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11/01/2024 | FRANCE | N°21LY04128

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 11 janvier 2024, 21LY04128


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La société Alidis a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite du 18 novembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de la 5ème section de l'unité territoriale de l'Ardèche a rejeté la demande d'autorisation de licencier M. C... B... pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement et celle du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 12 mai 2020 qui a confirmé cette décision ainsi que la condamnation de l'État à lui v

erser une indemnité correspondant aux salaires versés à M. B....



Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Alidis a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision implicite du 18 novembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de la 5ème section de l'unité territoriale de l'Ardèche a rejeté la demande d'autorisation de licencier M. C... B... pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement et celle du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 12 mai 2020 qui a confirmé cette décision ainsi que la condamnation de l'État à lui verser une indemnité correspondant aux salaires versés à M. B....

Par un jugement n° 2004512 du 26 octobre 2021, le tribunal a annulé chacune de ces décisions et condamné l'État à verser à la société Alidis la somme de 33 614,19 euros.

Procédure devant la cour

I - Par une requête enregistrée le 16 décembre 2021 sous le n° 21LY04128, M. B..., ayant pour curatrice Mme A..., représenté par Me Slupowski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et de rejeter en toutes ses conclusions la demande de la société Alidis devant le tribunal ;

2°) qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de cette société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n'a pas répondu aux moyens qu'il avait invoqués dans son mémoire en défense devant le tribunal ;

- c'est à tort que le tribunal, pour annuler les décisions litigieuses, s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'existence d'un lien entre ses fonctions syndicales et la demande de licenciement ne serait pas établi.

Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2022, la société Alidis, représentée par Me Caramel, conclut au rejet de la requête et à ce que des sommes de 1 500 euros et 2 000 euros soient mises à la charge, respectivement, de M. B... et de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'enquête contradictoire était irrégulière ; l'absence de la curatrice de M. B... au cours de la contre-enquête entache de nullité la décision de la ministre du travail ;

- la décision ministérielle est insuffisamment motivée, un certain nombre d'éléments n'ayant pas été pris en compte ;

- en considérant que l'inaptitude de M. B... résultait d'une dégradation de son état de santé en lien avec l'exercice de ses mandats, la ministre a analysé les causes de l'inaptitude, et a de ce fait outrepassé ses pouvoirs ;

- il n'y a pas de lien entre l'inaptitude et les mandats ;

- aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Slupowki, conclut comme précédemment, soutenant également que :

- comme le montre un faisceau d'indices relevés par le ministre du travail dans sa requête, il y a discrimination et il existe un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats et son activité syndicale ;

- le jugement du tribunal de grande instance (TGI) de Privas, qui n'est pas contradictoire, ne saurait lui être opposé sans une violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et du principe d'égalité des armes.

Par une ordonnance du 11 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 novembre 2022.

II - Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021 sous le n° 21LY04204, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter en toutes ses conclusions la demande de la société Alidis devant le tribunal.

Elle soutient qu'il n'est pas contesté que par un avis rendu le 15 juillet 2019 par le médecin du travail, M. B... a été déclaré " Inapte. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi interne et externe à l'entreprise " ; son inaptitude résulte cependant d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec les obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives ; cette discrimination est caractérisée par un faisceau d'indices portant sur les difficultés de fonctionnement des institutions représentatives du personnel et sur la dégradation de la relation individuelle de travail, et notamment des obstacles à sa prise d'heures de délégation, l'absence de réponse à une demande de matériel pour le fonctionnement du comité d'entreprise, le refus de validation de son compte-rendu de réunion, la menace de poursuites pénales et l'hostilité manifestée à l'encontre de son action syndicale ; l'inaptitude de M. B... constatée par le médecin du travail résultait d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives.

Par des mémoires enregistrés les 15 février et 18 octobre 2022, la société Alidis, représentée par Me Caramel, conclut au rejet de la requête et à ce que des sommes de 1 500 euros et 2 000 euros soient mises à la charge, respectivement, de M. B... et de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'enquête contradictoire était irrégulière ; l'absence de la curatrice de M. B... au cours de la contre-enquête entache de nullité la décision de la ministre du travail ;

- la décision ministérielle est insuffisamment motivée, un certain nombre d'éléments n'ayant pas été pris en compte ;

- en considérant que l'inaptitude de M. B... résultait d'une dégradation de son état de santé en lien avec l'exercice de ses mandats, la ministre a analysé les causes de l'inaptitude, et a de ce fait outrepassé ses pouvoirs ;

- il n'y a pas de lien entre l'inaptitude et les mandats ;

- aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Slupowski, conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 octobre 2021 et au rejet en toutes ses conclusions de la demande de la société Alidis devant le tribunal, et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de cette société au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- comme le montre un faisceau d'indices relevés par le ministre du travail dans sa requête, il y a discrimination et il existe un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats et son activité syndicale ;

- le jugement du tribunal de grande instance (TGI) de Privas, qui n'est pas contradictoire, ne saurait lui être opposé sans une violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et du principe d'égalité des armes.

Par une ordonnance du 11 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 novembre 2022.

Par une lettre du 15 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions formulées par de M. B... dans son mémoire enregistré le 24 octobre 2022, qui s'analysent comme un appel principal.

Par un mémoire enregistré le 18 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Slupowski, a répondu qu'il n'y avait pas lieu de relever d'office ce moyen.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Picard, président de chambre ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Slupowki, pour M. B..., ainsi que celles de Me Caramel, pour la société Alidis ;

M. B... a présenté des notes en délibéré, enregistrées le 27 décembre 2023 ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement en date du 26 octobre 2021, dont la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ainsi que M. B... relèvent appel, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision implicite du 18 novembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail de la 5ème section de l'unité territoriale de l'Ardèche a rejeté la demande d'autorisation présentée par la société Alidis tendant au licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement de M. C... B..., employé commercial depuis le 9 mai 2005 dans un établissement situé en Ardèche, et titulaire des mandats de délégué du personnel, membre du comité d'entreprise et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ainsi que celle du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 12 mai 2020 portant confirmation de cette décision, et condamné l'État à verser à cette société une indemnité de 33 614,19 euros en réparation de son préjudice financier.

2. Les requêtes de M. B... et de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la recevabilité des conclusions de M. B... dans la requête n° 21LY04204 :

3. Dans son mémoire enregistré le 24 octobre 2022, M. B... conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet en toutes ses conclusions de la demande de la société Alidis devant le tribunal. Ces conclusions, qui s'analysent comme un appel principal, ont été formulées après l'expiration du délai d'appel. Elles sont donc tardives et irrecevables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Contrairement à ce que soutient M. B... le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à chacun de ses arguments, a examiné si les éléments avancés établissaient l'existence d'un lien avec le mandat malgré son inaptitude physique. Le jugement attaqué, qui a répondu à son moyen, n'est donc pas irrégulier.

Sur le fond :

5. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

6. Si, à la suite de la réunion de la délégation unique du personnel du 24 novembre 2017, l'employeur a refusé de valider le projet de compte-rendu de cette réunion établi par M. B... en sa qualité de secrétaire de séance, rien ne permet de dire qu'un tel refus, qui reste isolé, serait motivé, non par le contenu de ce document, mais par la qualité des fonctions occupées par l'intéressé lui-même. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'absence d'armoire fermant à clé dans les locaux du comité d'entreprise, bien que traduisant une négligence de l'employeur, s'inscrirait dans une démarche visant précisément à faire obstacle à l'exercice par l'intéressé de son action syndicale. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'a retenu le ministre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la menace de poursuites pénales dont M. B... aurait fait l'objet de la part de la direction de l'entreprise aurait été provoquée par le contenu du tract syndical qu'il a affiché à la suite de la réunion de négociation du 27 décembre 2017, dans lequel il rappelait des propos de la directrice des ressources humaines, mais en réaction à son courrier du 6 janvier 2018 dans lequel il accusait le président de la société Alidis d'avoir commis une entrave à la liberté syndicale en enlevant un tract pour le remettre le lendemain, faits dont cette société conteste la réalité. En outre, il n'apparaît pas que l'affichage le 15 janvier 2018 au sein du magasin d'une pétition signée par une quarantaine de salariés dénonçant l'action syndicale de M. B... en faveur de l'intervention d'un expert-comptable qui, compte tenu de l'état dépressif de l'intéressé, a entraîné son placement le 16 janvier suivant en arrêt travail, aurait été suscité par la direction de la société Alidis. Dans ces circonstances, et même si, lors de son entrée en fonctions représentatives en 2017, son responsable hiérarchique a refusé de délivrer à l'intéressé un bon de délégation et donc son départ en délégation, il n'apparaît pas que la dégradation depuis plusieurs mois de l'état de santé psychologique de M. B..., dans un contexte de détérioration de ses relations de travail, aurait directement pour origine des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives et que son licenciement serait donc en rapport avec ces dernières.

7. Il en résulte que ni M. B... ni la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé les refus litigieux de l'administration du travail et, par suite, condamné l'État à verser à la société Alidis une indemnité.

8. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Alidis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur ce même fondement par M. B... doivent être rejetées.

DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La requête de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et les conclusions présentées dans cette instance par M. B... sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Alidis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Alidis.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.

Le président, rapporteur,

V.-M. Picard

La présidente assesseure,

A. Duguit-Larcher

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY04128, 21LY04204

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY04128
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-01 Travail et emploi. - Institutions du travail.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SLUPOWSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;21ly04128 ?
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