Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 décembre 2022 et le 17 mai 2023, la société Centrale éolienne les Husiaux, représentée par Me Carpentier, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux, et l'arrêté du 2 novembre 2022 par lesquels le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation du parc éolien les Husiaux sur le territoire de la commune de Pont-sur-Vanne ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de reprendre l'instruction de sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les arrêtés, en tant qu'ils ont été pris sur le fondement du 2° de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, sont illégaux dans la mesure où ils se fondent sur les avis défavorables rendus par le ministre des armées, respectivement les 2 mai et 21 septembre 2022, eux-mêmes illégaux ; les avis, qui reposent uniquement sur des considérations générales, sont insuffisamment motivés ; ils n'ont pas été pris au vu d'un examen particulier des circonstances de l'espèce ; l'interdiction d'implantation des trois éoliennes en cause ne constitue pas une mesure nécessaire et proportionnée au regard de l'objectif de préservation de la sécurité aéronautique, compte tenu des enjeux d'indépendance énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique ; les avis contredisent, d'une part, un précédent avis du 30 janvier 2019, favorable à l'implantation d'éoliennes dans cette zone, qui avait, pour sa part, été pris après étude détaillée et consultation des différents organismes des forces armées, et avait conclu que le projet s'inscrivait dans un parc existant dont le périmètre était déjà rendu inutilisable et n'était pas de nature à remettre en cause l'utilisation de la zone et, d'autre part, la position prise par le ministère des armées lors de la réunion du 15 septembre 2021 ; en indiquant dans ses écritures que le projet est implanté sur la trajectoire privilégiée de sortie du SETBA Aube, le ministre de la transition écologique procède à une substitution de motifs, ce qu'il ne peut faire n'étant pas l'auteur de l'avis ; le projet n'est pas implanté sur une trajectoire privilégiée et ne porte pas atteinte aux couloirs de sortie du SETBA ; un mât de cent deux mètres a été autorisé dans le secteur des éoliennes ; le fait qu'un groupe de travail ait défini des zones " rendues disponibles " pour le développement de l'éolien dans le SETBA Aube, zones dans lesquelles ne se trouve pas le projet, n'a pas pu avoir pour effet d'interdire l'implantation d'éoliennes en dehors de ces zones ; en invoquant un tel motif, le ministre de la transition écologique procède à une substitution de motifs pour laquelle il n'est pas compétent ;
- les arrêtés, en tant qu'ils ont été pris sur le fondement du 3° de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, sont illégaux ; les considérations sur lesquelles ils se fondent ne sont étayées par aucun élément ; ils sont entachés d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 12 avril 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par la société Centrale éolienne les Husiaux ne sont pas fondés ;
- le préfet était tenu de rejeter la demande dès lors que les avis étaient défavorables, de sorte que les autres moyens sont inopérants.
Par une ordonnance du 17 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juin 2023.
Un mémoire (ce dernier n'ayant pas été communiqué) a été enregistré le 13 juillet 2023 pour le préfet de l'Yonne.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté interministériel du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Lamouille, pour la société Centrale éolienne les Husiaux ;
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de l'avis défavorable rendu le 2 mai 2022 par le ministre des armées, le préfet de l'Yonne a, par arrêté du 10 juin 2022, rejeté la demande, déposée le 14 mars 2022 par la société Centrale éolienne les Husiaux, d'autorisation environnementale pour l'exploitation de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Pont-sur-Vanne. Après le dépôt d'une nouvelle demande ayant le même objet le 7 juillet 2022, la présentation le 12 août 2022 d'un recours gracieux dirigé contre l'arrêté du 10 juin 2022 et un nouvel avis défavorable du ministre des armées rendu le 21 septembre 2022, le préfet de l'Yonne a de nouveau rejeté la demande de la société par arrêté du 2 novembre 2022. La société Centrale éolienne les Husiaux demande à la cour d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022, ensemble le rejet de son recours gracieux dirigé contre cet arrêté, ainsi que l'arrêté du 2 novembre 2022.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : (...) 2° Le ministre de la défense (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du même code : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable (...) ". Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile : " À l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation : " Les installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre chargé des armées comprennent a) En dehors des agglomérations, les installations dont la hauteur en un point quelconque est supérieure à cinquante mètres au-dessus du niveau du sol (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation unique doit, lorsque la construction envisagée en dehors d'une agglomération peut constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison d'une hauteur supérieure à cinquante mètres, saisir de la demande le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense afin de recueillir leur accord, de sorte que l'autorisation unique tienne lieu de l'autorisation prévue à l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile. A défaut d'accord de l'un de ces ministres, l'autorité compétente est tenue de refuser l'autorisation demandée.
4. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
5. En premier lieu, dans son avis émis les 2 mai 2022, le directeur de la sécurité aéronautique d'État, après avoir précisé que le projet concernait trois générateurs d'une hauteur hors tout, pale haute à la verticale, de cent soixante-quinze mètres sur le territoire de la commune de Pont-sur-Vanne, a indiqué qu'il était de nature à remettre en cause les missions des forces armées. L'avis se fonde sur le fait que le projet se situe dans un secteur dédié de façon permanente à l'entraînement au vol à très basse altitude (SETBA Aube) de jour à une hauteur inférieure à cent cinquante mètres. Il est indiqué que la proximité du sol, la gestion de l'anti-abordage avec les autres usagers aériens et les trajectoires imposées par le déroulement tactique de la mission impliquent une charge de travail à bord très importante pour les équipages et que le projet serait de nature à induire une contrainte supplémentaire préjudiciable à la sécurité des vols et la réalisation de ces missions, compte tenu de l'étendue vers l'ouest de l'emprise et de la hauteur importante des éoliennes ainsi que de leur faible visibilité, surtout par mauvaises conditions météorologiques. Il en a conclu que l'implantation de nouvelles éoliennes n'était pas possible dans ce secteur et qu'il refusait d'accorder son autorisation au titre de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile. Etaient joints des documents cartographiques faisant apparaître l'implantation du projet au sein du SETBA de l'Aube. Dans son second avis, le ministre a indiqué que ce projet était toujours de nature à remettre en cause les missions des forces armées et que l'abrogation de l'instruction n° 1050 relative au traitement des obstacles du 18 juin 2021, qui n'est qu'un guide, n'a aucun impact sur les avis. Au vu de ces éléments, il n'apparaît pas que ces avis, qui étaient suffisamment motivés, aient été rendus sans qu'il ne soit procédé à un examen particulier des circonstances de l'espèce.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et ainsi que l'indique l'avis litigieux, que les éoliennes sont implantées au sein du SETBA de l'Aube. Les documents cartographiques produits tant par l'administration que la société requérante font apparaître que le parc en litige se trouve à l'ouest du SETBA de l'Aube, à proximité de l'itinéraire de sortie vers le SETBA Morvan. Alors même que le projet litigieux se situe dans le prolongement d'un parc éolien existant et qu'un mât de mesure de vent de cent deux mètres a été autorisé en 2019 à proximité, la création de ce nouveau parc aurait pour effet de réduire le dimensionnement d'une des zones de passage des aéronefs, déjà contraints par l'existence d'habitations et d'autres parcs éoliens dans le secteur. Dans ces circonstances, même si, dans un précédent avis du 30 janvier 2019 rendu dans le cadre de consultations préliminaires, le ministre avait émis un avis favorable à l'implantation d'éoliennes dans cette zone, qui se situait déjà au sein du SETBA de l'Aube et qu'au cours d'une réunion tenue au mois de septembre 2021 le représentant du ministère ne s'était pas opposé au projet, la société Centrale éolienne les Husiaux n'est pas fondée à soutenir que le ministre des armées aurait méconnu les dispositions de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile cité ci-dessus en s'opposant au projet au motif qu'il constituait un obstacle à la navigation aérienne.
7. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 3 et de ce qui a été exposé ci-dessus, le préfet de l'Yonne était en situation de compétence liée pour refuser les autorisations sollicitées. Dès lors, les autres moyens de la requête doivent être écartés comme inopérants.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Centrale éolienne Les Husiaux n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés du préfet de l'Yonne, ensemble le rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction de la société Centrale éolienne les Husiaux ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'État, qui n'est pas partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Centrale éolienne les Husiaux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centrale éolienne les Husiaux et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure,
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03629
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