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07/03/2024 | FRANCE | N°23LY02640

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 07 mars 2024, 23LY02640


Vu la procédure suivante :





Procédure devant la cour avant cassation



Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 juillet 2019 et 17 décembre 2020, ce dernier non communiqué, la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, représentée par Me Cassin, a demandé à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune de Préhy ;



2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer cette autorisation assortie, le cas échéant, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour avant cassation

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 juillet 2019 et 17 décembre 2020, ce dernier non communiqué, la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, représentée par Me Cassin, a demandé à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le préfet de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur la commune de Préhy ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer cette autorisation assortie, le cas échéant, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, à titre subsidiaire, de fixer les prescriptions techniques dans un délai de deux mois ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle a soutenu que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- le refus d'autorisation environnementale n'est pas fondé et est entaché d'erreur d'appréciation en l'absence d'impact sur le vignoble chablisien, de toute saturation visuelle et de potentielle atteinte au busard cendré.

Par des mémoires enregistrés les 16 octobre 2019 et 18 décembre 2020, ces derniers non communiqués, l'association " Vents contre Air " et M. B... A..., représentés par Me Monamy, sont intervenus volontairement au soutien des conclusions présentées en défense par l'État.

Ils ont soutenu que :

- leur intervention est recevable ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 30 octobre 2020, la ministre de la transition écologique a conclu au rejet de la requête en soutenant qu'aucun des moyens invoqués n'est fondés.

Par une ordonnance du 3 novembre 2020 la clôture de l'instruction a été fixée au 18 décembre 2020.

Par un arrêt n° 19LY02806 du 30 septembre 2021, la cour administrative d'appel a annulé l'arrêté du 22 mai 2019 du préfet de l'Yonne et enjoint au préfet de délivrer à la société l'autorisation demandée.

Par une décision n° 459062 du 11 août 2023, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire.

Procédure devant la cour après cassation

Les parties ont été informées, par courrier en date du 16 août 2023, de la reprise d'instance devant la cour après le renvoi de l'affaire par le Conseil d'État.

Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2023, la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, représentée par Me Cassin, demande à la cour de délivrer une autorisation environnementale reprenant les prescriptions de l'arrêté préfectoral d'autorisation du 15 février 2022.

Elle soutient que les mesures prévues dans l'arrêté du 15 février 2022, pris en exécution du premier arrêt de la cour, permettent de limiter les atteintes aux paysages et à la commodité du voisinage ainsi qu'au busard cendré.

Par un mémoire enregistré le 26 janvier 2024, ce dernier non communiqué, l'association " Vents contre Air " et M. B... A..., représentés par Me Monamy, interviennent volontairement au soutien des conclusions présentées en défense par l'État.

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés ;

- si une autorisation unique, devenue aujourd'hui autorisation environnementale, venait à être accordée à la SEPE de la Tête des Boucs, il faudrait que cette autorisation inclut nécessairement une dérogation au titre de l'article L. 411-1 du code de l'environnement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- l'arrêté du 26 août 2011 du ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Béz de Berc, pour la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, ainsi que celles de Me Monamy, pour l'association " Vents contre Air " et M. B... A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 février 2024, présentée pour la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 22 mai 2019, le préfet de l'Yonne a rejeté la demande présentée le 21 novembre 2016 par la société d'exploitation du parc éolien (SEPE) de la Tête des Boucs, d'autorisation d'exploitation de six aérogénérateurs d'une hauteur maximale de cent-quarante-neuf mètres en bout de pale et de trois postes de livraison sur le territoire de la commune de Préhy. Par un arrêt du 30 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer à cette société une autorisation unique d'exploitation un parc éolien, si besoin assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. En exécution de cet arrêt, le préfet de l'Yonne a, par un arrêté du 15 février 2022, accordé l'autorisation sollicitée. Par une décision du 11 août 2023, le Conseil d'État a annulé l'arrêt du 30 septembre 2021 de la cour et lui a renvoyé l'affaire. Après le renvoi de l'affaire, la SEPE de la Tête des Boucs a demandé à la cour de délivrer une autorisation environnementale reprenant les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 15 février 2022. Elle doit ainsi être regardée comme demandant à la cour d'annuler le refus du préfet et de lui accorder l'autorisation sollicitée, conformément aux modifications et prescriptions prévues dans l'arrêté du 15 février 2022.

Sur l'intervention de l'association " Vents contre Air " et de M. A... :

2. L'association " Vents contre Air " a, compte tenu de son objet social, un intérêt au maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt de M. A... qui a présenté avec elle le mémoire en intervention, cette intervention doit être admise.

Sur la légalité de l'arrêté du 22 mai 2019 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 12 du décret du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable au litige : " II. - Le représentant de l'État dans le département peut rejeter la demande pour l'un des motifs suivants : (...) 2° Le projet ne permet pas d'atteindre les objectifs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014 susvisée ;/ 3° Le projet est contraire aux règles qui lui sont applicables. Ce rejet est motivé ".

4. Le rejet de la demande d'autorisation unique présentée par la SEPE Tête des Boucs, qui indique qu'aucune mesure n'est à même de prévenir les dangers ou inconvénients du projet sur le paysage et la saturation visuelle qu'il engendre ainsi que sur le busard cendré de sorte que l'autorisation ne peut être accordée en application de l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014, comprend les considérations de droit et les éléments de fait qui en constituent le fondement. Il est, par suite, suffisamment motivé. Si le préfet n'a pas fait état, dans l'arrêté attaqué, d'un partenariat signé entre le pétitionnaire et la ligue de protection des oiseaux, une telle circonstance, qui pourrait au mieux avoir une incidence sur le bien-fondé du refus opposé par le préfet, est sans incidence sur le caractère suffisant de la motivation de l'arrêté. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait insuffisamment motivé doit être écarté.

5. En deuxième lieu, selon l'article L. 181-3 du code de l'environnement qui reprend, pour les autorisations environnementales, les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014 sur les autorisations uniques, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, au nombre desquels figure la protection de la nature et de l'environnement. Il résulte de ces dispositions que les mesures proposées par le pétitionnaire afin d'éviter et de réduire les atteintes portées par le projet aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement doivent présenter des garanties d'effectivité suffisantes.

6. Pour refuser d'accorder à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs l'autorisation demandée, le préfet s'est notamment fondé sur le risque que fait peser le parc sur le busard cendré, oiseau migrateur placé sous statut de conservation en danger sur la liste rouge régionale 2015, dont la présence a été identifiée à proximité des éoliennes E5 et E6, alors que les mesures prévues par le pétitionnaire sont insuffisantes pour pallier ce risque.

7. Le busard cendré est une espèce en danger inscrite à l'annexe 1 de la directive Oiseaux, sur la liste rouge nationale 2017 des oiseaux nicheurs en qualité d'espèce quasi-menacée ainsi que sur la liste rouge régionale 2015 sous le statut d'espèce en danger. Selon l'étude de la ligue de protection des oiseaux (LPO) de juin 2017 relative au " parc éolien et ses impacts sur l'avifaune " produite par le ministre, il y avait trois-mille-huit-cents à cinq-mille-cent couples nicheurs de busard cendré en France. Le descriptif de l'état initial et des impacts habitats-faune-flore relatif au projet litigieux fait état de quatre-mille à cinq-mille couples, dont un peu moins d'une centaine en Bourgogne. Il résulte de l'instruction que sa sensibilité aux éoliennes est forte, le risque de collision avec les éoliennes ayant été évalué à une échelle de trois sur quatre dans le protocole de suivi environnemental reconnu par le ministère chargé des installations classées (version 2015), le retour d'expérience mené par la LPO confirmant ce risque de collision. Or, les inventaires réalisés ici pour les besoins de l'étude d'impact ont mis en évidence à moins d'une centaine de mètres des éoliennes E5 et E6 un site de nidification de cette espèce, dont rien ne permet de dire qu'elle ne serait plus présente dans le secteur, alors que, selon une étude de la LPO en Bourgogne, le domaine vital du busard cendré présente une vulnérabilité forte dans un rayon de deux kilomètres autour du nid et que l'ensemble des éoliennes du projet se trouvent dans ce rayon.

8. Pour réduire les risques d'atteinte à cette espèce et compenser les nuisances, le pétitionnaire a prévu, en phase travaux, de les décaler en dehors de la période de reproduction, puis, en phase d'exploitation, de mettre en place un matériel de détection asservi entraînant l'arrêt des machines et de signer un partenariat avec la LPO Yonne pour mener des études sur cette espèce. Toutefois, si le décalage des travaux permet d'éviter la destruction de nichées, il ne répond pas au risque avéré de collision. Il en va de même de la convention avec la LPO de l'Yonne qui ne comprend pas de mesure d'évitement et de réduction des risques provoqués par la présence et le fonctionnement des éoliennes, mais seulement des mesures de recherche et de sensibilisation, ainsi que la protection du nid d'autres interventions humaines. Enfin, ainsi que l'a estimé le préfet, la mesure de détection proposée est imprécise et insuffisante compte tenu des incertitudes scientifiques pesant sur son efficacité, l'exploitant ayant lui-même reconnu en juin 2017 que " les connaissances actuelles sur le matériel de détection installé sur les éoliennes sont récentes et ne permettent pas un retour d'expérience fondé dans un cadre scientifique ". Il n'apparaît pas, au vu des pièces du dossier, que ces incertitudes seraient désormais levées. Si, en exécution de l'arrêt de la cour du 30 septembre 2021, depuis lors annulé, le préfet a délivré une autorisation à la société d'exploitation de la Tête des Boucs précisant la nature du matériel de détection, formé d'un système de bridage dynamique actif du 15 avril au 15 septembre, qui repère en temps réel les oiseaux en vol, les effarouche et régule le fonctionnement des éoliennes pour prévenir les collisions, il n'apparaît pas davantage, en toute hypothèse, que ce dispositif expérimental, en dépit de l'efficacité dont il aurait fait preuve pour d'autres parcs éoliens, présenterait, pour le projet ici en cause, des garanties d'effectivité suffisantes. Par suite, compte tenu du statut de protection particulièrement élevé dont bénéficie le busard cendré en Bourgogne, où le nombre de couples nicheurs est très limité, et de sa grande sensibilité à l'éolien, et eu égard en particulier à la présence, non démentie, à proximité des installations projetées d'un nid de cet oiseau et à l'insuffisance des mesures d'évitement et de réduction envisagées à ce jour, le préfet a pu estimer ici que le projet litigieux présentait un danger pour cette espèce. Par suite, le moyen tiré de ce que, faute d'atteinte au busard cendré, aucune violation des intérêts protégés par l'article L. 511-1 n'est caractérisée, ne peut qu'être écarté.

9. En dernier lieu, à supposer même que les autres motifs sur lesquels le préfet s'est également fondé pour refuser de délivrer l'autorisation, tenant à ce que le projet portait atteinte au paysage remarquable du Chablisien depuis la table d'orientation du Clos, ainsi qu'à la commodité du voisinage compte tenu de la saturation visuelle depuis ce point de vue et les hameaux de Préhy et de Courgis, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur le motif tiré de l'atteinte au busard cendré.

10. Il résulte de ce qui précède que la SEPE Tête des Boucs n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 22 mai 2019 par lequel le préfet de de l'Yonne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Préhy. Pour les motifs exposés plus haut, la société n'est pas plus fondée à demander à la cour de lui délivrer une autorisation d'exploitation reprenant les prescriptions contenues dans l'arrêté du 15 février 2022.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SEPE de la Tête des Boucs la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association " Vents contre Air " et de M. A... est admise.

Article 2 : La requête de la SEPE de la Tête des Boucs est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation du parc éolien de la Tête des Boucs, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association " Vents contre Air " et à M. B... A....

Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2024.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02640

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02640
Date de la décision : 07/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

29-035 Energie.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : LPA CGR Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-07;23ly02640 ?
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