Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... C..., épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel la préfète de la Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.
Par un jugement n° 2203672 du 13 septembre 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2022, Mme C... épouse A..., représentée par Me Abdouraoufi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 septembre 2022 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel la préfète de la Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Loire de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ou, à défaut, un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler.
Elle soutient que :
la décision portant refus de titre de séjour :
- est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- est entachée d'une erreur de fait concernant les revenus du couple ;
- est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- méconnaît l'article 3-1 de la convention de New York ;
- méconnaît l'article 3 de l'accord franco-marocain ;
- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfète de la Loire, à laquelle la requête a été communiquée, n'a pas produit d'observations.
Mme C... épouse A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née le 26 novembre 1983, de nationalité marocaine, est entrée en France le 24 avril 2015 munie d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour, valide pour la période du 23 avril 2015 au 22 juillet 2015. L'intéressée a ensuite obtenu un titre de séjour portant la mention " travailleur saisonnier " valable du 24 avril 2015 au 23 avril 2018. Par un arrêté du 4 septembre 2019, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 23 septembre 2020, la préfète de la Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Le 2 février 2021, la requérante a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain et des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 25 janvier 2022, la préfète de la Loire a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
3. Il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a épousé M. D..., ressortissant marocain né le 11 novembre 1973, détenteur, depuis le 11 novembre 1991, d'un titre de séjour puis d'une carte de résident, valable du 11 novembre 2011 jusqu'au 10 novembre 2021, dont il a sollicité le renouvellement. Si par un arrêté en date du 25 janvier 2022, la préfète de la Loire a refusé de renouveler la carte de résident de M. D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office, le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 13 septembre 2022, a annulé cet arrêté et enjoint à la préfète de la Loire de procéder au réexamen de la demande de M. A... E.... En exécution de ce jugement, la préfète de la Loire a délivré à M. A... E... une carte de résident valable du 20 octobre 2022 au 19 octobre 2032. L'intéressé doit par suite être regardé comme ayant été en situation régulière depuis le 11 novembre 1991. Il n'est pas contesté que la requérante, entrée en France le 24 avril 2015 à l'âge de 31 ans, était déjà mariée avec M. A... E... depuis le 26 juin 2012 et qu'un enfant est né de cette union à Saint-Etienne le 30 juin 2020. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme A..., qui justifie d'attaches suffisamment anciennes et stables en France, et exerce au demeurant l'activité d'agent d'entretien au sein d'un Ehpad dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée conclu le 29 juillet 2021, est fondée à soutenir qu'en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, la préfète a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et a ainsi méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. En second lieu, Mme A... est fondée à exciper de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et de celle fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel la préfète de la Loire lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français. Il y a par suite lieu d'annuler ce jugement ainsi que l'ensemble des décisions contenues dans l'arrêté en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt implique, ainsi que la requérante le demande, de procéder au réexamen de sa situation. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Loire d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 13 septembre 2022 et l'arrêté du 25 janvier 2022 de la préfète de la Loire sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Loire de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A..., à la préfète de la Loire et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03821