Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société par actions simplifiée (SAS) Chemviron France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 21 décembre 2020 par laquelle l'établissement public foncier local Auvergne a décidé d'exercer son droit de préemption pour l'acquisition des parcelles cadastrées section ZD n° 2, 3, 4, 6, 7, 8, 31, 43 et 49 sur le territoire de la commune de Tanavelle (Cantal) au prix proposé de 89 000 euros.
Par un jugement n° 2100397 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistré le 24 août 2022 et le 2 juin 2023, l'établissement public foncier Auvergne, représenté par Me Martins Da Silva, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 28 juin 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SAS Chemviron France devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de la SAS Chemviron France, une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de préemption du 21 décembre 2020 qui comporte bien les nom, prénom et qualité de la signataire, répond aux exigences de l'article L. 212-1 code des relations entre le public et l'administration ;
- le tribunal aurait dû rejeter le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la délibération du 27 septembre 2016 pour irrecevabilité ;
- la délibération du 27 septembre 2016 pouvait légalement instituer un droit de préemption urbain sur une zone non constructible de la carte communale de la commune ;
- le projet défini par cette délibération constitue bien " un équipement ou une opération d'aménagement. " ; de plus ce projet est bien réel et présente un intérêt général suffisant pour justifier l'exercice du droit de préemption.
Par des mémoires enregistrés, le 25 avril 2023 et le 17 novembre 2023, la SAS Chemviron France, représentée par Me Gallois, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le signataire de la décision de préemption n'est pas identifiable ;
- la délibération instituant le droit de préemption n'étant pas devenue définitive et en tout état de cause s'inscrivant dans une opération complexe, l'exception tiré de son illégalité peut être soulevée ;
- le droit de préemption ne peut porter sur une zone non constructible de la carte communale ;
- l'équipement public visé pour la sensibilisation du public aux problématiques environnementales doit s'analyser nécessairement comme une action de valorisation d'un site naturel, or un tel projet ne figure pas au nombre des objets pour lesquels un droit de préemption peut être institué ;
- cette délibération est illégale dès lors que le droit de préemption qu'elle institue n'était pas justifié à cette date par un projet précis.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- les observations de Me Lambert, représentant l'Etablissement Public Foncier Auvergne et de Me Richard, représentant la SAS Chemviron France ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Chemviron France s'est portée a acquis auprès de la société Arkema de parcelles cadastrées section ZD, d'une superficie de totale de 178 020 m² situées sur le territoire de la commune de Tanavelle (Cantal), au droit de la narse de Nouvialle, en vue de l'implantation et l'exploitation d'une carrière de diatomite. A la suite de la réception, le 29 septembre 2020, de la déclaration d'intention d'aliéner ces parcelles, l'établissement public foncier local Auvergne a exercé son droit de préemption sur les parcelles en cause par une décision de sa directrice du 21 décembre 2020. La SAS Chemviron France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler cette décision. L'établissement public foncier Auvergne relève appel du jugement du 28 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait droit à sa demande.
2. En application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'une autorisation d'urbanisme, de se prononcer sur le bien-fondé des différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui, et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus ne justifie l'annulation, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens.
Sur les motifs d'annulation retenus par les premiers juges :
3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige comporte en dessous de la mention " La directrice de l'EPF Auvergne ", la mention manuscrite " P/o " mais ne précise ni le nom, ni la qualité de la personne ayant signé au nom de la directrice de l'EPF. Si l'établissement public foncier Auvergne fait valoir que cette décision mentionne dans ses visas l'arrêté en date du 17 décembre 2020 de délégation de signature de Madame C... B..., au profit de Madame D... A..., juriste à l'EPF Auvergne, cette seule mention, au demeurant non corroborée par les initiales de l'intéressée, ne pouvait permettre d'identifier Mme D... A... comme étant la signataire de cette décision. Par suite, c'est à bon droit que tribunal a retenu le moyen tiré de ce que la décision en litige méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan, dans les périmètres de protection rapprochée de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines définis en application de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, dans les zones et secteurs définis par un plan de prévention des risques technologiques en application de l'article L. 515-16 du code de l'environnement, dans les zones soumises aux servitudes prévues au II de l'article L. 211-12 du même code, ainsi que sur tout ou partie de leur territoire couvert par un plan de sauvegarde et de mise en valeur rendu public ou approuvé en application de l'article L. 313-1 lorsqu'il n'a pas été créé de zone d'aménagement différé ou de périmètre provisoire de zone d'aménagement différé sur ces territoires. / Les conseils municipaux des communes dotées d'une carte communale approuvée peuvent, en vue de la réalisation d'un équipement ou d'une opération d'aménagement, instituer un droit de préemption dans un ou plusieurs périmètres délimités par la carte. La délibération précise, pour chaque périmètre, l'équipement ou l'opération projetée. / Ce droit de préemption est ouvert à la commune. Le conseil municipal peut décider de le supprimer sur tout ou partie des zones considérées. Il peut ultérieurement le rétablir dans les mêmes conditions (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 de ce code : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 211-2 de ce code : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. / Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué. ".
6. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou a été prise pour son application. En outre, s'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
7. L'illégalité de l'acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif. Il en est de même lorsque ce droit de préemption est institué sur le territoire d'une commune dotée d'une carte communale.
8. Il ressort des pièces du dossier que par une délibération du 27 septembre 2016, le conseil communautaire de la communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride, établissement public de coopération intercommunale, compétent en matière de droit de préemption urbain, dont la commune de Tanavelle était membre, après avoir abrogé les dispositions de sa délibération du 9 juin 2016 instituant un droit de préemption urbain dans les zones constructibles délimitées par la carte communale de cette commune, a institué un droit de préemption urbain sur deux secteurs de la commune de Tanavelle, en vue de réaliser des équipements ou opérations d'aménagement et précisé l'équipement ou l'opération projetée, en particulier, s'agissant du second secteur, la création d'une aire d'accueil touristique et scientifique de valorisation du site Natura 2000 - Zone spéciale de conservation (ZSC) zones humides de la Planèze de Saint-Flour, ainsi que le développement d'une unité de recherche scientifique de la Planèze de Saint-Flour en vue d'améliorer les connaissances et la valorisation des ressources et filières locales des narses de cette planèze. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la décision de préemption en litige porte sur des parcelles de terrains sur le territoire de la commune de Tanavelle, situées dans le périmètre du secteur n° 2 défini par la délibération précitée du 27 septembre 2016.
9. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du 27 septembre 2016 a été publiée dans les annonces légales de deux journaux diffusés dans le département, les 30 septembre 2016 et 1er octobre 2016 et a été affichée au siège de la communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride et dans les locaux de la mairie de Tanavelle pendant une durée d'au moins un mois conformément aux dispositions précitées de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme. Ainsi, il ressort des pièces du dossier que la délibération du 27 septembre 2016 a été régulièrement publiée et est devenue définitive. Par suite, la SAS Chemviron France n'est pas recevable à soutenir que la communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride ne pouvait légalement instituer un droit de préemption au sein d'une zone non constructible de la carte communale de Tanavelle. Il s'ensuit que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la SAS Chemviron France était recevable à invoquer le moyen tiré de l'exception d'illégalité de délibération du 27 septembre 2016 pour en déduire que la communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride ne pouvait légalement instituer un droit de préemption au sein d'une zone non constructible de la carte communale de Tanavelle.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement (...) " et aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige :" Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. (...) ".
11. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
12. A l'appui de sa décision de préemption, l'établissement public foncier Auvergne se borne à faire valoir que le projet est en accord avec le classement du site en zone Natura 2000 et que les zones humides de la Planèze de Saint-Flour ont été désignées en zone spéciale de conservation par arrêté ministériel du 1er septembre 2015. Le requérant fait également référence à une délibération du 13 novembre 2019 de la communauté de communes du pays de Saint-Flour Margeride autorisant son président à solliciter du conseil départemental du Cantal que soit engagée une démarche de création d'un espace naturel sensible sur l'intégralité de la Narse de Nouvialle ainsi qu'à une seconde délibération de cette même communauté de communes, du 11 décembre 2019 autorisant son président à solliciter la préfecture du Cantal pour l'adoption d'un arrêté préfectoral de protection de biotope sur l'intégralité du périmètre de la Narse de Nouvialle. Toutefois, par ces seuls éléments qui, ainsi que le requérant l'admet dans ses propres écritures constituent des démarches de préservation du site indépendantes des projets justifiant la décision de préemption, l'établissement public foncier Auvergne n'établit pas, au titre de l'exercice du droit de préemption urbain, l'existence d'un projet d'une consistance suffisante justifiant l'exercice de son droit de préemption à la date de cette décision. Par suite, et ainsi que l'a jugé le tribunal, l'établissement public foncier Auvergne ne justifie pas avoir eu, à la date de la décision en litige, un réel projet répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement public foncier Auvergne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision du 21 décembre 2020 par laquelle sa directrice a décidé d'exercer le droit de préemption pour l'acquisition des parcelles cadastrées section ZD sur le territoire de la commune de Tanavelle.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de la SAS Chemviron France, qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, la somme de 2 000 euros demandée par l'établissement public foncier Auvergne au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du requérant une somme de 2 500 euros à verser à la SAS Chemviron France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'établissement public foncier Auvergne est rejetée.
Article 2 : L'établissement public foncier Auvergne versera une somme de 2 500 euros à la SAS Chemviron France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à SAS Chemviron France et à l'établissement public foncier Auvergne.
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique de la cohésion des territoires en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY02599
kc