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23/01/2024 | FRANCE | N°21LY02210

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 23 janvier 2024, 21LY02210


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure



L'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018 portant autorisation unique au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement en application de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014, relatif au projet INSPIRA-ZAC de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Salaise-sur-Sanne et de Sablons.



Par un jugement n° 1902805 du 4 mai 2021, le tribuna

l administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018.



Proc...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

L'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018 portant autorisation unique au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement en application de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014, relatif au projet INSPIRA-ZAC de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Salaise-sur-Sanne et de Sablons.

Par un jugement n° 1902805 du 4 mai 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018.

Procédures devant la cour

I- Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2021 sous le n° 21LY02210, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 29 juillet, 26 septembre et 28 octobre 2022, la société publique locale Isère Aménagement, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 mai 2021 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande de première instance de l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement ;

3°) de mettre à la charge de l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a entaché son jugement d'une contradiction de motifs et d'une insuffisance de motivation ;

- le tribunal a annulé l'autorisation sans avoir confronté le projet avec l'ensemble des orientations et objectifs du SDAGE ;

- il a commis une erreur en ne prononçant pas de mesure de sursis dans l'attente d'une mesure de régularisation ;

- le projet INSPIRA est strictement neutre du point de vue de la gestion de la ressource en eau ;

- le projet INSPIRA pourra répondre aux besoins d'entreprises qui ne requièrent pas ou très peu de besoins en eau.

II- Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2021 sous le n° 21LY02241, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 29 septembre 2021 et 5 septembre 2022, le ministre de l'écologie et de la transition énergétique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 mai 2021 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande de régularisation présentée par la société Isère Aménagement en première instance ;

3°) de rejeter la demande de première instance de l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement.

Il soutient que :

- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement ;

- l'incompatibilité du projet avec le SDAGE Rhône-Méditerranée n'est pas établie ;

- les manquements identifiés par le tribunal sont régularisables dans la mesure où un complément de l'étude d'impact sur ces points précis est parfaitement envisageable ;

- un plan de gestion de la ressource en eau (PGRE) à l'échelle de la nappe alluviale du Rhône, ayant vocation à définir les volumes prélevables et leur répartition entre les différents usagers de la ressource locale, est actuellement en cours d'élaboration.

Par des mémoires en défense enregistrés les 7 décembre 2021 et 12 octobre 2022 au titre de ces deux instances, l'association Vivre Ici Vallée du Rhône Environnement, représentée par Me Posak, conclut :

1°) au rejet des requêtes ;

2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens des requêtes ne sont pas fondés.

Par deux ordonnances du 13 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée dans chacune de ces instances, en dernier lieu, au 28 octobre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- les observations de Me Untermaier pour la société publique locale Isère Aménagement, et les observations de Me Posak, représentant l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement.

Considérant ce qui suit :

1. La société Isère Aménagement a déposé, le 28 juillet 2016, un dossier de demande d'autorisation unique en vue de la réalisation du projet INSPIRA pour l'aménagement de la ZAC de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Salaise-sur-Sanne et de Sablons, complété le 14 décembre 2017. Le projet a fait l'objet d'une enquête publique unique du 30 avril au 13 juin 2018 à la suite de laquelle la commission d'enquête a émis un avis défavorable le 27 juillet 2018. Par un arrêté du 18 décembre 2018, le projet a été déclaré d'utilité publique. Par un arrêté du 19 décembre 2018, le préfet de l'Isère a autorisé les travaux d'aménagements de la ZAC INSPIRA (hors zone Compagnie nationale du Rhône) par une autorisation unique portant autorisation au titre de la loi sur l'eau, autorisation de défrichement et dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées. La société publique locale Isère Aménagement, d'une part, le ministre de la transition écologique, d'autre part, relèvent appel du jugement du 4 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté, sur la demande de l'association Vivre Ici Vallée du Rhône Environnement.

2. Ces deux requêtes sont relatives à la contestation d'une même autorisation unique, il y a par suite lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il ressort des termes du jugement attaqué que, pour retenir l'incompatibilité de l'autorisation avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Rhône-Méditerranée 2016-2021, les premiers juges se sont fondés sur la circonstance que les mesures prévues par l'article 9 de l'arrêté du 19 décembre 2018 n'étaient pas de nature à répondre à l'ensemble des besoins en eau des nouvelles entreprises qui viendront s'implanter sur la ZAC, après avoir rappelé l'ampleur du projet et les nouveaux besoins en eau qu'il génère, en l'espèce évalués à 80 000 m3/jour, et sur l'absence d'éléments relatifs à l'opportunité et à l'impact des restrictions prévues par le préfet de l'Isère, en se référant en particulier à l'avis rendu le 20 février 2018 par la mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) qui avait relevé que si les besoins en eau sont clairement identifiés, la nature des prélèvements devant permettre de les satisfaire ainsi que les ressources superficielles ou souterraines concernées ne l'étaient pas, et recommandait d'envisager les impacts potentiels des pistes susceptibles d'être mobilisés pour satisfaire les besoins en eau sans aggraver le déficit de la nappe du Rhône. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation sur ce point.

4. En second lieu, les premiers juges ont également retenu, outre l'insuffisance d'étude des effets des mesures prescrites pour l'implantation des entreprises et de l'incidence des prélèvements nécessaires au fonctionnement des activités industrielles envisagées, que le projet, compte tenu de son ampleur et de sa situation au regard des règles de non-dégradation des milieux aquatiques et de la prise en compte de la disponibilité de la ressource en eau, énoncées par le SDAGE applicable, ne pouvait être régularisé par la mise en œuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement. Par suite, contrairement à ce que la SPL Isère Aménagement soutient, le jugement en litige n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation au regard de la mise en œuvre de ces dernières dispositions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la compatibilité de l'autorisation unique avec le SDAGE :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement : " I.- Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles.(...) ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 212-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) III. - Chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques est doté d'un ou de plusieurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux fixant les objectifs visés au IV du présent article et les orientations permettant de satisfaire aux principes prévus aux articles L. 211-1 et L. 430-1. (...) IV - Les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux correspondent (...) 4° A la prévention de la détérioration de la qualité des eaux (...) VII. - Des modifications dans les caractéristiques physiques des eaux ou l'exercice de nouvelles activités humaines peuvent justifier (...), des dérogations motivées (...) XI. - Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (...) ". Aux termes du XI de ce même article : " Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ". L'article R. 212-16 du même code fixe le cadre dans lequel les dérogations peuvent être accordées, notamment au titre du VII de l'article L. 212-1. Il résulte de ces dispositions que les objectifs de qualité et de quantité des eaux sont fixés par les SDAGE, avec lesquels les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles.

7. Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle de l'ensemble du territoire couvert, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs qu'impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier.

8. Le SDAGE Rhône-Méditerranée 2016-2021, approuvé par arrêté du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 3 décembre 2015, comporte une orientation fondamentale 2, dénommée " concrétiser la mise en œuvre du principe de non dégradation des milieux aquatiques " et une orientation fondamentale 7 intitulée " atteindre l'équilibre quantitatif en améliorant le partage de la ressource en eau et en anticipant l'avenir ". Cette dernière orientation prévoit notamment de " rendre compatibles les politiques d'aménagement du territoire et les usages avec la disponibilité de la ressource en eau ". Elle prévoit qu'une urbanisation nouvelle ne peut être planifiée sans avoir vérifié au préalable la disponibilité suffisante de la ressource en eau et, d'une manière générale, que les acteurs économiques et de l'aménagement du territoire, notamment les collectivités, prennent en compte la disponibilité de la ressource et son évolution prévisible dans les projets de développement. Le SDAGE prévoit également une orientation fondamentale 0 " s'adapter aux effets du changement climatique " et une orientation fondamentale 4 " renforcer la gestion de l'eau par bassin versant et assurer la cohérence entre aménagement du territoire et gestion de l'eau ".

9. La légalité interne de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau devant être appréciée au jour du présent arrêt, il y a lieu de l'examiner au regard du SDAGE Rhône-Méditerranée 2022-2027 en vigueur, approuvé par le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes le 21 mars 2022, qui reprend les orientations et dispositions du SDAGE précédent, et comprend neuf orientations fondamentales traitant les grands enjeux de la gestion de l'eau, notamment économiser l'eau et s'adapter au changement climatique, réduire les pollutions et protéger la santé, et préserver et restaurer les cours d'eau en intégrant la prévention des inondations, préserver les zones humides, la mer Méditerranée et la biodiversité.

10. Il résulte de l'instruction que le projet INSPIRA, qui a pour objet d'étendre la zone industrialo-portuaire pour atteindre une superficie de 336 hectares, comprenant l'aménagement d'une nouvelle surface de 221 hectares impliquant la création de 620 000 m2 de surface de plancher, se situe à proximité du secteur de l'Ile de la Platière, sur un territoire constituant l'une des dernières grandes zones humides relictuelles de la vallée du Rhône, présentant un grand potentiel écologique classé Natura 2000 et réserve naturelle nationale. Il résulte tant de l'étude d'impact que des mentions portées en introduction de l'arrêté attaqué, d'une part, que le territoire de la nappe alluviale du Rhône court-circuité de la plaine de Péage de Roussillon est classé en déficit quantitatif par le SDAGE Rhône-Méditerranée, en conséquence notamment de l'aménagement par la compagnie nationale du Rhône en 1977 du canal de dérivation du Rhône et des prélèvements d'eau générant un abaissement localisé mais permanent du niveau de la nappe, mettant sérieusement en péril sa pérennité, d'autre part que les nouveaux besoins en eau liés au projet INSPIRA ont été initialement évalués à 80 000 m3/jour. Par un avis du 20 février 2018, la mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) a relevé que si les besoins en eau sont clairement identifiés, tel n'est pas le cas de la nature des prélèvements devant permettre de les satisfaire ainsi que des ressources superficielles ou souterraines concernées. A ce titre, elle a recommandé d'envisager les impacts potentiels des pistes susceptibles d'être mobilisées pour satisfaire les besoins en eau sans aggraver le déficit de la nappe du Rhône. En outre, la commission d'enquête a émis le 27 juillet 2018 un avis défavorable, soulignant également dans le rapport d'enquête publique les incertitudes importantes et récurrentes quant au volume des prélèvements industriels réalisés, et dans les points 1.1.10 et 4.10.4 de ses conclusions, le caractère inacceptable du prélèvement indirect de 10 000 m3/jour via le réseau du Syndicat Intercommunal de Gestion de l'Eau du Roussillon - Péage de Roussillon et Environs (SIGEARPE) et le risque d'aggravation du déficit quantitatif de la nappe du Rhône court-circuité.

11. En premier lieu, si les requérants font de nouveau valoir en appel que le préfet de l'Isère a, par l'article 9 de l'arrêté en litige, interdit tout nouveau prélèvement brut direct dans la nappe du Rhône court-circuité et limité les prélèvements indirects via le réseau d'eau potable existant (SIGEARPE) à 2 000 m3/jour pour les usages non domestiques avec, à titre de compensation, restitution de ces volumes à la nappe du Rhône court-circuité, il résulte de l'instruction qu'une telle prescription n'est pas de nature à justifier, outre leur identification, l'opportunité des prélèvements alternatifs au pompage dans la nappe du Rhône court-circuité, la détermination des endroits de prélèvement et l'incidence de ceux-ci et plus généralement, la nature et l'effectivité des mesures de restitution devant assurer la préservation de la ressource en eau. En supposant même, ainsi que le ministre le fait valoir et alors que cela ne ressort cependant pas de la prescription précitée, que les industries, futures occupantes de la zone d'aménagement concertée, soient autorisées à prélever dans des masses d'eau superficielles ne présentant pas de déficit, par exemple dans le canal du Rhône situé à proximité et pouvant satisfaire de nombreux usages, et que les procédés industriels modernes soient moins consommateurs d'eau, il ressort des pièces du dossier qu'une partie importante des besoins en eau potable couverts par le SIGEARPE est déjà prélevée dans la nappe phréatique d'accompagnement du Rhône via le champ captant des Iles implanté sur le territoire de la commune du Péage de Roussillon. Il en résulte que les prélèvements envisagés, même limités par la prescription découlant de l'article 9 de l'arrêté, ne sont pas compatibles avec les objectifs d'anticipation du partage de la ressource en eau et son équilibre, en particulier par un usage et une gestion conformes à la disponibilité de cette ressource et son évolution telle qu'elle est prévisible.

12. En outre, aucun élément produit au dossier ne permet d'établir que le volume de prélèvement, initialement évalué à 80 000 m3/jour comme indiqué au point 10, puis limité par la prescription retenue à 2 000 m3/jour, serait suffisant pour répondre aux besoins en eau des nouvelles entreprises à caractère industriel consommatrices d'eau qui viendront s'implanter sur le site. A ce titre, si la société Isère Aménagement produit une étude réalisée par la société Antéa en juin 2022 qui n'a pas été soumise à enquête publique, selon laquelle le plafond de prélèvement fixé à 2 000 m3/jour serait " réaliste ", l'association défenderesse fait valoir sans être contestée que de telles données n'ont pas été vérifiées de manière exhaustive. Il ressort également du rapport d'enquête publique que la commission avait déjà souligné les incertitudes importantes affectant les données, relatives aux volumes de prélèvements industriels réalisés, livrées par les acteurs déjà présents sur le site. Par suite, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, l'incidence des prélèvements nécessaires au fonctionnement des activités industrielles envisagées n'est pas suffisamment étudiée pour évaluer leur impact et l'opportunité de telles mesures à long terme sur la ressource en eau.

13. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que le dossier de demande d'autorisation unique prévoit, d'une part, que les autorisations de demandes de prélèvement ne seront délivrées qu'aux entreprises mobilisant des ressources alternatives à la nappe alluviale du Rhône qui n'aggravent pas le déficit quantitatif de cette ressource et qui seront compatibles avec l'équilibre de cette ressource, d'autre part que la SPL Isère Aménagement et la Compagnie nationale du Rhône vérifieront préalablement à chaque demande d'implantation ou de développement d'entreprise la pertinence des solutions de prélèvement envisagées et notamment la ressource mobilisée, et enfin que l'arrêté du 18 décembre 2018 portant déclaration d'utilité publique du projet prévoit qu'un comité de sélection déterminera les entreprises susceptibles de s'implanter sur le site au regard notamment de leur consommations d'eau et des solutions alternatives au pompage direct dans la nappe qu'elles pourront proposer, ces mesures, au demeurant appréciées dans le cadre de la délivrance d'autorisations ultérieures, ne sont pas de nature à pallier les carences et atteintes précédemment relevées. En outre, l'arrêté du préfet de l'Isère du 18 décembre 2018 précité a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 janvier 2023 devenu définitif.

14. En troisième lieu, si le ministre fait valoir qu'au titre des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 181-14 du code de l'environnement, relatives à l'autorisation environnementale, le préfet peut, à tout moment, imposer de nouvelles prescriptions pour assurer la préservation des intérêts visés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement, cette faculté reste sans incidence sur l'absence de compatibilité du projet avec le SDAGE ainsi retenue. Le ministre ne peut par ailleurs utilement se prévaloir de ce que le plan de gestion de la ressource en eau (PGRE) à l'échelle de la nappe alluviale du Rhône, ayant vocation à définir les volumes prélevables et leur répartition entre les différents usagers de la ressource locale, serait en cours d'élaboration.

15. Dans ces conditions, et alors même que le préfet de l'Isère a, dans l'autorisation litigieuse, restreint le prélèvement en eau et prescrit à la SPL Isère Aménagement d'intégrer dans le cahier des charges de cession et location des terrains aménagés un critère relatif à l'usage de l'eau, le projet par son ampleur, les besoins en eau qu'il génère, l'aggravation du déficit de la nappe résultant de l'accroissement des besoins sans planification équilibrée de la ressource en eau alors même que l'impact de ce déficit présente déjà des conséquences sur les milieux naturels à préserver et à haute valeur écologique de nature à porter une atteinte irrémédiable à la préservation des habitats naturels identifiés et dépendant étroitement de celle-ci, et par l'absence d'éléments sur l'opportunité et l'impact des restrictions prévues par le préfet de l'Isère, n'est pas compatible avec les objectifs et les orientations du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée.

En ce qui concerne l'application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

16. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

17. D'une part, ainsi que les premiers juges l'ont retenu sans entacher leur jugement d'une contradiction de motifs, compte tenu de son ampleur et de sa contrariété au regard des règles de non-dégradation des milieux aquatiques et de prise en compte de la disponibilité de la ressource en eau énoncées par le SDAGE applicable, et en l'absence d'adoption du plan de gestion de la ressource en eau de nature à garantir les caractères qualitatif et quantitatif de l'utilisation de cette ressource, le projet ne peut être régularisé par la mise en œuvre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, notamment par un complément d'étude d'impact ou par une autorisation modificative sur le fondement du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

18. D'autre part, il ressort de la décision portant autorisation unique que celle-ci, outre l'autorisation au titre de la loi sur l'eau fondée sur l'article L. 214-3 du code de l'environnement qu'elle comporte, prévoit également une autorisation de défrichement d'un cordon boisé au droit de l'ancien méandre de la Sanne pour une surface de 7 371 m2 et de 498 m2 de ripisylve, en application de l'article 13 relatif aux travaux sur la végétation. Une telle opération n'est impliquée sur plusieurs emprises en connexion avec la ripisylve de la Sanne que du fait de la création des chenaux en rives droite et gauche de la Sanne et de leur raccordement à celle-ci décrits à l'article 4.2.1.2 de l'arrêté, afin de prévenir et limiter les inondations et préserver les écosystèmes aquatiques, dans le cadre de l'autorisation au titre de la loi sur l'eau dont l'illégalité a été constatée. Cette même décision prévoit en son article 15 une dérogation aux interdictions d'atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats du fait des impacts des aménagements envisagés, tant en phase de travaux qu'en raison de la diminution de la surface des habitats d'espèces par l'effet d'emprise impliqué par ces aménagements. Pour l'application du 1° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dès lors que l'autorisation de défrichement et la dérogation précitée concernent l'ensemble du projet et que l'annulation de la seule autorisation au titre de la loi sur l'eau fait perdre toute finalité aux autres composantes de l'autorisation unique, nécessitées par elle, ces décisions subséquentes délivrées par l'arrêté préfectoral du 19 décembre 2018 doivent être regardées en l'espèce comme étant nécessairement viciées par l'illégalité de l'autorisation délivrée au titre de la loi sur l'eau.

19. Dans ces conditions, les conclusions de la société Isère Aménagement tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une régularisation de l'autorisation environnementale contestée doivent être rejetées.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société publique locale Isère Aménagement et le ministre de la transition écologique ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 décembre 2018 sans faire application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association Vivre ici Vallée du Rhône environnement qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à ce même titre à verser à l'association Vivre Ici Vallée du Rhône Environnement.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la société publique locale Isère Aménagement et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont rejetées.

Article 2 : L'Etat versera à l'association Vivre ici Vallée du Rhône environnement une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt notifié à la société publique locale Isère Aménagement, à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association Vivre Ici Vallée du Rhône environnement et au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves TallecLa rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N°s 21LY02210-21LY02241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02210
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;21ly02210 ?
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