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15/02/2024 | FRANCE | N°23LY02106

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 15 février 2024, 23LY02106


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La société Limoujoux Auvergne a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 20 juillet 2017 par laquelle l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a rejeté sa candidature dans le cadre de l'appel à projets dénommé " projets agricoles et agroalimentaires d'avenir " et de condamner cet établissement à lui verser la subvention demandée de 469 890 euros.



Par un jugement n° 17015

48 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Limoujoux Auvergne a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 20 juillet 2017 par laquelle l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a rejeté sa candidature dans le cadre de l'appel à projets dénommé " projets agricoles et agroalimentaires d'avenir " et de condamner cet établissement à lui verser la subvention demandée de 469 890 euros.

Par un jugement n° 1701548 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

La société Limoujoux Auvergne a demandé à la cour d'annuler ce jugement, à titre principal d'enjoindre au comité de pilotage de sélectionner son projet et à FranceAgriMer de lui verser la subvention demandée de 469 890 euros, à titre subsidiaire, d'ordonner au comité de pilotage de réexaminer son projet et de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle a soutenu devant la cour que :

- elle exerce une activité de production de charcuteries et de salaisons ; elle a entrepris la création d'une nouvelle unité de production de jambons labellisés ; pour son financement, elle a présenté en 2015 un dossier de candidature pour participer à la procédure d'appel à projets " Reconquête de la compétitivité des outils d'abattage et de découpe " (RCAD) organisée dans le cadre du programme d'action " Projets agricoles et agroalimentaires d'avenir " (P3A) mis en œuvre par FranceAgriMer dont un des critères d'éligibilité était que les dépenses d'investissements soient supérieures à 1 000 000 d'euros ; son projet a été déclaré inéligible au motif que le montant des dépenses admissibles n'atteignait pas ce seuil ;

- ses conclusions devaient être regardées comme dirigées en réalité contre la décision du comité de pilotage du 3 mai 2016, mentionnée dans le courrier du 3 juin 2016 qui ne lui a jamais été notifiée, et dont elle n'a pris connaissance que le 24 juillet 2017, et étaient en conséquence recevables ;

- le motif de rejet de sa candidature, tiré de ce que son président aurait indiqué lors de son audition par le comité de pilotage le 25 février 2016, que certains investissements prévus devaient être reportés, et que le montant des dépenses admissibles n'atteignait pas le seuil de 1 000 000 d'euros prévu par l'appel à projets, est entaché d'inexactitude matérielle.

Par une ordonnance n° 20LY00253 du 13 juillet 2021, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Limoujoux Auvergne contre ce jugement.

Par une décision n° 456690 du 23 juin 2023, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour

Par des mémoires enregistrés les 20 juillet 2023 et 17 janvier 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, à la suite de la reprise d'instance après cassation de l'ordonnance de la cour n° 20LY00253 du 13 juillet 2021, la société Limoujoux Auvergne, représentée par la SCP Collet-de Rocquigny Chantelot-Romenville et associés, persiste dans ses précédentes conclusions, par les mêmes moyens, mais porte le montant de la subvention demandée à 493 620 euros, demandant la condamnation de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer à lui verser cette somme.

Elle soutient en outre que :

- le jugement, qui est irrégulier, doit être annulé ;

- son investissement dépassait le million d'euros, sans que des dépenses ne soient reportées ; ses engagements financiers n'ont jamais été révisés ; FranceAgriMer a considéré à tort que l'investissement de la ligne de tranchage était reporté, alors qu'il a toujours été prévu, la ligne de tranchage étant réalisée une fois que le bâtiment serait construit ; l'investissement prévu était de 1 062 300 en N+1 (2016) et de 400 000 euros en N+2 (2017), correspondant à la ligne de tranchage à construire l'année d'après ; ce décalage ne correspond pas à un report d'investissement mais au calendrier de construction de l'équipement ; le temps de séchage des jambons IGP est de neuf mois, et le tranchage n'intervient qu'une fois les jambons séchés, raison pour laquelle la ligne de tranchage a été décalée en N+2 ; cet équipement productif était indispensable ; FranceAgriMer n'apporte aucune démonstration contraire ; aucun report d'investissement n'existe ; la ligne de tranchage a bien été mise en place selon le calendrier prévu ;

- son projet était conforme au cahier des charges d'appel à projets " P3A " ;

- la substitution de motifs demandée en défense ne saurait recevoir satisfaction.

Par des mémoires enregistrés les 22 décembre 2023 et 18 janvier 2024, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Aliberbert, conclut comme précédemment.

Il soutient que :

- il n'est pas l'auteur de la décision contestée, qui émane de l'État ;

- aucune injonction ne saurait être prononcée à son encontre ;

- la demande indemnitaire est irrecevable ;

- les moyens doivent être écartés.

Par un mémoire enregistré le 18 janvier 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que l'unique moyen de la requête doit être écarté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- la convention signée entre l'État et FranceAgriMer le 12 décembre 2014, publiée au Journal officiel de la République française du 14 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Picard, rapporteur ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Gourdou, pour la société Limoujoux Auvergne, ainsi que celles de Me Alibert, pour l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Limoujoux Auvergne a, par un courrier du 20 octobre 2015, répondu à l'appel à projets " reconquête de la compétitivité des outils d'abattage et de découpe " lancé dans le cadre de l'action du Programme d'Investissements d'Avenir intitulée " Projets agricoles et agroalimentaires d'avenir (P3A) ", en vue d'obtenir une subvention de 300 000 euros destinée à financer la création d'une nouvelle unité de production de jambons d'Auvergne IGP. Le représentant de cette société a été auditionné par le comité de pilotage (COPIL) chargé de la sélection des dossiers le 25 février 2016. Par lettres des 16 mars et 17 avril 2017, la société Limoujoux Auvergne a demandé à FranceAgriMer de connaître les suites réservées à sa candidature. Par une lettre du 20 juillet 2017, FranceAgriMer l'a informée de ce qu'une décision de rejet du 2 juin 2016 lui avait été adressée par le ministre de l'agriculture. Par un jugement du 21 novembre 2019, confirmé par une ordonnance du 13 juillet 2021 du président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société Limoujoux Auvergne à fin d'annulation de la lettre du 20 juillet 2017, regardée comme dépourvue de tout caractère décisoire ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant au versement d'une subvention. Par sa décision du 23 juin 2023, le Conseil d'État, après avoir retenu que le président de la 3ème chambre de la cour avait méconnu son office en ne regardant pas ces conclusions à fin d'annulation comme dirigées contre la décision du 2 juin 2016 dont l'existence était révélée par la lettre du 20 juillet 2017, a annulé son ordonnance et renvoyé l'affaire à la cour.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des mémoires présentés par la société Limoujoux Auvergne devant les premiers juges que, par les moyens qu'elle soulevait, sa demande visait à obtenir l'annulation de la décision du 2 juin 2016 par laquelle sa candidature avait été rejetée pour inéligibilité, portée à sa connaissance par le courrier de FranceAgriMer du 20 juillet 2017. Par suite, en ne regardant pas cette demande comme dirigée contre cette décision dont l'existence lui avait été révélée par la lettre du 20 juillet 2017 mais contre ce dernier courrier pour juger irrecevables et les rejeter les conclusions tendant à son annulation de même que, par voie de conséquence, celles tendant au versement de la subvention, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'irrégularité.

3. Il y a par suite lieu pour la cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de l'intéressée devant le tribunal à fin d'annulation de la décision du 2 juin 2016 et de versement de la subvention.

Sur la recevabilité :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

4. Il apparaît que la décision du 2 juin 2016 n'a au plus tôt été portée à la connaissance de la société Limoujoux Auvergne que par le courrier de FranceAgriMer du 20 juillet 2017. Il ne résulte pas des termes d'un courriel du 10 mars 2017, dans lequel elle affirmait souhaiter " réactiver notre dossier " et que ce dernier " soit réexaminé ", qu'elle aurait été formellement informée dès cette date du rejet de sa demande comme des conditions de contestation de cette décision par voie gracieuse ou contentieuse. Dans ces conditions, la demande d'annulation présentée par la société Limoujoux Auvergne devant le tribunal, enregistrée moins de deux mois suivant la réception du courrier du 20 juillet 2017, n'était pas tardive et donc irrecevable.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

5. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Il ne résulte pas de l'instruction que la société Limoujoux Auvergne aurait saisi l'administration d'une demande préalable indemnitaire tendant au versement de la somme de 493 620 euros qui correspond au montant de la subvention demandée. Par suite, et comme opposé en défense, les conclusions indemnitaires de cette société sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le fond :

6. L'article 2.2.2 de la convention que FranceAgriMer a conclue avec l'État le 12 décembre 2014 pour la mise en œuvre de l'action " P3A " prévoit que cet organisme, pour chaque appel à projet, " conduit une première analyse en termes d'éligibilité et d'opportunité des dossiers reçus ", que l'opportunité " du projet et son caractère stratégique sont notamment appréciés au regard des critères de sélection précisés au paragraphe 2.3 et dans le cahier des charges de chaque appel à projet " et qu'au " terme de cette analyse, le COPIL [comité de pilotage] décide, en accord avec le CGI [Commissariat général à l'investissement], des projets qui entrent en phase d'instruction approfondie ". Par ailleurs, le cahier des charges de l'appel à projets " reconquête de la compétitivité des outils d'abattage et de découpe " prévoit que " les projets attendus correspondent à des dépenses éligibles d'un montant supérieur à 1. 000 000 euros " (paragraphe 1), que le " projet présenté devra être achevé dans un délai maximum de 3 ans après sa date de dépôt " (paragraphe 2) et que pour " être éligible, qu'un projet doit ", notamment, " satisfaire la contrainte de taille de projet (au moins 1. 000 000 euros de dépenses éligibles) présentée au paragraphe 1 ", que les projets sont sélectionnés en particulier sur la base de critères tenant à leur contenu innovant, à leur impact commercial, financier, environnemental, économique et social, à leur intégration au sein du secteur ou de la filière concernée et que les " projets sont expertisés et décidés au fil de l'eau " et que sur " la base d'une première analyse des dossiers reçus en termes d'éligibilité, une audition des porteurs de projets éligibles est organisée " (paragraphe 3).

7. Après avoir relevé que, lors de son audition par le COPIL le 25 février 2018, la société Limoujoux Auvergne avait " indiqué devoir reporter l'achat du matériel permettant l'automatisation de certaines taches ", la présidente du Comité de Pilotage " P3A ", pour le compte du ministre de l'agriculture, a constaté que le montant des dépenses admissibles n'atteignait pas le seuil de 1 000 000 d'euros prévu par l'appel à projets et déclaré que son projet était " inéligible ". Il résulte de l'instruction que le projet présenté par la société Limoujoux Auvergne comportait un montant d'investissements en matériels s'élevant à 1 302 000 euros, dont 400 000 euros correspondant à la création d'une nouvelle " ligne de tranchage ", y compris son automatisation, et plus précisément à 180 071 euros pour la ligne de tranchage elle-même, 170 000 euros pour une thermoformeuse et 50 000 euros pour une étiqueteuse. Alors que l'essentiel des dépenses était programmé pour 2016, il n'apparaît pas que la société Limoujoux Auvergne, qui avait dès l'origine prévu un investissement pour un montant de 400 000 euros en 2017, et qu'elle a d'ailleurs mis en œuvre conformément à ce calendrier d'exécution, aurait vraiment envisagé de le reporter " sine die ". A cet égard, et comme le soutient la société Limoujoux Auvergne, ce calendrier d'exécution, réparti sur les années 2016 et 2017 dans la limite des trois années imparties pour achever le projet, est en cohérence avec les modalités de démarrage de la nouvelle unité de production, qui comporte une période de séchage des jambons, d'une durée de neuf mois, constitutive d'un préalable nécessaire à la phase de découpe ici en litige. Contrairement à ce qu'a retenu l'administration, rien ne permet donc de dire que les dépenses envisagées par la société requérante, bien que programmées sur deux ans, auraient été inférieures au seuil de 1 000 000 d'euros prévu ci-dessus. Dans ces circonstances, la société Limoujoux Auvergne apparaît fondée à demander l'annulation de la décision du 2 juin 2016.

8. Le présent arrêt, qui annule le refus du ministre d'octroyer à la société Limoujoux Auvergne la subvention sollicitée au titre de l'appel à projets " reconquête de la compétitivité des outils d'abattage et de découpe ", implique uniquement l'instruction de son projet en vue d'un octroi éventuel de cette subvention. Il y a donc seulement lieu d'ordonner à l'administration d'engager l'instruction de ce projet dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu en l'espèce de mettre à la charge de l'État le paiement à la société Limoujoux Auvergne d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur ce même fondement par FranceAgriMer sont rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 21 novembre 2019 est annulé.

Article 2 : La décision du 2 juin 2016 du ministre de l'agriculture de l'agroalimentaire et de la forêt est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à l'administration d'engager l'instruction du projet de la société Limoujoux Auvergne au titre de l'appel à projets " reconquête de la compétitivité des outils d'abattage et de découpe " dans les conditions prévues ci-dessus.

Article 4 : Une somme de 1 800 euros est mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Limoujoux Auvergne et les conclusions de FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Limoujoux Auvergne, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Délibéré après l'audience du 1er février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

Le président, rapporteur,

V-M. Picard

La présidente assesseur,

A. Duguit-Larcher

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY02106 2

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02106
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

03-05 Agriculture et forêts. - Produits agricoles.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SCP COLLET-DE ROCQUIGNY CHANTELOT-ROMENVILLE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23ly02106 ?
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