Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler d'une part l'arrêté du 15 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et d'autre part l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence dans le département de l'Isère pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois.
Par un premier jugement n° 2300187 du 19 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a, après avoir renvoyé en formation collégiale le jugement des conclusions de la requête relatives à la demande d'annulation de la décision contenue dans l'arrêté du 15 décembre 2022 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, annulé les décisions de cet arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et prononçant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ainsi que l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de l'Isère portant assignation à résidence de celui-ci, et enjoint au préfet de l'Isère, après délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à M. B..., de réexaminer sa situation dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement.
Par un second jugement du 23 mai 2023 portant le même numéro, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'annulation de la décision portant refus de séjour du 1er décembre 2022.
Procédures devant la cour
I- Par une requête, enregistrée le 22 février 2023 sous le numéro 23LY00683, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble.
Il soutient que :
- un arrêté ne peut être annulé en raison d'éléments non portés à la connaissance de l'administration ;
- l'arrêté contesté ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens invoqués en première instance par M. B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2023, M. B..., représenté par Me Muridi, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'ensemble des décisions attaquées et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens présentés par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés.
II- Par une requête, enregistrée le 20 juin 2023 sous le numéro 23LY02063, M. A... B..., représenté par Me Muridi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de son éloignement et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de lui remettre son passeport dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- l'auteur de l'acte est incompétent ;
- le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour ;
- le refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Balestas, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 13 juillet 1987, serait entré en France selon ses déclarations, le 20 juillet 2007, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa C. Il a fait l'objet d'une première décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, le 3 février 2011, dont la légalité a été confirmée par un jugement du 30 septembre 2011 du tribunal administratif de Grenoble, puis par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 20 décembre 2012, d'une deuxième décision du 5 décembre 2013, par laquelle le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, également confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble, le 12 juin 2014, et d'une troisième décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour à titre exceptionnel ou au regard de considérations humanitaires par un arrêté du 8 juillet 2016, assortie d'une obligation de quitter le territoire sans délai, confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble, le 31 octobre 2016. M. B... a demandé, le 5 janvier 2021, un titre de séjour sur le fondement du d) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié. Par un arrêté du 15 décembre 2022, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de son éloignement et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un second arrêté du 11 janvier 2023, ledit préfet l'a assigné à résidence dans le département de l'Isère pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois.
2. Par une première requête, le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 19 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a, après avoir renvoyé en formation collégiale le jugement des conclusions relatives à la demande d'annulation de l'arrêté du 15 décembre 2022 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, annulé les décisions contenues dans cet arrêté faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de son éloignement et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ainsi que l'arrêté du 11 janvier 2023 de cette même autorité portant assignation de l'intéressé à résidence, et enjoint au préfet de l'Isère, après délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à M. B..., de réexaminer sa situation dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement. Par une seconde requête, M. B... relève appel du jugement du 23 mai 2023 du même tribunal rejetant le surplus de ses conclusions.
3. Les requêtes présentant à juger la situation d'un même étranger, il y lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé des jugements attaqués :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 7 ter d) de l'accord franco-tunisien: " Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7 : les ressortissants tunisiens qui, à la date d'entrée en vigueur de l'accord signé à Tunis le 28 avril 2008, justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis plus de dix ans, le séjour en qualité d'étudiant n'étant pas pris en compte dans la limite de cinq ans (...) ". Aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord (...) ". Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance / (...)/ 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ". Aux termes de l'article L. 435-1 de ce code : " (...). / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...) ". L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, n'est pas applicable aux ressortissants tunisiens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, le préfet peut, en vertu du pouvoir dérogatoire dont il dispose, même sans texte, pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation, décider de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. La consultation obligatoire de la commission du titre de séjour, telle qu'elle est prévue par les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pour objet d'éclairer l'autorité administrative sur la possibilité de régulariser la situation administrative d'un étranger et constitue pour ce dernier une garantie substantielle. Le préfet n'est tenu de saisir cette commission que si l'étranger sollicitant un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions justifie d'une présence continue de dix ans sur le territoire français. Enfin, l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n'a pas entendu écarter l'application des dispositions de procédure qui s'appliquent à tous les étrangers en ce qui concerne la délivrance, le renouvellement ou le refus de titres de séjour.
5. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de la décision contestée devant lui en prenant en considération la situation de fait existant à la date à laquelle cette décision a été prise, et non pas seulement, contrairement à ce que le préfet de l'Isère soutient, en fonction des pièces portées à la connaissance de l'administration par l'étranger dans le cadre de l'instruction de sa demande de titre de séjour.
6. Il ressort des pièces du dossier de première instance, ainsi que la magistrate désignée et les premiers juges statuant en collégiale l'ont retenu sans être utilement contestés sur ce point par le préfet de l'Isère, que le requérant démontre avoir sa résidence habituelle en France depuis l'année 2009. Ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, la circonstance dénoncée par le préfet que M. B... avait communiqué, lors de l'instruction de sa demande, seulement deux à trois justificatifs par année de présence en France, dénués au surplus selon lui de valeur probante, n'est pas susceptible de contredire l'existence de la situation de fait ainsi retenue. Il s'ensuit qu'alors que le préfet de l'Isère a également examiné le droit au séjour de M. B... au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'absence de saisine pour avis de la commission du titre de séjour, en méconnaissance des exigences de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entaché l'arrêté litigieux du 15 décembre 2022 d'un vice de procédure, lequel a été de nature à priver l'intéressé d'une garantie. M. B... est donc fondé à demander l'annulation de la décision contenue dans l'arrêté du 15 décembre 2022 refusant de lui délivrer un titre de séjour.
7. En deuxième lieu, pour accueillir le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de refus de titre de séjour, la magistrate désignée s'est fondée sur la résidence habituelle en France de M. B..., qui serait entré en France à l'âge de 20 ans, depuis l'année 2009 jusqu'à la date de la décision attaquée, avec sa mère dont il est le fils unique, laquelle est présente en France depuis l'année 2006 et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 1er mars 2029, le père du requérant étant décédé depuis le 13 mai 1988. La magistrate désignée a également précisé qu'il ressortait des pièces du dossier que M. B... était dépourvu d'attache familiale dans son pays d'origine et devait être regardé comme ayant le centre de ses intérêts privés et familiaux en France, et a estimé que le préfet de l'Isère, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, avait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels l'arrêté a été pris et méconnu ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, de tels éléments ne suffisent pas, ainsi que le préfet le fait valoir en appel, à caractériser une telle atteinte, dès lors que M. B... est célibataire et sans enfant et ne se prévaut que de la durée de sa résidence et de la présence de sa mère en France. C'est donc à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions de l'arrêté du 15 décembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et prononçant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, ainsi que l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de l'Isère portant assignation à résidence de celui-ci.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... à l'encontre des décisions citées au point précédent.
9. Pour le même motif que celui retenu au point 6, M. B... fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 15 décembre 2022 ainsi que de l'arrêté du 11 janvier 2023.
10. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 19 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination, ainsi que celle portant interdiction de retour sur le territoire français, contenues dans l'arrêté du 15 décembre 2022, ainsi que l'arrêté du 11 janvier 2023, d'autre part, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour contenue dans l'arrêté du 15 décembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que le préfet de l'Isère procède à un nouvel examen de la demande de l'intéressé, après avoir saisi la commission du titre de séjour, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir sans délai M. B... d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 23 mai 2023 du tribunal administratif de Grenoble et la décision portant refus de séjour contenue dans l'arrêté du 15 décembre 2022 du préfet de l'Isère sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. B... et de prendre, après avoir saisi la commission du titre de séjour, une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de sa décision, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et la requête du préfet de l'Isère sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Isère, à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra BertrandRendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2024.
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY00683-23LY02063