplaçant l'arrêté préfectoral du 18 février 2020 modifiant l'arrêté portant autorisation et règlement d'eau de la microcentrale hydroélectrique utilisant l'énergie du ruisseau du Vigny a été pris, pour rectifier une erreur purement matérielle affectant le numéro de la parcelle terrain d'assiette de l'usine, visé par l'arrêté précité du 18 février 2020. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de ces cinq décisions. L'autorisation environnementale accordée à la société Yethy a été transférée à la société Sumatel ENR, qui est désormais en charge de la réalisation du projet de la microcentrale du Vigny. Par un jugement n° 1901349-2003241-2005765-2100950 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête n° 2003241 dirigée contre l'arrêté du 18 février 2020, retiré par l'arrêté du 14 octobre 2020, et a rejeté les requêtes dirigées contre l'arrêté du 30 octobre 2018 portant autorisation et règlement d'eau de la microcentrale hydroélectrique utilisant l'énergie du ruisseau du Vigny (requête n° 1901349), l'arrêté du 14 octobre 2020 et modifiant cet arrêté (requête n° 2100950) et contre l'arrêté accordant un permis de construire à la société Yethy (requête n° 2005765). La commune de Saint-Michel-de-Maurienne relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté ses requêtes n° 1901349 et n° 2100950 dirigées contre les arrêtés préfectoraux des 30 octobre 2018 et 14 octobre 2020 précités.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Les décisions relatives à la réalisation et à l'exploitation des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique, applicables au litige, trouvent leur fondement juridique à la fois dans la loi du 16 octobre 1919 susvisée, dont les dispositions ont été reprises par les articles L. 511-1 et suivants du code de l'énergie, et dans les articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement. Elles relèvent, dès lors, en application de l'article L. 214-10 de ce code, d'un contentieux de pleine juridiction, dans les conditions fixées par l'article L. 514-6 dudit code.
3. Il appartient au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.
Sur la légalité externe :
4. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation relèvent des règles de procédure.
5. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. En outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux statuant sur les autorisations environnementales délivrées au titre de la loi sur l'eau peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'information complète de la population.
S'agissant du dossier d'examen au cas par cas :
6. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne soutient que le dossier d'examen au cas par cas contient de nombreuses erreurs.
7. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne fait valoir que les prises d'eau se situent à environ 1 600 mètres d'altitude, de sorte qu'elles seraient implantées, non en limite, mais à l'intérieur de la ZNIEFF de type 2 " massif du Perron des Encombres ". Cependant, la société Yethy a bien coché dans le formulaire de demande d'examen au cas par cas, la case précisant que le projet se situe dans une ZNIEFF, de sorte qu'à la supposer erronée, l'indication portée dans le dossier d'examen au cas par cas selon laquelle les prises d'eau du projet se situent à la limite de la ZNIEFF, n'a en tout état de cause pas pu induire en erreur l'autorité environnementale. A cet égard, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne ne peut utilement se prévaloir de la décision de l'autorité environnementale de soumettre à évaluation environnementale un projet différent de microcentrale hydroélectrique sur le torrent de la Grollaz.
8. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne fait grief au dossier d'examen au cas par cas d'indiquer que le projet n'engendre pas la consommation d'espaces naturels, agricoles, forestiers, maritimes. Sur ce point, les défendeurs font valoir sans être sérieusement contredits que le projet conduit au déboisement sans défrichement et que la conduite étant enterrée sur tout le linéaire, l'utilisation du sol reste identique, en particulier pour un usage naturel et forestier, alors que la conduite est située dans une forêt domaniale.
9. Enfin, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne soutient que la société pétitionnaire ne disposerait pas de l'autorisation de passage sur certaines parties des pistes d'accès aux prises d'eau. Cette circonstance est, par elle-même, étrangère à l'appréciation que doit conduire l'autorité environnementale dans le cadre d'un examen au cas par cas, qui a pour seule finalité de déterminer si le projet doit ou non faire l'objet d'une évaluation environnementale. Si la commune de Saint-Michel-de-Maurienne fait valoir que le passage d'un engin dégraderait le sentier et ses abords, une telle assertion non corroborée est dépourvue des précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.
S'agissant du dossier de demande :
10. En premier lieu, il résulte de l'article L. 214-18 du code de l'environnement que tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage. Ce débit minimal est fixé, selon les cours d'eau, au dixième ou au vingtième du module du cours d'eau. Si la circulaire du 5 juillet 2011 prévoit la possibilité pour le préfet d'assortir les arrêtés pris sur le fondement de l'article L. 214-8 du code de l'environnement d'une étude des impacts de celui-ci, cette circulaire, qui n'aménage qu'une simple possibilité, ne comporte pas, à ce titre, de dispositions impératives et ne saurait d'ailleurs légalement en comporter. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le dossier de demande serait incomplet dès lors qu'il ne comporterait pas d'étude de spécifique démontrant l'absence d'impact des réductions de débit à l'aval de l'ouvrage sur les espèces.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 181-13 du code de l'environnement, dans sa version applicable à la date de l'autorisation en litige : " La demande d'autorisation environnementale comprend les éléments communs suivants : (...) 4° Une description de la nature et du volume de l'activité, l'installation, l'ouvrage ou les travaux envisagés, de ses modalités d'exécution et de fonctionnement, des procédés mis en œuvre, ainsi que l'indication de la ou des rubriques des nomenclatures dont le projet relève. Elle inclut les moyens de suivi et de surveillance, les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident ainsi que les conditions de remise en état du site après exploitation et, le cas échéant, la nature, l'origine et le volume des eaux utilisées ou affectées ; 5° Soit, lorsque la demande se rapporte à un projet soumis à évaluation environnementale, l'étude d'impact (...), soit, dans les autres cas, l'étude d'incidence environnementale prévue par l'article R. 181-14 ; (...) 7° Les éléments graphiques, plans ou cartes utiles à la compréhension des pièces du dossier, notamment de celles prévues par les 4° et 5° (...) ". Aux termes de l'article R. 181-14 du même code : " I. - L'étude d'incidence environnementale établie pour un projet qui n'est pas soumis à étude d'impact est proportionnée à l'importance de ce projet et à son incidence prévisible sur l'environnement, au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 181-3. / L'étude d'incidence environnementale : 1° Décrit l'état actuel du site sur lequel le projet doit être réalisé et de son environnement ; 2° Détermine les incidences directes et indirectes, temporaires et permanentes du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 eu égard à ses caractéristiques et à la sensibilité de son environnement ; 3° Présente les mesures envisagées pour éviter et réduire les effets négatifs notables du projet sur l'environnement et la santé, les compenser s'ils ne peuvent être évités ni réduits et, s'il n'est pas possible de les compenser, la justification de cette impossibilité ; 4° Propose des mesures de suivi ; 5° Indique les conditions de remise en état du site après exploitation ; 6° Comporte un résumé non technique. / II. - Lorsque le projet est susceptible d'affecter des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, l'étude d'incidence environnementale porte sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l'écoulement, le niveau et la qualité des eaux, y compris de ruissellement, en tenant compte des variations saisonnières et climatiques. Elle précise les raisons pour lesquelles le projet a été retenu parmi les alternatives au regard de ces enjeux. Elle justifie, le cas échéant, de la compatibilité du projet avec le schéma directeur ou le schéma d'aménagement et de gestion des eaux et avec les dispositions du plan de gestion des risques d'inondation mentionné à l'article L. 566-7 et de sa contribution à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 211-1 ainsi que des objectifs de qualité des eaux prévus par l'article D. 211-10. Lorsque le projet est susceptible d'affecter un ou des sites Natura 2000, l'étude d'incidence environnementale comporte l'évaluation au regard des objectifs de conservation de ces sites dont le contenu est défini à l'article R. 414-23 (...) ".
12. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne ne saurait utilement invoquer, en se prévalant des avis de l'Agence française pour la biodiversité et de l'Office national des forêts de 2017 qui ont sollicité des compléments, les insuffisances que comportait le dossier initial de demande d'autorisation environnementale, qui a été complété en mars 2018 et qui comporte désormais une étude d'incidences environnementales et une étude géotechnique du 26 et 30 octobre 2019.
13. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne ne peut davantage se borner à évoquer une prétendue contradiction entre le formulaire Cerfa d'examen au cas par cas, déposé en amont du dépôt du dossier de demande d'autorisation, et le dossier de demande, pour en démontrer l'incomplétude.
14. Le dossier de demande d'autorisation environnementale, complété en mars 2018, identifie clairement la localisation des deux prises d'eau, le tracé de la conduite forcée dans le talweg, ainsi que le terrain d'implantation de l'usine de turbinage. Le mémoire technique justifie le choix de réaliser deux prises d'eau en amont de la confluence du Vigny et de son affluent, par la continuité de l'exploitation en cas de nécessité de travaux sur l'une des prises d'eau. Le fonctionnement hydrologique du tronçon court-circuité est étudié dans le dossier de demande.
15. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne met en cause l'absence de réalisation d'un inventaire piscicole en amont de la prise d'eau et dans le tronçon court-circuité. Toutefois, l'autorisation environnementale en litige pouvait être délivrée sans la production d'une telle étude qui ne fait pas partie des pièces requises pour la constitution du dossier de demande, limitativement énumérées et que le préfet ne pouvait légalement exiger en application de l'article R. 181-13 du code de l'environnement.
16. Le dossier de demande d'autorisation environnementale décrit le profil du torrent et notamment l'existence d'une centaine de seuils aménagés sur son parcours. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne soutient que l'hydrologie serait entachée de très fortes incertitudes par simple comparaison avec le torrent voisin de " La Grollaz ". Cependant, si la société pétitionnaire s'est appuyée sur les données connues du torrent voisin, comparable au torrent en litige, par sa surface, son orientation et son altitude, grâce aux relevés de la station de mesure par la société du tunnel ferroviaire Lyon-Turin, elle a proposé un débit résultant d'un croisement de données, en se référant également aux données hydrométriques de la rivière l'Arvan et en appliquant un coefficient correctif. Le débit d'étiage du torrent du Vigny, selon le calcul du QMNA5 non contesté, prend notamment en compte les variations saisonnières et l'existence d'apports latéraux au droit du futur tronçon court-circuité.
17. Le dossier de demande mentionne à cet égard qu'une prospection a permis d'identifier des apports significatifs, surtout en rive droite dans la partie basse, et en rive gauche au sommet. La localisation et la quantification des apports latéraux sur le tronçon court-circuité ont été précisés par les compléments apportés au dossier de demande au mois de mars 2018. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne soutient que ces compléments seraient erronés quant à la localisation et la quantification des apports latéraux sur le tronçon court-circuité. L'erreur de fait dont se prévaut la requérante n'est toutefois pas démontrée par la production du constat d'huissier versé au dossier par la requérante, dont les constatations sont notamment contredites par la cartographie des cours d'eau du département de la Savoie et ce même document mis à jour en 2023. Les services préfectoraux ont d'ailleurs pu constater, après plusieurs visites sur les lieux, la présence des apports latéraux, dont fait également mention le CODERST dans son avis favorable. La commune de Saint-Michel-de-Maurienne n'est pas fondée à soutenir que la société Yethy aurait fait une déclaration erronée dans son étude d'incidence environnementale sur l'existence d'apports latéraux.
18. Si la commune Saint-Michel-de-Maurienne soutient que l'étude d'incidence ne justifie pas de sa contribution à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ainsi que des objectifs de qualité des eaux prévus par l'article D. 211-10 du même code, il résulte au contraire de l'instruction que l'étude d'incidence précise les raisons pour lesquelles le projet a été retenu au regard des enjeux mentionnés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement et en particulier la production d'électricité ou la protection des eaux et la lutte contre la pollution. Elle mentionne que le projet est de nature à permettre la production annuelle d'environ 3 700 MWh, ce qui représente la consommation moyenne en électricité de 790 familles, soit environ les deux tiers de la population de la commune de Saint-Michel-de-Maurienne. Elle précise également que le caractère anthropisé à l'extrême du cours d'eau, qui comporte de nombreuses chutes artificielles, assure une bonne oxygénation qui contribue à la qualité de l'eau, mais que, s'agissant des poissons, la continuité écologique est très compromise par ces aménagements historiques à la descente, et totalement exclue dans le sens de la montée. L'étude d'incidence environnementale se fonde, non seulement sur une pêche d'inventaire réalisée en 2004, dont la requérante dénonce l'ancienneté, mais également sur une étude génétique réalisée en mai 2014, aux termes de laquelle les truites arc-en-ciel et la moitié des truites fario, qui sont les seules espèces piscicoles présentes dans le torrent du Vigny, sont d'origine exogène et font suite à des ré-empoissonnements effectués par les fédérations de pêche dans un seul but de pêches de loisirs. L'absence de truite endémique, du fait même de la configuration du torrent présentant de nombreux seuils et empêchant la montaison des espèces, est confirmée par les résultats de la pêche électrique dans le tronçon court-circuité réalisée en août 2021, menée par un professionnel indépendant, et dont les conclusions ne sont pas sérieusement critiquées, en dépit de la circonstance que la fédération pour la pêche et la protection des milieux aquatiques de Savoie n'y a pas été associée, et par le CODERST dont le rapport précise que " si la dévalaison est permise par les seuils et leur fosse de réception, la question de la montaison ne se pose pas. Partant de là, les seules truites potentiellement présentes ont été introduites " et qui conclut s'agissant des poissons à l'absence d'impact écologique. L'étude d'incidence mentionne également l'existence d'invertébrés et de diatomées et conclut à une sensibilité faible le long du cours d'eau pour la flore, les habitats, les insectes, amphibiens, reptiles, avifaune, chiroptères et autres mammifères en se fondant sur une étude réalisée par la société Tereo. Elle précise en quoi la résilience du torrent à la baisse de débit est importante, de sorte que la qualité des eaux ne sera pas affectée par le projet. Elle conclut que, compte tenu des impacts modestes sur le milieu naturel, les paysages et les nuisances sonores, le projet contribue à assurer la mise en œuvre des principes mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Par suite, l'analyse des impacts du projet apparaît suffisante et proportionnée au projet.
19. Le dossier de demande comporte des pièces 3d et 3e portant sur les mesures de suivi et les conditions de remise en état du site après exploitation. L'étude d'incidence comporte également des développements, page 26, sur les mesures envisagées pour éviter et réduire les effets négatifs notables du projet. Elle prévoit des mesures permettant de limiter les impacts du chantier ainsi qu'une mesure de suivi piscicole sur les cinq années suivant la mise en exploitation. En se bornant à invoquer l'insuffisance cette seule mesure de suivi piscicole qu'impose l'article 9 de l'arrêté préfectoral du 30 octobre 2018, la commune Saint-Michel-de-Maurienne ne démontre pas que l'autorisation en litige aurait été délivrée sur le fondement d'une étude d'incidence incomplète.
20. En troisième lieu, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne persiste à soutenir que son maire n'a pas été informé, en méconnaissance de l'article R. 181-20 du code de l'environnement, de ce que le projet est susceptible de faire l'objet des servitudes d'utilité publique mentionnés aux articles L. 211-12, L. 214-4-1 et L. 515-8, sans critiquer le jugement attaqué qui a relevé que le défaut d'information reproché au préfet de la Savoie n'a privé la commune d'aucune garantie, alors que les arrêtés contestés n'ont pas pour effet de créer de servitude d'utilité publique et que la commune n'en a pas sollicité l'institution.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 181-13, L. 211-1 et L. 214-18 du code de l'environnement :
21. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". La commune de Saint-Michel-de-Maurienne soutient que l'autorisation en litige méconnaît le principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau énoncé à l'article L. 211-1 du code de l'environnement et que les obligations énoncées à l'article L. 214-18 du code de l'environnement et rappelées au point 10 n'ont pas été respectées.
22. La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable constitue l'un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent assurer le respect. Comme il a été dit au point 17, il résulte notamment de la cartographie des cours d'eau du département de la Savoie qu'elle produit ainsi que du même document mis à jour en 2023, que la commune de Saint-Michel-de-Maurienne n'est pas fondée à contester l'existence des apports latéraux sur les deux rives du Vigny. Il n'apparaît pas que les débits réservés fixés par l'arrêté attaqué, et qui sont augmentés par l'article 5 de l'arrêté du 30 octobre 2018 sur la période de juin à septembre pour garantir les autres usages du torrent (arrosage, fonctionnement du moulin de la Traversaz, abreuvage de troupeaux de deux exploitations agricoles en présence), seraient insuffisants pour permettre le maintien de la vie aquatique, ni que le projet serait de nature à dégrader la qualité de l'eau. L'avis de l'Agence française pour la biodiversité mentionne que le projet se situe en amont de la partie du Vigny classée à l'inventaire départemental des frayères pour la truite. L'avis favorable du CODERST précise que " les impacts sur les milieux aquatiques, terrestres et sur les activités humaines sont soit négligeables, soit suffisamment réduits pour être acceptables, soit compensés ". Le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 181-13, L. 211-1 et L. 214-18 du code de l'environnement doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la compatibilité avec SDAGE :
23. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'environnement : " (...) / XI. - Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. ". Cette exigence de compatibilité implique seulement, dans le cadre d'une analyse globale à l'échelle du territoire pertinent, que l'autorisation accordée ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, compte tenu de leur degré de précision.
24. L'association requérante soutient que l'arrêté en litige est incompatible avec les orientations et objectifs du SDAGE du bassin Rhône-Méditerranée 2016-2021 et plus particulièrement avec l'orientation fondamentale n°0 " S'adapter aux effets du changement climatique " en sa disposition 0.02 " Nouveaux aménagements et infrastructures : garder raison et se projeter sur le long terme ", l'orientation fondamentale n°2 " Concrétiser la mise en œuvre du principe de non dégradation des milieux aquatiques ", en sa disposition 2.01 " Mettre en œuvre de manière exemplaire la séquence " éviter-réduire-compenser ", l'orientation fondamentale n° 5B " Lutter contre l'eutrophisation des milieux aquatiques ", l'orientation fondamentale n° 6C " Intégrer la gestion des espèces de la faune et de la flore dans les politiques de gestion de l'eau " en sa disposition 6C-01 " mettre en œuvre une gestion planifiée du patrimoine piscicole d'eau douce ".
25. La légalité interne de l'autorisation environnementale devant être appréciée au jour de l'arrêt, il y a lieu de l'examiner au regard du SDAGE Rhône-Méditerranée 2022-2027, approuvé par le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes le 21 mars 2022 qui reprend les orientations et dispositions du SDAGE précédent, comprenant neuf orientations fondamentales traitant les grands enjeux de la gestion de l'eau, notamment " s'adapter au changement climatique " (orientation fondamentale n°0), " Concrétiser la mise en œuvre du principe de non dégradation des milieux aquatiques ", " Lutter contre l'eutrophisation des milieux aquatiques " (orientation fondamentale n° 5B), " Intégrer la gestion des espèces de la faune et de la flore dans les politiques de gestion de l'eau " (orientation fondamentale n°6C).
26. D'une part, dès lors qu'il convient de confronter l'autorisation en litige à l'ensemble des orientations et objectifs fixés par le SDAGE, pour apprécier, dans le cadre de l'analyse globale à laquelle il doit être procédé, l'incompatibilité alléguée, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier, la commune ne peut utilement soutenir que la réalisation du projet de microcentrale hydroélectrique serait en elle-même en inadéquation avec tel ou tel objectif du SDAGE. Il en est ainsi des allégations selon lesquelles le projet, prévoyant deux prises d'eau, ne serait pas " la meilleure option environnementale " en prétendue méconnaissance des dispositions n°2-01 du SDAGE ou porterait atteinte à des souches autochtones de poissons et serait en cela contraire à sa disposition 6C-01. L'autorisation environnementale en litige, qui est une autorisation individuelle, est en tout état de cause, insusceptible de contrarier la disposition 0.02, du SDAGE du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027, visant à développer, dans le cadre de diverses réglementations dans le domaine de l'eau, de l'urbanisme, de l'aménagement et du développement des territoires, de l'agriculture, de l'énergie et du tourisme et avec l'ensemble des acteurs concernés, des démarches prospectives pour anticiper le changement climatique. Il en est de même s'agissant de la disposition 6 C du SDAGE du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027, visant la mise en œuvre, par les organismes en charge de la gestion de la pêche en eau douce et à travers les plans départementaux de protection des milieux aquatiques et de gestion des ressources piscicoles, d'une gestion planifiée du patrimoine piscicole d'eau douce.
27. Le SDAGE entend concilier notamment la valorisation de l'eau comme ressource économique par la production d'électricité avec la préservation de sa qualité et de sa vie biologique. Alors que le projet permettra la production d'électricité d'origine renouvelable injectée sur le réseau de la régie électrique Synergie Maurienne, il n'apparaît pas que les débits réservés fixés par l'arrêté attaqué seraient insuffisants pour permettre le maintien de la vie aquatique ni que le projet serait de nature à dégrader la qualité de l'eau. Comme l'ont relevé les premiers juges, il n'est pas davantage établi que le projet aggrave les conditions de la vie piscicole alors que la préexistence de seuils sur la majeure partie du linéaire du torrent compromet la dévalaison et empêche la montaison. Il n'est pas démontré que le projet porterait atteinte à des souches autochtones de poissons. Il est étranger aux campagnes d'empoissonnements réalisées dans le torrent. Il prévoit des mesures permettant de limiter les impacts du chantier, en son article 7.1, ainsi que des mesures d'évitement et de réduction des effets du projet sur l'environnement, en son article 8. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec les orientations fondamentales visées par la requérante et reprises par le SDAGE du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027 doit être écarté.
En ce qui concerne la compatibilité avec le plan local d'urbanisme :
28. Il résulte de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme que les plans locaux d'urbanisme ne sont pas opposables aux travaux et constructions autorisés ou déclarés en application des dispositions de l'article L. 214-3 du code de l'environnement dès lors que ces derniers, soumis à la législation distincte sur l'eau, n'appartiennent pas à la catégorie des installations classées pour la protection de l'environnement visée à l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme. De même, le permis de construire et l'autorisation des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique sont accordés en vertu de législations distinctes et selon des procédures indépendantes. Le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec l'article N1 du règlement du plan local d'urbanisme doit, dès lors, être écarté comme inopérant. En tout état de cause, cet article autorise les occupations et utilisations du sol nécessaires aux services publics et d'intérêt collectif, dont relève le projet en litige. Une telle qualification s'apprécie, dans le cadre de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme et au sens de l'article N 1 du règlement du PLU précité, indépendamment de la puissance de l'installation. Ainsi, le projet, compte tenu de sa contribution à la satisfaction d'un besoin collectif par la production d'électricité produite à partir d'énergies renouvelables, constitue une installation nécessaire au service public d'électricité au sens de l'article N 1. Le projet n'apparaît pas incompatible avec le caractère de la zone.
29. En dernier lieu, la commune de Saint-Michel-de-Maurienne persiste à soutenir en appel que l'autorisation en litige serait entachée de détournement de pouvoir. Elle soutient que M. ..., co-gérant de la société Yethy, qui a joué un rôle majeur dans la production du dossier de demande de cas par cas et l'étude d'incidence environnementale, était ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts au sein de l'Office national des forêts (ONF) jusqu'au 1er octobre 2017 et a notamment exercé les fonctions de directeur du service RTM (restauration des terrains en montagne). Toutefois, alors que cet organisme n'a rendu qu'un simple avis en 2016, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait influencé de quelque manière que ce soit l'instruction menée par les seuls services de la préfecture, avec lesquels il était sans aucun lien.
30. Il résulte de tout ce qui précède, que la commune de Saint-Michel-de-Maurienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Saint-Michel-de-Maurienne présentées sur son fondement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que la société Yethy et la société Sumatel ENR présentent au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Saint-Michel-de-Maurienne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des sociétés Yethy et Sumatel ENR présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Michel-de-Maurienne, aux sociétés Yethy et Sumatel ENR et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01793