La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2024 | FRANCE | N°22LY01616

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 19 février 2024, 22LY01616


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... E... et Mme D... C... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon, chacun pour ce qui les concerne, d'annuler les décisions du 28 février 2022 par lesquelles le préfet de l'Ardèche a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français, leur a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, a fixé le pays de destination et les a astreints à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie

de La Voulte-sur-Rhône.



Par jugement n° 2202568 - 2202569 du 9 mai 2022, après a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... E... et Mme D... C... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Lyon, chacun pour ce qui les concerne, d'annuler les décisions du 28 février 2022 par lesquelles le préfet de l'Ardèche a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français, leur a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, a fixé le pays de destination et les a astreints à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de La Voulte-sur-Rhône.

Par jugement n° 2202568 - 2202569 du 9 mai 2022, après avoir joint ces demandes et renvoyé les conclusions relatives au refus de titre de séjour à la formation collégiale, la magistrate désignée du tribunal a annulé les décisions par lesquelles le préfet de l'Ardèche leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et les a astreints à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de La Voulte-sur-Rhône et a enjoint au préfet de l'Ardèche de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement et de procéder au réexamen de leur situation dans un délai d'un mois à compter de cette même date.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 24 mai 2022, le préfet de l'Ardèche demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes.

Il soutient que l'exception d'illégalité des refus de titre de séjour n'est pas fondée, dès lors qu'il n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation en refusant d'user de son pouvoir de régularisation de la situation des intéressés.

Par mémoire enregistré le 5 septembre 2022, M. et Mme E..., représentés par Me Bescou, demandent à la cour :

- de rejeter la requête ;

- de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de leur conseil la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Ils soutiennent que, comme l'a estimé le tribunal, les décisions de refus de séjour sont illégales car entachées d'erreur manifeste d'appréciation par le préfet de son pouvoir de régularisation.

M. et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 21 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu le rapport de Mme Evrard au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E..., ressortissants algériens nés le 17 février 1974 et le 4 mars 1984, sont entrés en France, en dernier lieu, le 10 septembre 2017, selon leurs déclarations. Le préfet de Saône-et-Loire a refusé de les admettre au séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français par des décisions du 30 mars 2015, et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans par des décisions du 13 novembre 2015. Mme E... a fait l'objet d'un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français adopté par le préfet de la Drôme le 29 septembre 2017 et confirmé par jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 mars 2018. Le 10 décembre 2021, M. et Mme E... ont sollicité leur admission au séjour sur le fondement des article 6, 5° et 7 b) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par des décisions du 28 février 2022, le préfet de l'Ardèche a rejeté leurs demandes, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et les a astreints à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de la Voulte-sur-Rhône. Par un jugement du 9 mai 2022, dont le préfet de l'Ardèche relève appel, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon, après avoir renvoyé à une formation collégiale les conclusions dirigées contre les refus de séjour, a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et astreignant les intéressés à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de La Voulte-sur-Rhône, et a enjoint au préfet de l'Ardèche de délivrer à M. et Mme E... une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement et de procéder au réexamen de leur situation dans un délai d'un mois à compter de cette même date.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Il ressort des pièces du dossier que si Mme E... est présente en France depuis 2014, son époux, titulaire d'un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles valable jusqu'en 2020, ne séjourne sur le territoire que depuis 2017. Les intéressés n'ont jamais été admis au séjour en France et ont fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement. La circonstance qu'ils ont reçu des promesses d'embauche et qu'ils ont ponctuellement exercé une activité salariée à temps partiel ne suffit pas à démontrer leur intégration professionnelle. Enfin, si les trois enfants A... et Mme E... sont nés sur le territoire français et sont scolarisés, et si deux frères A... E... et les grands-parents de Mme E... résident en France, aucune circonstance ne fait obstacle à ce que les intimés poursuivent leur vie privée et familiale en Algérie, dont tous les membres de la cellule familiale sont ressortissants, où ils ont vécu jusqu'à l'âge de, respectivement, trente-trois et vingt-trois ans, où se trouve le reste de leurs attaches privées et familiales et où leurs enfants, compte tenu de leur jeune âge, pourront être scolarisés. Dans de telles conditions, le préfet de l'Ardèche, en refusant d'admettre au séjour M. et Mme E..., n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation. Par suite, c'est à tort que, pour annuler les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et astreignant les intéressés à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de La Voulte-sur-Rhône, la magistrate désignée du tribunal a retenu que ces décisions se fondaient sur des décisions de refus de titre de séjour illégales.

3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Lyon et devant la cour.

Sur les autres moyens :

4. En premier lieu, les décisions du 28 février 2022 ont été signées par le préfet de l'Ardèche, alors en exercice, M. F... G.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de ces décisions ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, M. et Mme E... soutiennent que les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont illégales en conséquence de l'illégalité des refus de séjour.

6. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 5. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Et aux termes du paragraphe 1er de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 2, que M. et Mme E... n'ont jamais été admis au séjour, qu'ils ont fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement et qu'ils ne font état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce qu'ils poursuivent leur vie privée et familiale en Algérie dont tous les membres de la famille sont ressortissants et où leurs enfants, dont ils ne seront pas séparés, pourront être scolarisés. Dans ces conditions, les décisions de refus de séjour ne méconnaissent ni l'article 6-5° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni encore l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Elles ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation de leur situation personnelle. Le moyen tiré de ce que les décisions en litige se fondent sur des décisions de refus de séjour illégales doit ainsi être écarté.

8. En troisième lieu, et pour les motifs exposés au point 7, les obligations de quitter le territoire français ne méconnaissent ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et ne sont entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation de leur situation personnelle.

9. En quatrième lieu, eu égard à l'absence de circonstance humanitaire ou de motif exceptionnel qui aurait justifié qu'un délai de départ supérieur à trente jours soit accordé, et alors que leurs enfants pourront être scolarisés dans leur pays d'origine, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions fixant le délai de départ volontaire seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En cinquième lieu, il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité des obligations de quitter le territoire français, ni que les décisions les astreignant à se présenter une fois par semaine à la brigade de gendarmerie sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité des refus de séjour et de celle des obligations de quitter le territoire français.

11. En sixième lieu, en indiquant que M. et Mme E... sont astreints à ce présenter une fois par semaine à la brigade de gendarmerie de la Volute-sur-Loire, commune où ils résident, pour justifier des diligences qu'ils effectuent pour préparer leur départ en application des article L. 721-8 et R. 721-5 et R. 721-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et en renvoyant aux éléments de fait qui fondent les obligations de quitter le territoire français, le préfet de l'Ardèche a suffisamment motivé les mesures d'astreinte prononcées.

12. En dernier lieu, il ressort des termes mêmes des décisions litigieuses, ainsi motivées, que le préfet de l'Ardèche a procédé à un examen préalable de la situation particulière des intéressés. Le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit, par suite, être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ardèche est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 28 février 2022 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et astreignant les intéressés à se présenter une fois par semaine aux services de gendarmerie de La Voulte-sur-Rhône et lui a enjoint de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement et de procéder au réexamen de leur situation dans un délai d'un mois à compter de cette même date. En conséquence, le jugement n° 2202568 - 2202569 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 9 mai 2022 doit être annulé. Les demandes d'annulation présentées par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Lyon à l'encontre des décisions du préfet de l'Ain du 28 février 2022 doivent être rejetées ainsi que leurs conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement au conseil A... et Mme E... d'une somme au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2202568 - 2202569 du 9 mai 2022 de la magistrate du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Lyon et leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à Mme D... C... épouse E..., au préfet de l'Ardèche et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,

Mme Psilakis, première conseillère,

Mme Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2024.

La présidente-rapporteure,

A. EvrardL'assesseure la plus ancienne,

Ch. Psilakis

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01616


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01616
Date de la décision : 19/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SELARL BS2A - BESCOU & SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-19;22ly01616 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award