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13/11/2023 | FRANCE | N°23LY00850

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 13 novembre 2023, 23LY00850


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

Par jugement n° 2205494 du 26 décembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par u

ne requête enregistrée le 6 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Huard, demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire pendant une durée de deux ans.

Par jugement n° 2205494 du 26 décembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Huard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 décembre 2022 ainsi que l'arrêté du 6 juillet 2022 du préfet de l'Isère la concernant ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois après remise d'une autorisation provisoire de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire sont insuffisamment motivés ;

- le refus de titre de séjour méconnaît les articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'établit pas la fraude à la reconnaissance de paternité dont il se prévaut ;

- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour, méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- la décision lui interdisant le retour sur le territoire pendant une durée de deux ans méconnaît l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle n'est pas suffisamment motivée ; elle est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ; elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public et disproportionnée dans sa durée, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

Le préfet de l'Isère n'a pas produit de mémoire en défense.

Par décision du 22 février 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme C....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement avertie du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Christine Psilakis, rapporteure.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante guinéenne née en 1992, est entrée en France en 2019 selon ses déclarations. Elle a déposé une demande d'asile qui a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 20 octobre 2021. Le 18 février 2021, elle a déposé une demande de titre de séjour en invoquant sa qualité de mère d'enfant français. Par arrêté du 6 juillet 2022, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Mme C... relève appel du jugement du 26 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 6 juillet 2022 :

2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " (...) ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".

3. Il résulte de ces dispositions que si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a donné naissance à son fils A... le 4 décembre 2019 à Grenoble et que cet enfant a été reconnu le 1er septembre 2020 par M. C..., à Plaisir dans les Yvelines. Il ressort du jugement du tribunal judiciaire de Grenoble du 8 décembre 2022, nouvellement produit en appel, que sont instaurés entre les deux parents un exercice conjoint de l'autorité parentale sur l'enfant A..., un droit de garde partagé à exercer pendant les vacances scolaires et le versement d'une pension alimentaire de 100 euros par mois à percevoir par Mme C.... Alors que le lien de filiation n'a pas, depuis la décision attaquée, été remis en cause par une décision judiciaire, que le préfet de l'Isère n'a pas informé la cour des résultats de son action auprès du procureur de la République près du tribunal judiciaire de Grenoble introduite le 28 juillet 2021 et que le jugement précité du juge aux affaires familiales près du tribunal judiciaire de Grenoble emporte contribution de M. C... à l'entretien et l'éduction de l'enfant A..., la requérante peut se prévaloir de sa qualité de mère d'un enfant français au sens des dispositions précitées de l'article L. 423-7, les circonstances invoquées par le préfet au soutien du refus litigieux et suivant lesquelles le père putatif de l'enfant de la requérante a déjà reconnu, sur les quinze dernières années, huit enfants de cinq mères différentes, dont Mme C..., et que les déclarations de celle-ci sur le père de son enfant devant les services préfectoraux ont été contradictoires, ne suffisant pas, en l'état de l'instruction, à établir le motif tiré de la fraude. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif d'une reconnaissance frauduleuse de paternité. Les décisions du même jour l'obligeant à quitter le territoire dans le délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et l'interdisant de retour sur le territoire doivent, par voie de conséquence, être annulées.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté du préfet de l'Isère du 6 juillet 2022 la concernant.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

7. Eu égard au motif qui le fonde et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait y fasse obstacle, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Isère délivre à Mme C... la carte de séjour mentionnée à l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu de lui délivrer une injonction en ce sens assortie d'un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, avec remise d'une autorisation provisoire de séjour dans les quinze jours.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à l'avocate de la requérante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 décembre 2022 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 6 juillet 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire mention "parent d'enfant français" dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, après remise sous quinzaine d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Huard la somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... C.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au Procureur de la République près du tribunal judiciaire de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président,

Mme Aline Evrard, présidente assesseure,

Mme Christine Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2023.

La rapporteure,

Ch. Psilakis

Le président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 23LY00850


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00850
Date de la décision : 13/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-13;23ly00850 ?
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