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27/03/2024 | FRANCE | N°22LY01047

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 27 mars 2024, 22LY01047


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) d'annuler la décision du centre hospitalier d'Ardèche méridionale (CHAM) portant rejet de sa demande indemnitaire préalable et de condamner ce centre à lui verser la somme de 29 200 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ; 2°) d'enjoindre au CHAM de lui verser la somme réclamée dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard

; 3°) de prononcer, sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) d'annuler la décision du centre hospitalier d'Ardèche méridionale (CHAM) portant rejet de sa demande indemnitaire préalable et de condamner ce centre à lui verser la somme de 29 200 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ; 2°) d'enjoindre au CHAM de lui verser la somme réclamée dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ; 3°) de prononcer, sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, la suppression de l'expression ayant trait à son tempérament procédurier contenue dans le mémoire en défense du 12 mars 2021 ; 4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ardèche méridionale une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2009393 du 9 février 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 6 avril 2022, Mme B..., représentée par Me Jolivet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 9 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du CHAM portant rejet de sa demande indemnitaire préalable ;

3°) de le condamner à lui verser la somme de 25 500 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime ;

4°) d'enjoindre au CHAM de lui verser la somme réclamée dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

5°) de prononcer, sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, la suppression de l'expression " quérulent processif " contenue dans le mémoire en défense du 12 mars 2021 ;

6°) de mettre à la charge du CHAM une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour avoir omis de répondre à tous ses moyens, plus précisément le moyen tenant au non-versement des émoluments et indemnités en mi-temps thérapeutique ;

- le jugement est irrégulier pour être insuffisamment motivé ;

- les agissements de harcèlement moral sont établis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2022, le centre hospitalier d'Ardèche méridionale, représenté par la SCP d'avocats Vedesi, agissant par Me Vergnon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par ordonnance du 4 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et, les observations de Me Laurent pour le centre hospitalier d'Ardèche méridionale.

Considérant ce qui suit :

1. Praticien hospitalier employé par le centre hospitalier d'Ardèche méridionale (CHAM), Mme A... B... a demandé au tribunal de Lyon de condamner son employeur en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. Si l'intéressée a également demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du CHAM portant rejet de sa demande indemnitaire préalable, comme l'ont relevé les premiers juges, cette décision n'a d'autre effet que de lier le contentieux. La requérante doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté les conclusions de sa demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement :

2. Si Mme B... a invoqué devant le tribunal administratif de Lyon le non-versement des émoluments et indemnités en mi-temps thérapeutique, cet élément ne constituait pas un moyen mais un simple argument développé à l'appui du moyen tiré de faits de harcèlement qu'elle prétend avoir subis, auquel les premiers juges ont répondu. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait entaché le jugement attaqué d'une omission à statuer.

3. En application de l'article L. 9 du code de justice administrative, les jugements doivent être motivés.

4. Contrairement à ce que soutient Mme B..., les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de de se prononcer expressément sur le détail de l'argumentation des parties, ont expliqué de façon suffisamment précise les raisons pour lesquelles ils n'ont pas retenu l'existence d'un harcèlement moral. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Lorsqu'un agent est victime, dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements répétés de harcèlement moral visés à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, il peut demander à être indemnisé par l'administration de la totalité du préjudice subi, alors même que ces agissements ne résulteraient pas d'une faute qui serait imputable à celle-ci.

6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

9. Pour soutenir qu'elle a fait l'objet de harcèlement moral de la part de son employeur, Mme B... fait état de la dégradation de ses conditions de travail, d'un isolement, de mesures d'intimidation et de la privation indue de rémunération et de véhicule.

10. Il résulte de l'instruction que Mme B... a été mise à disposition du centre hospitalier d'Ardèche Méridionale à temps plein, par une convention conclue le 12 février 2018 avec le Groupement Hospitalier Portes de Provence, devenue caduque à compter du 1er juillet 2018, date de sa nomination comme praticien hospitalier. Affectée comme médecin collaborateur en santé au travail, Mme B... a entretenu une relation conflictuelle avec la secrétaire du service, laquelle se prétendait victime, de la part de Mme B..., d'agissements de harcèlement moral et a obtenu à ce titre le bénéfice de la protection fonctionnelle. En raison de la détérioration de leur relation professionnelle, une tentative de médiation a été mise en place sans succès via la Commission des Agissements Hostiles (CAH). La requérante s'est opposée à la reprise de cet agent sur son poste de travail, allant jusqu'à refuser de la recevoir pour effectuer la visite de pré-reprise. Compte tenu de son comportement, Mme B... ne saurait sérieusement invoquer, pour faire présumer l'existence du harcèlement moral dont elle se prétend victime, la circonstance qu'elle n'a pu obtenir de son employeur le recrutement d'une secrétaire, indispensable, selon elle, dans la gestion d'un service et pour le bon fonctionnement du service hospitaliser.

11. Mme B... ne produit aucun élément susceptible de corroborer la contrainte qui lui aurait été faite de signer une convention de mise à disposition, la réalité des actes d'intimidations qu'elle prétend avoir subis, ni l'existence d'une " mise au placard ", nullement étayées par les éléments produits au dossier.

12. Mme B... a demandé le 12 septembre 2019 à exercer son activité professionnelle à temps partiel thérapeutique, ce qui lui a été accordé après une visite médicale réalisée le 9 décembre 2019 par deux psychiatres réunis en comité médical, à compter du 12 décembre 2019, deux mois environ après réception de sa demande complète au mois d'octobre, de sorte que le prétendu retard dont fait état la requérante pour se prononcer sur cette demande n'est pas établi. Le temps partiel thérapeutique a d'ailleurs été renouvelé du 12 juin 2020 jusqu'au 11 décembre 2020, par un arrêté du 29 juin 2020.

13. Mme B..., placée en arrêt de travail du 13 au 26 janvier 2020, prolongé du 27 janvier au 21 février 2020, n'a initialement pas demandé que l'évènement survenu le 10 janvier 2020 soit considéré comme un accident de service et ne saurait reprocher, à cet égard, un manque d'information de la part de son employeur. Par courrier du 3 juin 2020, la CPAM a informé le CHAM que les documents en sa possession ne lui permettaient pas de reconnaître le caractère professionnel de l'accident de trajet finalement déclaré par l'intéressée. Le refus de prise en charge ne saurait, en lui-même, présumer un quelconque harcèlement.

14. Mme B... ne conteste pas que l'indemnité d'engagement de service public exclusif a été proratisée au regard de sa quotité de temps de travail comme le prévoient les textes. Le CHAM indique, sans être contesté, que la détermination du montant de la prime d'exercice territorial versée à la requérante est fonction du nombre de demi-journées de service effectuées par elle en dehors de son site principal d'exercice. La requérante n'est ainsi pas fondée à faire état comme en première instance d'une privation indue de rémunération.

15. Dans le cadre de la convention de mise à disposition négociée entre les parties, Mme B... bénéficiait d'un véhicule de service. Si la requérante soutient qu'elle pouvait l'utiliser pour les trajets entre son domicile et son lieu de travail, cette convention est devenue caduque et le CHAM fait valoir que Mme B... ne bénéficiait de ce véhicule de service que pour les déplacements entre le centre hospitalier et les différents hôpitaux locaux, ce qui justifie que ne lui soient pas remboursés des frais de déplacements professionnels, mais qu'elle ne pouvait l'utiliser comme un véhicule de fonction, ce qui lui a été rappelé dans un courrier du 28 juillet 2020, après qu'elle a refusé le 30 juin 2020 de mettre le véhicule à la disposition du service pendant sa période de congés. Le CHAM indique avoir, à l'aide d'un double des clefs, remisé le véhicule au niveau de l'établissement et sollicité une société privée pour en nettoyer l'intérieur. Si Mme B... met en cause les conditions de retrait du véhicule, elles ne suffisent en tout état de cause pas pour caractériser une situation de harcèlement moral.

16. Si Mme B... a fait état en première instance d'un refus, intervenu fin 2019, de lui laisser exercer les demi-journées d'intérêt général et expertises judiciaires, l'autorisation de réaliser des expertises judiciaires est soumise à l'exercice des fonctions à temps plein, de sorte que compte tenu de son temps partiel thérapeutique, ce refus se justifie par des raisons objectives, liées à la quotité de temps de travail de Mme B.... Il en est de même du refus de prise en charge, au titre du plan de formation, de la 3ème année du DIU de médecine de l'intéressée, qui se justifie par considérations liées à l'intérêt du service, et qui a été finalement accordé.

17. La nécessité d'emprunter un escalier non conforme pour accéder aux locaux de la médecine du travail est insusceptible à elle seule de caractériser les faits répétés de harcèlement dont Mme B... se prétend victime.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

18. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.

19. Le passage du mémoire du 12 mars 2021 présenté par le CHAM devant le tribunal administratif et incriminé par Mme B... n'avait à l'égard de celle-ci, comme l'ont estimé les premiers juges, aucun caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire. Les conclusions tendant à sa suppression que la requérante réitère en appel doivent par suite être rejetées.

20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'astreinte :

21. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Ses conclusions à fin d'astreinte ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre du CHAM, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Mme B..., partie perdante, le versement au CHAM d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera au CHAM une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier d'Ardèche méridionale.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au préfet de l'Ardèche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01047


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01047
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : JOLIVET

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-27;22ly01047 ?
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